Crise politique en Tunisie : Le projet de Constitution de Saïed fortement contesté

04/07/2022 mis à jour: 03:04
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Photo : D. R.

Contestations du doyen Sadok Belaïd et du constitutionnaliste Amine Mahfoudh à propos de la version publiée par le président Saïed du projet de la Constitution. Il n’institue pas un régime démocratique. Risques de dérapage autoritaire !

Le doyen Sadok Belaïd, président coordinateur du Haut comité national consultatif pour la nouvelle République, a attendu juste 48 heures pour réagir à la copie publiée le 30 juin au Journal officiel. «Ce n’est pas le nôtre, il présente des risques», a-t-il dit dans une lettre publiée hier sur le quotidien arabophone Assabah, accompagnée de la version initiale du projet de la Constitution.

Pour sa part, le constitutionnaliste Amine Mahfoudh, bras droit de Belaïd, a été hier l’acteur principal d’une émission de deux heures, d’un plateau sur Radio Shems Fm. «Ce projet n’institue pas pour un régime démocratique», a surtout dit Mahfoudh. Belaïd et Mahfoudh n’ont pas digéré les amendements du Président.

Les observateurs n’ont cessé de s’interroger, depuis la publication le 30 juin du projet de la Constitution sur le Journal officiel, à propos des réactions des universitaires constitutionnalistes Sadok Belaïd et Amine Mahfoudh. Tout indiquait que le projet publié n’était pas le leur. «Ce n’est pas mon fils, même si c’est le tien !», a écrit Amine Mahfoudh dans un post Facebook, reprenant la chanson de Francis Bebey. Connaissant Belaïd et, surtout, Mahfoudh, les observateurs étaient sûrs qu’il y avait de la pensée Saïed dans le projet publié, notamment en rapport avec la religion. Et le suspense n’avait pas duré plus de 48 heures, le temps de réfléchir, pour éviter des commentaires à chaud.

Ainsi, Sadok Belaïd, encore convalescent, a envoyé une réponse écrite au quotidien arabophone Assabah, alors qu’Amine Mahfoudh était hier l’invité de Shems Fm, dans l’émission «Le Grand Débat». Mahfoudh a insisté sur le fait que la Tunisie a d’abord vécu sous la dictature, sous Bourguiba et Ben Ali, avant de passer à une phase de démocratie fictive et «nous voulons passer aujourd’hui à une démocratie réelle».

Il a précisé que la commission a adhéré à ce processus. «Or, le texte publié au Journal officiel ne traduit pas ces valeurs. La commission ne se reconnaît pas dans le projet publié dans le Journal officiel», a-t-il regretté. Amine Mahfoudh a rappelé avoir demandé au président Saïed de publier le projet que nous lui avions soumis, et ce, pour deux raisons. D’une part, il y va de la transparence du processus et, d’autre part, pour que le Président assume ses responsabilités dans les amendements qu’il veut introduire.

Concernant le contenu, le constitutionnaliste a soulevé plusieurs remarques. Il y a d’abord le problème identitaire qui a été enlevé de l’article 1, (la Tunisie est un Etat indépendant ; sa langue est l’arabe ; sa religion est l’islam), pour revenir dans le préambule et l’article 5.

En plus, certains passages pourraient nous glisser vers la dictature, avec l’absence systématique de contrôle constitutionnel de l’activité présidentielle. «Pour résumer, le Président Saïed n’a gardé que quelques phrases du préambule, le dixième des principes généraux, le gros des droits et libertés ; mais, il a surtout enlevé le gros des mécanismes de garanties et du contrôle des pouvoirs, les uns par les autres», a notamment constaté le Pr Mahfoudh.

Le constitutionnaliste a remarqué que «puisque le Président critique régulièrement les magistrats et nous savons tous que la magistrature tunisienne est conservatrice ; elle ne reconnaît pas la primauté de la Constitution ; le Président n’aurait pas dû leur accorder la totalité des membres de la Cour constitutionnelle». Il y avait beaucoup de déception dans les propos du constitutionnaliste.

Lettre ouverte

Le doyen Sadok Belaid a annoncé hier dans une lettre confiée au Journal Assabah : «Il est de notre devoir de proclamer avec force et en toute sincérité que le texte publié au Journal officiel et soumis au référendum, n’a rien à voir avec celui que nous avions élaboré et présenté au Président.

C’est pourquoi, en ma qualité de président de la Commission nationale consultative, et après concertation avec mon ami le professeur Amine Mahfoudh et son accord, je déclare avec regret, et en toute conscience de la responsabilité vis-à-vis du peuple tunisien détenteur de la dernière décision que la Commission est totalement innocente dudit texte, présenté par le président de la République au référendum national.» En accompagnement de la lettre, le doyen Belaïd a fait publier le texte intégral de la proposition remise au président de la République. Sadok Belaïd a précisé dans sa lettre : «Le texte émanant de la présidence de la République renferme des risques et des défaillances considérables qu’il est de mon devoir de dénoncer.»

Il s’agit, selon le doyen Belaïd, de l’effacement et la dénaturation de l’identité nationale ; il y a également un retour surprenant à l’article 80 de la Constitution de 2014 pour ce qui est du péril imminent, garantissant au chef de l’Etat des pouvoirs très larges, dans des conditions qu’il est le seul à même d’en juger, ce qui pourrait ouvrir la voie à un régime dictatorial.

Il y a, par ailleurs, la non-responsabilité politique du président de la République, tout comme une chambre suspecte de régions et de districts, structure floue, annonçant un avenir incertain. Pour la Cour Constitutionnelle, son organisation est incomplète et la désignation de ses membres est floue et arbitraire, tout comme ses attributions et la limitation de ses membres au corps judiciaire.

Il y a aussi à relever l’absence de la dimension économique, sociale et environnementale dans le projet officiellement publié. C’est dire que la proposition transmise au Référendum n’a pas satisfait le coordinateur de la commission consultative. Mais, il demeure difficile de savoir si cela va changer quelque chose dans le processus pour lequel la Tunisie s’est engagée. 

 

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