Conflit russo-occidental sur l’Ukraine : Pas de consensus en Europe pour envoyer des instructeurs militaires à Kiev

29/05/2024 mis à jour: 20:06
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Il n’y a pour l’instant «pas de consensus» dans l’Union européenne (UE) pour envoyer des instructeurs militaires sur le sol ukrainien. C’est ce qu’a affirmé hier à Bruxelles le chef de la diplomatie européenne à l’issue d’un conseil des ministres de la Défense de l’UE, selon l’AFP. 

Un débat s’est engagé sur cette éventualité, «mais il n’y a pas pour le moment de position commune claire sur ce sujet», a déclaré Josep Borrell lors d’une conférence de presse à l’issue de la réunion.
Le président français, Emmanuel Macron, a créé la controverse fin février en affirmant que l’envoi de troupes occidentales sur le sol ukrainien ne devait pas «être exclu» à l’avenir.
 

La plupart des pays européens, ainsi que les Etats-Unis se sont nettement démarqués, mais certains pays, comme la République tchèque, ont depuis fait un pas dans sa direction. Nombre de pays européens redoutent une escalade du conflit dans lequel l’Otan serait alors impliqué. 
 

Quelque 50 000 militaires ukrainiens ont déjà été formés grâce à un programme financé par l’Union européenne, et 10 000 de plus pourraient l’être avant la fin de l’année, a indiqué J. Borrell. Pour le ministre estonien de la Défense, Hanno Pevkur, il en faudrait au moins 100 000, selon un communiqué de son ministère. 

Plus tôt, Le chef de la diplomatie européenne a exhorté les 27 à trouver un équilibre entre crainte d’une escalade et nécessité pour les Ukrainiens de se défendre, jugeant que Kiev devait pouvoir frapper le sol russe avec des armes occidentales. «Selon les lois de la guerre, c’est parfaitement possible, et il n’y a pas de contradiction, je peux riposter ou me battre contre celui qui m’attaque depuis son territoire.» «Il faut un équilibre entre le risque d’escalade et le besoin des Ukrainiens de se défendre», a ajouté Josep Borrell.
 

Réaffirmant l’opposition catégorique de Berlin, la secrétaire d’Etat allemande à la Défense, Siemtje Möller, a indiqué qu’il s’agit d’une «décision souveraine» de son pays. «Le fait d’envoyer du matériel en Ukraine n’implique pas l’Otan dans le conflit. Nous avons le droit d’aider l’Ukraine sans devenir partie au conflit, parce que nous aidons l’Ukraine à maintenir son droit à se défendre», a répondu J. Stoltenberg à son arrivée à la réunion des ministres de la Défense de l’UE.
 

L’Ukraine fait régulièrement pression sur ses partenaires occidentaux, en particulier sur Washington, son premier fournisseur d’armes, pour qu’ils l’autorisent à utiliser les armes à plus longue portée occidentales contre des cibles en Russie.
 

Kiev «a le droit de se défendre» et a donc «le droit de frapper des objectifs militaires légitimes en dehors de l’Ukraine», a déclaré M. Stoltenberg lundi à Sofia.
 

Hier, il a également souligné qu’une fois livrées, les armes occidentales deviennent «des armes ukrainiennes». 
 

Plusieurs pays européens, dont l’Estonie ou les Pays-Bas, se sont montrés favorables à cette option. «Je ne l’ai jamais exclue (...) et j’espère que d’autres pays qui ont une position différente en changeront», a déclaré la ministre néerlandaise de la Défense, Kajsa Ollongren, à son arrivée à Bruxelles.

Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères polonais a déclaré hier que son pays ne devrait pas exclure la possibilité d’envoyer des troupes en Ukraine. Interrogé sur la possibilité d’envoyer des soldats polonais en Ukraine, Radoslaw Sikorski a déclaré : «Nous ne devrions exclure aucune option.» «Que (le président russe Vladimir) Poutine devine ce que nous allons faire», a-t-il ajouté dans un entretien accordé à trois quotidiens européens, dont le polonais Gazeta wyborcza.

 Le ministre polonais avait déjà par le passé évoqué la possibilité d’envoyer des soldats de l’Otan en Ukraine. En mars, il a déclaré que «la présence de forces de l’Otan en Ukraine n’est pas impensable». «J’apprécie l’initiative du président français, Emmanuel Macron, car il s’agit de faire en sorte que Poutine ait peur, et non que nous ayons peur de Poutine», a-t-il dit sur le réseau X (ancien Twitter).
 

Le président français a exprimé cette idée en février, créant un tollé au sein des alliés de Kiev, même si certains ont depuis fait un pas en sa direction, notamment face à la poussée russe sur le front est. Il a récemment une nouvelle fois évoqué cette possibilité, estimant que l’envoi serait possible si Moscou perçait «les lignes de front» et si Kiev le demandait. Ce même jour, la Belgique s’est engagée auprès du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à lui fournir 30 avions de combat F-16 d’ici 2028 pour soutenir Kiev dans la guerre avec la Russie.
 

Volodymyr Zelensky, qui effectue un déplacement de quelques heures à Bruxelles après une étape à Madrid et avant une autre à Lisbonne, a été reçu dans la matinée par le Premier ministre belge, Alexander De Croo, pour signer un accord bilatéral comprenant cet engagement. «M. De Croo et moi avons signé un accord bilatéral de sécurité et de soutien sur le long terme entre l’Ukraine et la Belgique», a rapporté le président ukrainien sur le réseau social X. Le président Zelensky a précisé que l’accord incluait une aide militaire de la Belgique s’élevant à 977 millions d’euros sur la seule année 2024, ainsi que cet engagement «inédit» des Belges sur un nombre exact d’avions de combat F-16. Le premier des 30 «arrivera déjà cette année», a-t-il affirmé. 

Le gouvernement belge, qui attend toujours de prendre possession des F-35 commandés pour remplacer progressivement sa flotte vieillissante de F-16, a dit de son côté espérer une première de livraison à Kiev «si possible avant la fin de l’année».

La Belgique participe à une coalition avec plusieurs autres pays européens (Pays-Bas et Danemark notamment) pour livrer des F-16 à l’Ukraine et, dans un premier temps, former des pilotes ukrainiens à l’usage de ces appareils. Après une entrevue avec le roi des Belges Philippe, Volodymyr Zelensky devait conclure son déplacement en Belgique par une halte à l’aéroport militaire de Melsbroek, près de Bruxelles, pour y rencontrer des instructeurs et techniciens belges spécialistes des F-16.
 

La semaine dernière, la Défense belge a lié la possibilité de livrer des F-16 à deux paramètres : la livraison des F-35 du fabricant américain Lockheed Martin à l’armée de l’air belge, et celle de pièces de rechange pour remettre en service les F-16 belges actuellement immobilisés pour maintenance. Davantage que les F-16 belges, ce qui va faire la différence pour l’armée ukrainienne, «c’est la livraison des moyens de défense antiaérienne» promis par les Occidentaux, avait indiqué le chef de la Défense belge, l’amiral Michel Hofman.

L’Ukraine a besoin de quatre fois plus de systèmes de défense antiaérienne et de «120 à 130» avions de combat F-16 pour pouvoir prétendre mettre fin à la domination de la Russie dans les airs, a estimé récemment V. Zelensky. Lors de son étape à Madrid lundi, le dirigeant ukrainien a appelé l’Occident à contraindre la Russie à la paix «par tous les moyens», au moment où Kiev réclame de pouvoir utiliser des armes occidentales pour frapper le territoire russe.
 

Pour sa part, la Suède a décidé hier de suspendre son projet d’envoyer des avions de chasse Gripen à Kiev, répondant à une demande de pays partenaires de privilégier d’abord la livraison de F-16 à l’Ukraine, selon le ministère suédois de la Défense. «Les autres pays (...) nous ont demandé d’attendre avant de faire don du système Gripen», a dit le porte-parole du ministre de la Défense Pal Jonson. «Nos partenaires de la coalition (...) soulignent que l’introduction simultanée de deux systèmes de combat aérien est très complexe et qu’il convient désormais de se concentrer sur l’introduction du système F-16 dans l’armée de l’air ukrainienne», a-t-il précisé. 
 

Mise en garde de Moscou

De son côté, le président russe, Vladimir Poutine, a mis en garde hier contre l’usage d’armes occidentales visant le territoire russe, évoquant le risque de «conséquences graves». «En Europe, en particulier dans les petits pays, ils doivent réfléchir à ce avec quoi ils jouent. Ils doivent se souvenir qu’ils sont bien souvent des Etats ayant un petit territoire et une population très dense», a prévenu V. Poutine lors d’un point presse à Tachkent, en Ouzbékistan. «Ce facteur est une chose sérieuse qu’ils doivent avoir à l’esprit avant de parler de frapper en profondeur le territoire russe», a-t-il poursuivi. «Cette escalade permanente peu avoir des conséquences graves.»
 

L’Ukraine réclame de pouvoir utiliser les armes livrées par l’Occident contre des cibles militaires en territoire russe, mais le sujet divise profondément les soutiens de Kiev. Parmi les plus réticents, l’Italie et l’Allemagne brandissent le risque d’escalade, avec en filigrane la crainte de l’utilisation de l’arme nucléaire par Vladimir Poutine. 
 

Selon le chef de l’Etat russe, il s’agirait d’une escalade car même si ce sont les militaires ukrainiens qui mèneraient les frappes, elles seraient préparées par les Occidentaux qui fournissent les armes. «La tâche n’est pas préparée par l’armée ukrainienne, mais par les représentants des pays de l’Otan», a-t-il dit, accusant en outre les Occidentaux de vouloir «un conflit mondial». 
 

Lundi, Kiev a annoncé que des instructeurs français allaient se rendre «prochainement» en Ukraine afin de former les troupes ukrainiennes, avant de rétropédaler et indiquer être toujours «en discussions avec la France et d’autres pays sur cette question».
 

Le ministère français de la Défense a évoqué «un chantier» en cours, sans confirmer l’envoi d’instructeurs français en Ukraine. Interrogé sur le sujet hier, Vladimir Poutine a assuré que ces instructeurs «sont là», en Ukraine, «sous l’apparence de mercenaires». «Nous le savons bien. Il n’y a rien de nouveau», a-t-il affirmé à la presse.

 

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