Constantin Virgil Ivan-Cucu. Coordinateur du programme EuroMed Justice : «Il faut passer à de lourdes peines pour lutter contre la criminalité écologique»

18/03/2023 mis à jour: 05:57
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Coordinateur du programme EuroMed Justice, Constantin Virgil Ivan-Cucu, expert du renforcement des capacités judiciaires dans le cadre du projet EuroMed Justice, plaide pour le «renforcement de la législation en matière de lutte contre la criminalité environnementale» qui, dit-il, «constitue  le maillon faible de la justice pénale et civile». 


Dans l’entretien qu’il nous a accordé en marge des travaux de la 2e Conférence de la justice environnementale dans le bassin méditerranéen, il plaide pour «des sanctions  pénales et pécuniaires» plus lourdes et un mécanisme d’application et «de confiscation plus efficace».

 

                                                                                    Entretien réalisé par   Salima Tlemçani

 

 

 

-Lors de votre intervention à la 2e Conférence internationale sur la criminalité environnementale, vous aviez plaidé pour une réforme rapide de la législation en matière de lutte contre les crimes écologiques. Partez-vous le constat des experts, qui évoquent un décalage entre la prolifération de la criminalité environnementale et la justice pénale et civile en matière de répression ?


Effectivement, je pense que la législation de lutte contre la criminalité environnementale doit être uniforme au niveau de l’UE (Union européenne) et dans le bassin méditerranéen. 


Les différentes entités et compagnies industrielles profitent des failles de cette législation en agressant chaque jour l’environnement par leurs activités criminelles. Aussi bien les sanctions pénales que les amendes sont loin de couvrir les dommages occasionnés. Plus grave, pour procéder à la confiscation, il faut passer par une lourde procédure judiciaire souvent très difficile à faire appliquer. 
Avec de telles lois, comment peut-on lutter contre la criminalité écologique ? Il faut passer à de lourdes peines et de lourdes amendes pour le faire. 


-Pensez-vous que la législation soit un moyen efficace de lutte contre la criminalité environnementale, sachant que les grands pollueurs sont souvent de puissantes compagnies et entités liées à des Etats complaisants ?


En fait, lorsque les lois définissent les crimes contre l’environnement et déterminent clairement les sanctions y afférentes et surtout les procédures de confiscation des avoirs, la complaisance sera plus difficile. Les compagnies industrielles ne ressentent pas cette crainte de faire l’objet d’une mesure de confiscation qui risque de faire mal à leur trésorerie. Malheureusement, nous ne sommes pas dans ce cas. Oui, le processus actuel est compliqué et difficile à appliquer. Ce qui facilite la criminalité environnementale. Il existe une législation internationale contre le trafic des espèces protégées, le trafic d’armes et de drogue, mais les lois en ce qui concerne les atteintes à l’environnement ne constituent pas une réponse aux menaces. 
La législation doit être renforcée pour être plus répressive et facilement exécutée sur le terrain. 


-Quelles solutions préconisez-vous pour faire face aux menaces qui pèsent sur l’environnement ?


D’abord, avoir une justice qui peut rendre des décisions judiciaires sur le champ dans n’importe quel pays de l’Europe ou du bassin méditerranéen, à travers un réseau de juges spécialisés connectés et non pas isolés dans le processus judiciaire. 


Ainsi, nous pouvons agir et rapidement confisquer les avoirs en dédommagement des dégâts occasionnés aux victimes et à l’environnement. 


La lutte contre la criminalité environnementale fait partie des priorités. Elle doit avoir une prise en charge à la hauteur des défis et menaces. Quel rôle le programme EuroMed Justice peut-il jouer pour rendre la lutte contre la criminalité environnementale plus efficace et surtout impliquer tous les acteurs, notamment les magistrats, des pays de la rive sud de la Méditerranée. 


Le programme EuroMed Justice, n’est pas une simple analyse. Il aide à une meilleure législation, avec une efficiente application. 
Il aide à l’identification des crimes environnementaux et à définir les sanctions et ce qui peut être applicable pour savoir ce qui peut être décidé en matière de lutte contre la criminalité écologique. 


-Comment faire pour que la lutte contre cette criminalité, qui est actuellement le maillon faible des politiques judiciaires de l’Europe et des pays méditerranéens, se transforme en priorité ?


D’abord par ce genre de Conférence, dont celle qu’abrite l’Algérie et celle qui l’a précédée, les 22 et 23 juin 2022 en Tunisie. Ces manifestations sont importantes et permettent d’avancer rapidement dans le domaine à travers le dialogue entre experts des pays participants. Elles facilitent les liens entre les Etats du bassin méditerranéen et la Commission européenne, mais aussi le dialogue afin d’arriver à des traités bilatéraux. Nous pouvons aussi, et c’est possible, faire en sorte de désigner des magistrats de liaison qui seront connectés au réseau de leurs collègues méditerranéen et européen. 


Mieux encore. Ils auront l’opportunité d’être reliés au groupe d’experts, appelé CrimEX, et qui sont les directeurs de 11 pays, ainsi qu’au Forum des procureurs généraux. Le programme EuroMed Justice existe depuis 2016. 


Il a développé la vision et le concept stratégique de la coopération interrégionale et euro-méditerranéenne en matière pénale et civile, et a poursuivi sa mise en œuvre, y compris la création d’un mécanisme interrégional durable de coopération judiciaire. Il a permis la mise en place du groupe d’experts CrimEx et rédigé les principaux instruments de coopération. 


La réunion des points des magistrats de liaison ou des points contacts avec les membres du CrimEx, et la première réunion du Forum des procureurs généraux constituent des événements et des étapes importantes de ce programme. Nous comptons, vers la fin de l’année en cours, réunir les procureurs généraux des pays de l’UE et de la rive sud de la Méditerranée. 


Ce qui constituera une avancée considérable en matière de rapprochement et de dialogue en vue de lutter ensemble et efficacement contre la criminalité environnementale. Il est question de conjuguer les efforts pour prioriser la politique pénale en matière de lutte contre les crimes environnementaux et améliorer les procédures pénale et civile, qui sont les instruments de cette lutte. 


L’Algérie gagnera beaucoup en s'insérant dans ce dispositif. C’est une opportunité qui lui donnera accès aux banques de données, à l’échange d’informations, au renforcement de sa législation, etc. 

 

 

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