Création d’un office chargé de l’achat, auprès des agriculteurs, des produits de large consommation : Quelles missions et quelles prérogatives ?

21/05/2023 mis à jour: 07:39
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Le marché des produits agricoles connaît, depuis quelques années, une déstabilisation caractérisée par la flambée des prix. Ainsi, des légumes et des fruits affichent des prix exorbitants même dans les périodes de production.

Cette situation est engendrée par l’absence d’un dispositif de régulation et de contrôle du marché 

Les pouvoirs publics travaillent pour pallier ce problème et décrètent des mesures dans ce sens. Dans le dernier Conseil des ministres, des instructions ont été données pour la création d’un Office qui se charge de l’achat des produits de large consommation, fruits et légumes compris, pouvant être stockés en vue d’assurer l’équilibre du marché national. L’idée en elle-même est salutaire et peut être une solution définitive à l’anarchie qui règne dans le marché. Seulement, il est nécessaire de bien déterminer les dysfonctionnements pour mieux agir. 

L’ONILEV, un rôle limité et des résultats qui laissent à désirer 

Il est à rappeler qu’un organisme public existe déjà, l’Office national interprofessionnel des légumes et des viandes (Onilev) créé en 2009 et placé sous la tutelle du ministère de l’Agriculture et du Développement rural.
Ii a été mentionné dans le cahier des charges relatif aux missions de l’Onilev que L’office est l’organe de l’Etat en matière d’organisation, de développement, de régulation et de stabilisation du marché national des légumes et des viandes, et stipule, dans son article 2, que l’office est chargé de participer à la conception, la définition et la gestion des stocks de sécurité, de mettre en place tous les moyens d’observation, d’analyse et de veille économique, d’assurer la régulation du marché des produits de large consommation par la constitution de stocks stratégiques de régulation et de sécurité. 

Réellement, l’office s’est perdu sur le terrain et n’a pas pu jouer son rôle même dans la régulation du marché de la pomme qui a connu cette année une situation inédite, le prix de ce féculent stratégique a défrayé la chronique en atteignant des niveaux inimaginables. L’Onilev pourra être reformé pour être l’office qu’on s’apprête à créer, seulement, il est nécessaire qu’on lui élargisse les missions et les prérogatives, lui assurer une liberté d’action afin d’agir dans les moments opportuns sans se perdre dans les formalités administratives trop lourdes, et le doter de moyens nécessaires pour devenir «le maître des lieux», être un office qui organise, contrôle et qui régule le marché par les mesures qui s’imposent. L’office doit en premier lieu contribuer à la création d’une chaîne de distribution performante, réguler le marché dans le cas de surproduction et de pénurie et œuvrer pour la protection de la production nationale et la préservation des revenus des agriculteurs. 

Contribuer à la Création d’une chaîne de distribution performante et contrôler les opérations de stockage pour éviter la spéculation 

Pour mener à bien sa mission de régulation, l’office doit contribuer à la création d’une chaîne de distribution performante qui assure l’approvisionnement régulier du marché local par les différents produits agricoles. On doit lui conférer également le contrôle des opérations de stockage réalisées par les producteurs. Il doit définir «qui stocke quoi et à quelles quantités». Il s’agit également d’établir pour chaque produit un calendrier de déstockage selon les besoins du marché et également fixer une période maximale de stockage afin d’éviter toute tentative de spéculation. 

Cela doit concerner tous les fruits et légumes susceptibles d’être stockés, Si l’État soutient l’agriculteur, en amont et en aval du processus de production et protège sa production de la concurrence des produits étrangers par l’interdiction d’importation dans les périodes de cueillette, il est de son devoir d’approvisionner régulièrement le marché par les différents produits et éviter de se donner à des pratiques malsaines qui portent préjudice à l’économie nationale et altèrent le pouvoir d’achat des consommateurs. Le stockage est une opération qui précède la vente et qui doit être limité dans le temps, le prolongement excessif du stockage de surcroît lorsque les produits se font rares sur le marché et les prix atteignent des niveaux très élevés par rapport a la normale n’a qu’une seule signification : la spéculation 

En conclusion, je dirai qu’un office qui maîtrise la distribution, contrôle et gère rigoureusement les stocks avec un personnel qualifié et dévoué, ne peut que réussir 

Assurer la régulation du marché par la constitution de stocks stratégiques, de régulation et de sécurité 

Pour réguler le marché, l’office doit avoir toutes les informations concernant la production des différentes filières agricoles, notamment les produits susceptibles d’être stockés en cas de surplus de production. Une commission de veille doit être créée pour superviser le marché et connaître les besoins afin de prévenir les dysfonctionnements qui peuvent surgir, notamment l’irrégularité de l’approvisionnement du marché par les différents produits pour intervenir avant que la situation ne s’achemine vers la pénurie. Une vrai étude de marché doit être menée, et une cellule de veille informationnelle,  efficace, qui doit être suivie de manière quotidienne, doit être mise en place. 

Réguler le marché, le cas échéant par le recours à l’importation 

L’importation est un moyen de régulation du marché. On fait recours généralement à l’importation pour contrecarrer la pénurie et, par conséquent, la flambée des prix. Seulement, il est impératif de bien déterminer la période et les quantités à importer pour ne pas porter préjudice à la production nationale. 

C’est tout à fait prévisible d’enregistrer un manque de production d’un produit donné, pour une raison ou une autre. Seulement, il faut admettre ce manque, l’assumer et œuvrer pour y remédier.
La protection de la production nationale est une priorité et l’approvisionnement régulier du marché est une nécessité. Il est également inconcevable de geler ou interdire l’importation d’un produit dont la production locale n’est pas suffisante et ne peut  répondre aux besoins du marché. 

Cela ne peut qu’encourager le monopole qui conduit à la spéculation.
Dans ce sens, l’office en question doit détenir toutes les informations concernant les projections de la production nationale ainsi que les besoins du marché. Ces informations permettent d’avoir une idée claire sur la production et prévoir l’excès ou la pénurie d’un produit donné et agir selon la situation qui se présente. L’office doit travailler en étroite collaboration avec tous les intervenants dans le processus de production et être en contact permanent avec l’administration agricole et les conseils interprofessionnels des différentes filières 

Œuvrer pour la protection de la production nationale, en abondance sur le marché local, par les mesures qui s’imposent 

Tous les pays du monde, en particulier les plus développés, recourent à plusieurs méthodes, directes et indirectes (restriction aux importations, instauration de quotas, augmentation des droits de douane, instauration de barrières sanitaires et phytosanitaires et sanitaires) afin de protéger leurs produits locaux et ainsi protéger les revenus des producteurs afin qu’ils puissent continuer à exercer leurs activités et investir davantage. Mais le produit à protéger doit être présent sur le marché en quantité suffisante sinon cette mesure conduira inéluctablement à l’encouragement du monopole qui conduit à l’apparition de la spéculation et, par conséquent, la flambée des prix.

L’office doit identifier les produits concernés par ces mesures, identifier les zones de production, les prévisions de production et établir les modalités d’approvisionnement régulier du marché local. L’avis de l’office doit être déterminant pour la prise de décision. Est-il normal de protéger un produit local qui se fait rare sur le marché et se vend à des prix exorbitants hors de portée des consommateurs ?


On doit impérativement avoir des chiffres fiables sur notre production et les besoins de la population, savoir exactement quel produit protéger et quel produit soutenir pour améliorer la production afin de répondre aux besoins du marché local. Après tout, l’importation est un moyen de réguler le marché lorsque la production locale fait défaut. La réduction de la facture alimentaire doit être une conséquence de l’amélioration de la production locale et non des mesures de restriction aux importations tous azimuts ! 

Je n’encourage pas l’importation, bien au contraire, je plaide toujours pour l’amélioration «effective» de la production nationale en optant pour une stratégie efficace et efficiente et en finir avec le bricolage et la gabegie. 
La réalisation de la sécurité alimentaire suppose le développement du secteur de l’agriculture qui passe inévitablement par l’organisation du marché. 

Les produits agricoles nécessaires à l’alimentation de la population doivent être disponibles, en quantités suffisantes et à des prix abordables, une bonne et correcte régulation du marché est le seul secret pour y parvenir ! 

Par Aissa MANSEUR
Consultant en développement agricole

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