Conflit du Nagorny Karabakh : Bakou installe un premier checkpoint à l’entrée d’un axe vital vers l’Arménie

24/04/2023 mis à jour: 02:31
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Les gardes-frontières azerbaïdjanais affirment avoir agi «en réponse» à une décision similaire prise par Erevan samedi dernier - Photo : D. R.

Des échauffourées meurtrières au Nagorny Karabakh ou à la frontière entre les deux pays continuent d’éclater périodiquement.

L’Azerbaïdjan a annoncé hier avoir installé un premier checkpoint à l’entrée du corridor de Latchine, seul axe routier reliant l’Arménie à la région disputée du Nagorny Karabakh, rapporte l’AFP citant les gardes-frontières. «(…) le 23 avril, un poste-frontière a été installé (...) sur le territoire souverain de l’Azerbaïdjan, à l’entrée de la route Latchine-Khankendi», ont annoncé les gardes-frontières azerbaïdjanais dans un communiqué, disant avoir agi «en réponse» à une décision similaire prise par Erevan samedi.

Une telle mesure, une première depuis la courte guerre qui a opposé en 2020 l’Azerbaïdjan et l’Arménie, a également été mise en place «pour empêcher le transport illégal de main-d’œuvre, d’armes et de mines depuis le territoire de l’Arménie pour les formations illégales de bandits arméniens sur le territoire de l’Azerbaïdjan», ont-ils précisé.

«Le 22 avril, des caméras de surveillance du ministère de la Défense ont enregistré l’entrée sur le territoire azerbaïdjanais de deux conteneurs à des fins militaires et d’un convoi de véhicules militaires arméniens, contrairement à la déclaration trilatérale et aux normes et principes du droit international», a soutenu la diplomatie azerbaïdjanaise dans un communiqué, dénonçant «des menaces et des provocations» de la part d’Erevan.

Le ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères a fait valoir que l’installation d’un checkpoint «servira à la transparence sur les mouvements (...), à l’Etat de droit, et ainsi, à assurer la sécurité et la sûreté des mouvements». Selon les gardes-frontières azerbaïdjanais, la force de maintien de la paix russe, déployée dans la région, et «le centre de surveillance russo-turc» ont été «informés» d’une telle décision.

L’Arménie et l’Azerbaïdjan, deux ex-républiques soviétiques du Caucase, se sont affrontés lors d’une courte guerre en 2020 pour le contrôle de l’enclave du Nagorny Karabakh. Ce conflit a donné lieu à la défaite militaire arménienne et à un accord de cessez-le-feu parrainé par la Russie.

Des échauffourées meurtrières au Nagorny-Karabakh ou à la frontière entre les deux pays continuent toutefois d’éclater périodiquement. Depuis plusieurs mois, l’Arménie met également en garde sur une «crise humanitaire» au Karabakh du fait d’un blocus azerbaïdjanais dans la zone du corridor de Latchine, qui a provoqué des pénuries de médicaments et de nourriture et des coupures d’électricité.

Le Nagorny Karabakh est une région sécessionniste d’Azerbaïdjan, peuplée majoritairement d’Arméniens et soutenue par Erevan. Elle a été le théâtre d’une guerre au début des années 1990, qui a fait 30 000 morts, et depuis, les autorités azerbaïdjanaises veulent en reprendre le contrôle, par la force si nécessaire. Des pourparlers de paix sont dans l’impasse depuis de longues années.

Des combats opposent régulièrement séparatistes et Azerbaïdjanais, mais aussi Erevan et Bakou. En 2016, de graves heurts ont déjà failli dégénérer en guerre au Karabakh, et des combats meurtriers ont aussi opposé en juillet 2020 Arméniens et Azerbaïdjanais à leur frontière nord.

Plus de deux siècles de conflits

Le Karabakh est intégré à l’empire russe en 1805. En 1828, Erevan et le Nakhitchevan passent sous domination russe. De février à août 1905, des combats opposent Arméniens et Azéris dans plusieurs villes, dont Bakou. En mai 1918, l’Azerbaïdjan et l’Arménie proclament leur indépendance et des combats au Karabakh entre les deux pays.

En 1920, l’Azerbaïdjan, le Karabakh et l’Arménie sont intégrés à l’Union soviétique (URSS). L’année suivante, le bureau caucasien du parti bolchevique décide le rattachement du Karabakh à l’Azerbaïdjan. En juillet 1923, est créée la région autonome du Haut-Karabakh.

Heurts

Les événements se précipitent en 1988. En effet, en février, le Soviet du Haut-Karabakh vote son rattachement à l’Arménie. Des heurts se déclenchent à Askeran. En mars, un groupe d’intellectuels crée en Arménie le comité Karabakh, qui devient le porte-parole des aspirations de la population à la démocratisation et à la souveraineté nationale.

En juin, le Soviet suprême d’Arménie adopte, à son tour, une résolution demandant le rattachement du Haut-Karabakh à la République socialiste soviétique d’Arménie. Le mois d’après, le Parlement d’Azerbaïdjan s’oppose au rattachement à l’Arménie de la région du Haut-Karabagh.

En juillet, les députés arméniens de la région autonome du Haut-Karabagh proclament le rattachement de leur région à l’Arménie. Moscou envoie des troupes soviétiques à Stepanakert et interdit tout rassemblement. Le 12 janvier 1989, Moscou place le Haut-Karabakh sous sa juridiction jusqu’en novembre 1989.

Plus de 30 ans de discorde

En 1991, après l’échec du coup d’Etat à Moscou, l’Azerbaïdjan et l’Arménie proclament leur indépendance. Le 10 décembre de la même année, le Nagorny Karabakh proclame son indépendance de Bakou avec le soutien d’Erevan. Après l’éclatement de l’URSS, l’armée soviétique quitte la région. La tension ne cesse d’augmenter entre Erevan et Bakou pour se traduire par deux offensives des forces arméniennes en 1992 et 1993.

En avril 1993, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) demande le retrait des forces arméniennes des territoires azerbaïdjanais occupés. Le 17 mai 1994, un cessez-le-feu négocié par Moscou entre en vigueur. Les Arméniens contrôlent alors environ un cinquième du territoire de l’Azerbaïdjan, dont le Nagorny Karabakh. La guerre a fait près de 30 000 morts.

La même année, l’OSCE crée le Groupe de Minsk, chargé de promouvoir un règlement et constitué des Etats-Unis, de la France et de la Russie. Malgré cette médiation et plusieurs cycles de pourparlers, aucune solution n’est trouvée : Bakou et Erevan ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le statut de ce territoire dont la population est dans sa majorité arménienne, que la communauté internationale considère toujours comme azerbaïdjanais. A ce jour, aucun traité de paix n’a été conclu.

En décembre 1994, sont organisées les premières élections présidentielles au Haut-Karabakh : Robert Kotcharian est élu président. En mars 1995, conformément à un accord signé pour une durée de 25 ans, Moscou et Erevan conviennent du stationnement d’une base militaire russe dans la ville arménienne de Gumri.

En août 1997, le «traité d’amitié, de coopération et d’entraide» entre l’Arménie et la Russie permet aux deux pays d’utiliser les installations militaires de l’autre en cas d’agression extérieure pour 25 ans. En février 1998, le président arménien, Levon Ter-Pétrossian, démissionne après un désaccord avec le Premier ministre, Robert Kotcharian, et le ministre de la Défense.

En avril 2001, après les accords sur le Haut-Karabakh, conclus à Paris par les présidents arménien (Robert Kotcharian) et azerbaidjanais (Heidar Aliev), un plan de règlement est adopté à Key West sous l’égide des Etats-Unis. Plan rejeté par Heidar Aliev dès son retour à Bakou. Fin janvier 2002, création d’une force bilatérale de sécurité commune entre Erevan et Moscou. En décembre 2006, le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, déclare que son pays ne reconnaîtra jamais l’indépendance du Haut-Karabakh.

En novembre 2008, l’Arménie et l’Azerbaïdjan signent une déclaration appelant à un «règlement pacifique» du conflit, mais les accrochages se poursuivent. Le 12 novembre 2014, les forces azerbaïdjanaises abattent un hélicoptère militaire arménien au Nagorny Karabakh, provoquant la mort des trois membres de son équipage, selon les médias arméniens.

Les incidents se multiplient, les deux camps s’accusent de déclencher des attaques. En décembre 2015, le président arménien de l’époque, Serge Sarkissian, et son homologue azerbaïdjanais, Ilham Aliev, se rencontrent sans parvenir à une issue. Début avril 2016, d’intenses combats opposent forces azerbaïdjanaises et arméniennes, laissant craindre une guerre ouverte.

Un cessez-le-feu négocié par la Russie met fin aux combats, mais les tirs et les affrontements meurtriers sur la ligne de front restent fréquents. En 2017, à l’issue d’un référendum, 87% des électeurs approuvent le changement du nom Haut-Karabakh en Artsakh, en référence à son passé arménien. Mais l’Azerbaïdjan a pris sa revanche à l’automne 2020 à l’occasion d’une deuxième guerre, qui a fait 6500 morts et lui a permis de reprendre de nombreux territoires.

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