Construction de la résilience face aux vulnérabilités liées aux risques des séismes en Algérie

23/05/2023 mis à jour: 00:17
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Des pays différents peuvent être exposés au même risque de catastrophe liée aux séismes, mais en ayant une résilience différente. 

En effet, les pays développés sont dotés de moyens humains et matériels incontestablement mieux adaptés pour faire face aux dangers des tremblements de terre. Ils possèdent des cadres législatifs assez complets en matière de prévention et de gestion de ce type de risque naturel, d’aménagement du territoire, d’organisation des secours et d’anticipation sur le futur. 

Ainsi, les pays développés se caractérisent par un niveau de résilience élevé face aux risques des séismes, puisqu’ils possèdent la capacité d’encaisser le choc et revenir vers une situation normale. 

A l’inverse des pays développés, les préjudices humains et économiques des catastrophes liées aux tremblements de terre peuvent être insoutenables pour les pays en développement. Lorsqu’ils sont exposés à ces aléas naturels, ils se caractérisent le plus souvent par une capacité de résistance et d’adaptation plus faible en raison même de leur niveau de développement. 

La vulnérabilité de ces pays peut être liée à des actions de prévision faibles, l’insuffisance des moyens techniques et financiers, des actifs physiques de la population peu diversifiés et des moyens de protection peu adaptés. Ces pays sont donc vulnérables et dans l’incapacité d’affronter et de se relever des conséquences des catastrophes liées aux tremblements de terre de grande ampleur. 

De par la singularité de sa géographie, sa topographie et sa localisation sur une frontière active de plaques au niveau de la convergence de l’Afrique et de l’Eurasie (Europe et Asie en tant que continent unique), l’Algérie est exposée à plusieurs risques naturels. 

En effet, une grande partie des territoires, notamment le Nord, est considéré comme une zone d’activité sismique élevée (terrestre plus que marine). En outre, ces dernières décennies, la vulnérabilité des villes et des agglomérations face à ce risque de catastrophe naturel s’est accentuée à cause de la concentration urbaine. 

Au cours de son histoire, l’Algérie a subi plusieurs séismes dévastateurs. Parmi les plus récents, les séismes d’El Asnam en 1980 (2600 morts et des préjudices matériels considérables) et de Boumerdès en 2003 (2278 morts et des dégâts matériels estimés à 5 milliards de dollars). 

Et les tremblements de terre survenus ces dernières années à Alger en 2014 (6 morts, 420 blessés et plusieurs habitations endommagées), Mila en 2020 (des dommages considérables, notamment dans les habitations), et en 2021 notamment au mois mars à Béjaia et Skikda (des effondrements totales d’habitations), montrent que dans de telles situations, le pays reste vulnérable face à ce risque de catastrophe naturelle. 

Il faut savoir qu’en Algérie, l’idée de prévention face aux risques sismiques a émergé après les effets dévastateurs du tremblement de terre d’El Asnam. Ceci a élevé à l’époque la sensibilité de la société civile et l’engagement des pouvoirs publics pour construire une résilience et réduire les risques de ce danger naturel. En 1985, deux textes ont été décrétés portant sur la prévention des risques de catastrophes et les modalités d’organisation et de mise en œuvre des interventions et secours, «Plan Orsec». 

Mais c’est essentiellement depuis 2001 que l’Algérie intègre pour la première fois, explicitement, le principe de la prise en compte des risques majeurs, notamment sismiques, dans les projets d’aménagement du territoire et au développement durable. En 2004, dans le cadre du premier Plan national d’action pour l’environnement et le développement durable (PNAE- DD, 2002-2012), de nouvelles règles de prévention des risques ont été introduites. 

Il s’agit de : 1/ l’information et la formation en matière de prévention des risques et de gestion des catastrophes. 2/ La formation à travers des programmes d’enseignement sur les risques de catastrophe et les moyens de prévention pour l’ensemble des acteurs impliqués dans la prévention et la gestion des catastrophes. 3/ Le renforcement des moyens et des capacités des institutions scientifiques et techniques pour mieux se préparer et s’adapter aux aléas. 

Et depuis 2005, dans le cadre d’action de Hyogo, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) accompagne l’Algérie dans le but de promouvoir une approche stratégique et systémique de la réduction de sa vulnérabilité et de l’exposition aux aléas. Le partenariat avec le PNUD a notamment mis l’accent sur le développement des capacités locales et le savoir-faire technique, la sensibilisation des collectivités et des responsables aux risques de catastrophe, l’introduction de nouvelles mesures pour l’aménagement du territoire qui tiennent compte des vulnérabilités physiques et des risques technologiques, et enfin l’introduction de la pédagogie de la résilience face aux risques de catastrophe dans le système d’éducation dans le cadre de la stratégie de développement durable. 

Ainsi, le cadre juridique et réglementaire relative à la prévention des risques a été renforcé progressivement. Toutefois, cela reste insuffisant pour construire une résilience puisque les dangers des tremblements de terre demeurent potentiellement lourds de conséquences pour les populations. Selon une étude effectuée sur le terrain en 2018 par deux économistes, Younes Bouacida et Djeflat, cette situation en Algérie est la conséquence d’une combinaison de facteurs, dont le jeu contribue à expliquer les difficultés à réduire l’ampleur des dégâts sur les populations. 

Le premier semble être un manque de sensibilité dans les politiques de prévention qui ont été mises en place par les pouvoirs publics pour faire face aux risques de tremblements de terre. Le deuxième facteur est lié à l’insuffisance des lois et des textes réglementaires de prévention qui réduit leur efficacité mais surtout la difficulté dans leur application et le non-respect des lois en particulier. 

C’est le cas des constructions anarchiques, l’absence des normes de constructions antisismiques (dans les habitations privées et les bâtiments publics) et le non-respect de la réglementation en matière d’urbanisme et de construction. Le troisième facteur est lié à l’absence de la culture du risque face aux séismes dans la société algérienne en générale. 

Le cinquième facteur est lié au manque de la maîtrise des connaissances et des technologies qui réduit l’efficacité des politiques de prévention. Le sixième facteur concerne la faible capacité d’intervention des différents acteurs, ou la présence de ménages pauvres qui vivent dans des logements précaires et ne disposant ni d’épargne ni d’assurance pour faire face à une catastrophe de tremblement de terre lorsqu’elle les affecte. Enfin, il ne semble pas exister encore une évaluation multi-aléas intégrée pour le pays ainsi qu’une cartographie sismologique effective de la prévention du risque sismique. 

Ceci explique pourquoi les politiques publiques algériennes en la matière peinent à en juguler les effets dévastateurs des séismes sur les populations. En définitive, les politiques visant à la prévention, l’atténuation des effets, la résistance et la réduction de la vulnérabilité, c’est-à-dire les mesures ex ante (avant les faits) et ex post (après les faits), et qui représentent les meilleurs moyens pour mieux se protéger et réduire les risques face à ce type d’aléa naturel doivent être renforcées. 

Autrement dit, les pouvoirs publics, les citoyens pris individuellement et l’ensemble de la société civile doivent être préparés et capables d’assurer leur rôle qui consiste à la mise en œuvre des mesures à tous les niveaux, tout en disposant des moyens nécessaires pour gérer une catastrophe de tremblement de terre quand elle se produit. Les catastrophes naturelles restreignent les capacités d’un pays car elles détruisent le capital et mènent à orienter les ressources sur l’assistance et la reconstruction. 

Dès lors, le développement de la résilience face à ce type d’aléa naturel en Algérie implique d’anticiper, c’est-à-dire déployer tous les efforts nécessaires afin de mettre en place les capacités d’adaptation permettant de se protéger et réduire les risques. Cela pourrait se réaliser grâce à des mesures telles que l’application des normes parasismiques dans les projets de construction ainsi que l’élaboration de plans de sécurisation des anciennes habitations afin de limiter les conséquences pour les systèmes économiques et sociaux. Et pour y parvenir, on doit mettre les moyens. 

C’est l’occasion de promouvoir une approche stratégique de la réduction de la vulnérabilité face aux dangers de tremblements de terre. Dans une étude empirique et qualitative publiée en 2018 dans une revue au Canada, les deux professeurs Younes Bouacida et Djeflat ont proposé un modèle de résilience construite à cinq entrées face aux risques des tremblements de terre.


1/ Des politiques de prévention efficaces et appliquées : elles constituent une capacité d’adaptation anticipative ou planifiée aux risques de tremblement de terre et la capacité de réponse d’un système pour édifier une société résiliente. Par exemple, la planification intégrée des activités de la reconstruction ou une préparation fondée sur des systèmes d’alerte précoce permet de sauver des vies humaines et de se prémunir du fardeau économique occasionné par un séisme. Aussi, le développement d’une culture du risque est une cible de la politique publique de prévention. 

Cette dernière doit jouer le rôle de mieux informer et plus sensibiliser les populations. Au final, la culture du risque sera favorisée si, au préalable, les pouvoirs publics, les collectivités, les citoyens et les différents acteurs de la société civile pourraient jouer un rôle en termes d’information préventive ou d’éducation face aux risques de ce type de catastrophe naturelle.


2/ Un apprentissage en matière de prévention : il contribue à pro- mouvoir un système résilient. Les programmes de simulation par exemple sont un excellent moyen d’amélioration des dispositifs de prévention de risques majeurs qui permettent de s’assurer de l’efficacité des mesures de prévention. Faciliter l’apprentissage permet de rendre plus efficace les mesures réactionnelles et mieux se préparer face aux risques de catastrophe liée à un séisme. Dans l’intervalle, cela va contribuer à l’identification des moyens existants et les moyens à pourvoir pour une gestion efficace en cas de danger.


3/ Maîtrise suffisante des connaissances et des technologies : les activités dans le domaine de la prévention nécessitent de promouvoir des connaissances et des technologies à différents niveaux de la société. Il s’agit d’une préoccupation générale des décideurs politiques, des entreprises, des organisations de la société civile et des citoyens qui participent au processus de prise de décision, permettant une maîtrise des connaissances et des technologies afin d’apprécier l’impact des risques de ce type de catastrophe.


4/ Mobilisation suffisante des moyens : pour promouvoir une société résiliente, il est important que les pouvoirs publics mobilisent les ressources et les capacités suffisantes, notamment aux autorités locales en vue de l’application des mesures de prévention sur le terrain et pour entreprendre des actions efficaces dans la gestion des risques liés aux séismes. Ce soutien est nécessaire à travers l’appui au développement de compétences locales et de savoir-faire technique et l’octroi de budgets et de moyens adéquats.


5/ Appui des organisations internationales : Cet appui peut être fondamental quand il s’agit de pays et de territoires en développement. Pour l’Algérie, un appui méthodologique de la part des organisations internationales est nécessaire compte tenu de ses faibles capacités de résilience.
 

Au total, les systèmes techniques et sociaux peuvent se répartir en systèmes hautement et faiblement résilients. Dans les systèmes hautement résilients, l’application de la gestion stratégique, l’adaptabilité et la flexibilité sont des éléments clés face aux risques des catastrophes liés aux séismes. 

Dans les systèmes faiblement résilients, à l’instar de Algérie, qui se caractérisent souvent par de faibles politiques de prévention, des difficultés d’application de la gestion stratégique, une insuffisance des moyens et des capacités, une maîtrise insuffisante des connaissances et des technologies et une faible capacité à réagir et à s’organiser, une approche intégrée selon l’approche proposée s’avère nécessaire pour face aux dangers liés aux tremblements de terre.  

 

 

Par Rédha Younes Bouacida 

Docteur en sciences économiques 
d’Aix-Marseille, université, France, 
Professeur des universités, FSESG, 
Skikda, Réseau de Recherche sur l’Innovation (RRI), France & Association Tiers Monde (ATM), France.

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