Outre la procédure de destitution désormais invalidée, le président Yoon Suk-yeol est visé par une enquête de police pour «rébellion».
Le président sud-coréen, Yoon Suk-yeol, a échappé hier à la destitution, sauvé par les députés de son parti qui ont boycotté un vote en ce sens au Parlement, quatre jours après sa tentative ratée d’imposer la loi martiale et malgré la pression de dizaines de milliers de manifestants.
Dans une ambiance survoltée, sous les quolibets et les hurlements, presque tous les députés du Parti du pouvoir au peuple (PPP), la formation de M. Yoon, ont quitté l’hémicycle au moment du vote. Au moins 200 voix sur 300 étaient nécessaires pour démettre l’impopulaire président conservateur, au pouvoir depuis 2022, mais seuls 195 députés ont finalement participé au scrutin.
«En conséquence, je déclare que le vote sur cette question est invalide», a déclaré le président de l’Assemblée nationale, Woo Won-shik. «L’échec du vote sur cette question signifie l’échec du processus démocratique à propos d’un problème national critique. Au nom de l’Assemblée nationale, je présente mes excuses au peuple», a ajoute M. Woo.
Pour l’emporter, l’opposition, qui compte 192 députés, devait rallier à sa cause au moins huit élus du parti présidentiel. Mais seuls trois députés du PPP ont voté, malgré l’insistance de M. Woo qui a laissé le scrutin ouvert jusque tard dans la soirée, en suppliant les députés du parti présidentiel de revenir déposer leur bulletin pour «protéger la République de Corée et sa démocratie».
Près de 150 000 manifestants anti-Yoon, selon la police citée par l’agence de presse Yonhap, ont entouré hier soir le bâtiment de l’Assemblée nationale, bravant le froid glacial. Les organisateurs ont revendiqué pour leur part un million de participants.
Des milliers de partisans de Yoon ont manifesté de leur côté dans le centre de la capitale Séoul. Yoon Suk-yeol avait sidéré la Corée du Sud mardi soir en annonçant l’imposition de la loi martiale – une mesure sans précédent depuis 1980, après le coup d’Etat du dictateur Chun Doo-hwan – et en envoyant l’armée au Parlement dans le but de le museler.
Dans des conditions rocambolesques, 190 députés avaient tout de même réussi à tenir une séance d’urgence dans la nuit, pendant que leurs assistants bloquaient les portes de l’hémicycle avec des meubles pour empêcher les soldats armés d’entrer. A l’unanimité, ces députés avaient voté contre la loi martiale, forçant le chef de l’Etat à l’abroger au bout d’à peine six heures.
Dans une allocution télévisée à la nation d’à peine deux minutes hier matin, M. Yoon, 63 ans, a annoncé qu’il confierait à sa formation le soin de prendre «des mesures visant à stabiliser la situation politique, y compris concernant (son) mandat». «Je ne fuirai pas mes responsabilités légales et politiques concernant la déclaration de la loi martiale», a-t-il ajouté.
Il a expliqué son coup de force par son «désespoir en tant que président», alors que le Parlement, largement dominé par l’opposition, torpillait pratiquement toutes ses initiatives. «J’ai causé de l’anxiété et des désagréments au public. Je présente mes excuses sincères», a-t-il conclu avant de s’incliner profondément devant les téléspectateurs.
Animosité générale
Sa très courte prise de parole n’a en rien calmé l’animosité générale. Le chef du PPP, Han Dong-hoon, a affirmé qu’«une démission anticipée du président est inévitable», l’exercice normal de ses fonctions étant, selon lui, «impossible dans ces circonstances».
Mais à l’issue d’une réunion dans la nuit de vendredi à hier, une majorité de députés du parti avait réaffirmé la ligne officielle selon laquelle ils feraient échec à la destitution, alors que M. Han avait demandé la «suspension rapide» de M. Yoon. «Il semble que le parti au pouvoir ait décidé de s’opposer à la destitution lors du vote à condition que le président lui cède le contrôle», a déclaré à l’AFP Chae Jin-won, chercheur au Humanitas College de l’université Kyung Hee.
«Le problème principal est que, tout en reconnaissant que le président a commis des actes répréhensibles et qu’il est un criminel, ils ne veulent tout simplement pas donner le pouvoir à Lee Jae-myung», le chef du Parti démocrate, principale force de l’opposition, a ajouté M. Chae.
Devant l’Assemblée, les dizaines de milliers de manifestants anti-Yoon ont suivi le vote avec angoisse sur des écrans géants, en brandissant des pancartes réclamant la destitution du président et entonnant des chants prodémocratie. «C’est terrible d’en arriver là aujourd’hui», s’est exclamé An Jun-cheol, 24 ans.
«Ce que les députés du parti au pouvoir ont fait aujourd’hui, se retirer du vote, n’est rien d’autre qu’une tentative d’asseoir leur pouvoir et leurs privilèges, sans se soucier du peuple.» Un rassemblement pro-Yoon a également eu lieu sur la place centrale de Gwanghwamun.
Des manifestants y ont brandi des affiches «Arrêtez Lee Jae-myung», d’autres ont agité des drapeaux américains. Outre la procédure de destitution désormais invalidée, Yoon Suk-yeol est visé par une enquête de police pour «rébellion», un crime théoriquement passible de la peine de mort, qui n’a plus été appliquée dans le pays depuis 1997.