Contes & histoires : Le livre des Mille et Une nuits

23/03/2024 mis à jour: 12:46
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A ces paroles, je fus fort stupéfait, et je la remerciais pour son acte, et je lui dis : «Quant à la perte de mes frères, vraiment il ne faut pas !» Puis je lui racontais ce qui m’était advenu avec eux depuis le commencement jusqu’à la fin. Lors- qu’elle eut entendu mes paroles, elle dit : «Moi, cette nuit, je m’envolerai  vers eux et je ferais sombrer leur navire : et ils périront  !» Je lui dis : «Par Allah sur toi ! ne le fais point, car le Maître des Proverbes dit : Ô bienfaiteur d’un homme indigne, sache que le criminel est puni suffisamment par son crime même ! Or, quoi qu’il en soit, ils sont tout de même mes frères !» 

Elle dit : «Il faut absolument que je les tue !» Et j’implorais vainement son indulgence. Après quoi, elle me prit sur ses épaules, et s’envola, et me déposa sur la terrasse de ma maison.  Alors, j’ouvris les portes de ma maison. Puis je retirais les trois mille dinars de leur cachette. Et j’ouvris ma boutique, après avoir fait les visites nécessaires et les saluts d’usage ; et je fis de nouvelles emplettes de marchandises. 

Lorsque vint la nuit, je fermais ma boutique et, en entrant dans ma maison, je trouvais ces deux chiens attachés dans un coin. Quand ils me virent, ils se levèrent et se mirent à pleurer et à s’attacher à mes vêtements ; mais tout de suite, accourut mon épouse qui me dit : «Ce sont là tes frères.» Je lui dis : «Mais qui a pu les mettre dans cet état ?» 

Elle répondit : «Moi ! J’ai prié ma sœur, qui est bien plus versée que moi dans les enchantements, et elle les mit dans cet état, dont ils ne pourront sortir qu’au bout de dix années.» C’est pourquoi, ô puissant genni, moi, je vins en cet droit-ci, car je me rends auprès de ma belle-sœur pour la prier de les délivrer, puisque voici déjà les dix années écoulées. «A mon arrivée ici, je vis ce bon jeune homme, j’appris son aventure, et ne voulus point bouger avant d’avoir vu ce qui pouvait survenir entre toi et lui ! Et tel est mon conte.»

Le genni dit : «C’est vraiment un conte étonnant : aussi je t’accorde le tiers du sang en rachat du crime.»
Alors s’avança le troisième cheikh, le maître de la mule, et dit au genni : «Moi je te raconterai une histoire plus merveilleuse que celle des deux autres. Et tu m’accorderas en grâce le reste du sang en rachat du crime.» Le genni répondit : «Qu’il en soit ainsi !»


Et le troisième cheikh dit :

CONTE DU TROISIÈME CHEIKH
 

«Ô sultan, ô toi le chef des genn ! cette mule était mon épouse. J’avais été une fois en voyage, je m’étais absenté loin d’elle une année entière ; et quand j’eus terminé mes affaires, je revins pendant la nuit auprès d’elle, et je la trouvais couchée avec un esclave noir sur les tapis du lit ; et tous deux étaient là qui causaient, et minaudaient, et riaient, et s’embrassaient, et s’excitaient en folâtrant. Aussitôt qu’elle me vit, elle se leva vite et se jeta sur moi en tenant une cruche d’eau ; elle murmura quelques paroles sur cette cruche d’eau, m’aspergea avec l’eau, et me dit : « Sors de ta propre forme et deviens l’image d’un chien !» Et immédiatement je devins un chien ; et elle me chassa de ma maison. Et je sortis, et depuis lors, je ne cessais d’errer, et je finis par arriver à la boutique d’un boucher. Je m’approchais et me mis à manger des os. Lorsque le maître de la boutique me vit, il me prit, et vint avec moi à sa demeure.

Lorsque la fille du boucher me vit, aussitôt elle se voila le visage à cause de moi, et dit à son père : «Est-ce ainsi que l’on fait  ? Tu emmènes un homme et tu entres chez nous avec lui !» Son père dit : «Mais où est cet homme ?» Elle répondit : «Ce chien est un homme. Et c’est une femme qui l’a ensorcelé. Et moi je suis capable de le délivrer.» A ces paroles, le père dit : «Par Allah sur toi ! ô ma fille, délivre-le !» Elle prit une cruche d’eau et, après avoir murmuré sur cette eau quelques paroles, elle m’aspergea avec quelques gouttes, et dit : «Sors de cette forme-ci et reviens à ta forme première !» Alors je revins à ma forme première, et je baisais la main de la jeune fille, et je dis : «Je désire maintenant que tu ensorcelles mon épouse comme elle m’a ensorcelé.»
 

Traduit par Dr Joseph-charles Mardus
 

(A suivre)

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