La France s’apprête dès demain, dimanche, à voir une recomposition en profondeur de sa carte politique, non sans risques et périls. On savait l’extrême droite sur une trajectoire favorable depuis plusieurs années, mais les résultats des dernières élections européennes, et surtout la décision d’Emmanuel Macron de crever l’abcès en convoquant des législatives anticipées, accélèrent de mettre le pays devant un tournant politique dont l’issue aura des répercussions certaines au-delà du contexte européen.
La position géographique de la France, son statut de puissance militaire, diplomatique et économique et son passé colonial confèrent au rendez-vous plusieurs strates d’enjeux qui le singularisent comparativement aux implications politiques que charrient la percée de l’extrême droite dans d’autres Etats de l’Europe. Après l’Italie, depuis plus d’une année et demi, la France pourrait être le deuxième Etat fondateur de l’UE à être gouverné par la droite radicale au lendemain du 7 juillet prochain.
L’Allemagne, autre mastodonte de l’UE où la tentation du virage à droite se précise d’échéance en échéance, n’est pas logée à la même enseigne. Pour le moment. La coalition socio-démocrate au pouvoir a reçu certes une tannée, mais les conservateurs viennent de battre, à l’occasion des mêmes européennes, les populistes de l’AFD, même si ce dernier a marqué de nouveaux points à l’occasion du scrutin.
L’urgence donc est signalée du côté de l’Hexagone sur lequel se braquent naturellement les projecteurs dans la semaine fatidique qui arrive, d’autant que la sérénité ne semble pas du tout au rendez-vous. Emmanuel Macron s’attire les foudres des critiques une nouvelle fois en injectant dans le débat, déjà tendu, la notion de «guerre civile». Pour le président français «le programme des extrêmes», comprendre le duel annoncé entre le Rassemblement national (RN) et le Nouveau front populaire, son noyau LFI notamment, peut mener à la confrontation au-delà de la compétition électorale.
Les deux entités politiques sont présentées régulièrement par les sondages, depuis l’annonce des législatives anticipées, respectivement comme premier et deuxième vainqueurs du vote, sans majorité absolue cependant. La substance des déclarations de Macron, malgré le tollé scandalisé qui les a accueillies, se décline dans la rue ; il y a deux jours, des candidates de LFI ont vu leurs affiches de campagne flanquées de bandeaux les désignant comme «candidates du Hamas», dans la région de Marseille.
La présentation par le leader du RN, Jordan Bardella, de son programme de probable Premier ministre annonce également la couleur, et celle-ci n’est pas pour rassurer des pans entiers de la société française. Tour de vis sécuritaire, remise en cause du droit du sol (vieux de cinq siècles) pour la nationalité et lutte acharnée contre la «submersion migratoire».
Ses déclarations clivantes sur le sujet des binationaux à interdire de certains postes «sensibles» au niveau de l’Etat ont accentué les craintes et les réseaux sociaux se sont enflammés. Selon les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques français (Insee), plus de 7 millions d’immigrés, soit 10% de la population vivaient en France en 2022, dont 2,5 millions sont naturalisés. Près de 19 millions de Français, dont le président actuel du RN, ont des ancêtres étrangers.
C’est sur le terrain délicat de cette sociologie particulière que l’extrême droite s’apprête à mettre en œuvre ses plans xénophobes, avec comme cible de prédilection les Africains (près de 50% des immigrés) et les musulmans, au risque de sérieusement envenimer le climat politique en interne et ouvrir des fronts d’hostilité avec les partenaires du Sud.
Les conséquences et responsabilités historiques du passé colonial de la France, pourtant revendiqué comme l’âge d’or de la nation dans la philosophie de l’extrême droite, sont frappées de déni, et l’attitude du duo Marine Le Pen et Jordan Bardella s’inscrit dans la lignée. Sauf que cette fois, ils risquent fort bien de s’exprimer au nom de l’Etat, dans quelques semaines, et non plus comme de simples voix radicales de l’opposition.