Conférence de l’ONU sur le droit humanitaire en Palestine occupée : Le projet de déclaration finale avorté

08/03/2025 mis à jour: 21:25
1324
L’armée d’occupation israélienne mène régulièrement des attaques contre le camp de Jénine - Photo : D. R.

La Suisse a annulé la Conférence sur l’application des Conventions de Genève au Proche-Orient, prévue hier à Berne. Après avoir «tenté» jeudi, c’est-à-dire la veille, de trouver en vain «des solutions de compromis», Berne a décidé de «prendre acte de l’absence de consensus autour la déclaration finale».

Prévue hier, la Conférence sur l’application des Conventions de Genève au Proche-Orient, que devait organiser la Suisse, à Berne, à la demande de l’Assemblée générale de l’Onu, a été annulée jeudi en fin de journée, après le rejet par de nombreux pays arabes, latino-américains et africains du projet de déclaration négociée par la représentation helvétique.

Dépositaire de ces Conventions, la Suisse, à laquelle l’Assemblée générale de l’Onu a confié l’organisation de cette réunion des 196 Etats parties, a annoncé aux Etats parties des Conventions sa décision d’annulation de la Conférence.

Dans un communiqué diffusé tard dans la journée de jeudi dernier, la mission suisse de l’Onu à Genève a déclaré : «Après avoir examiné l’état des enregistrements aujourd’hui (NDLR : jeudi dernier) à 16h, le dépositaire arrive à la conclusion qu’il n’y a pas de masse critique suffisante dans les différentes régions pour soutenir le projet de déclaration finale», affirmant que «les Hautes Parties contractantes manquent de volonté indispensable pour organiser la Conférence».

Une conférence qui a été boycottée par les Etats-Unis, alliés indéfectibles d’Israël, lequel a adopté la même posture. En effet, dans un post sur X, sa mission à Genève a affirmé qu’elle «rejette fermement le projet de conférence entièrement politique et controversée» qui, selon elle, «fait partie d’une campagne juridique menée contre Israël».

Pour Israël, la Conférence constitue une «plateforme d’attaque» qui défend «une approche révisionniste» devant mener vers «de nouvelles obligations». De ce fait, il a souligné qu’il «ne prêtera pas main-forte à cette initiative motivée par des considérations politiques».

Durant les semaines de préparation du contenu de la déclaration finale devant être entérinée hier par les 196 Etats parties à la 4e Convention portant sur la protection des civils en période de conflits armés, les divergences ont opposé les alliés d’Israël à ceux qui défendaient le droit humanitaire international.

La délégation palestinienne était elle aussi sur le point de quitter la table, du fait que dans la mouture de cette déclaration, il est fait état de la situation des otages israéliens sans citer celle des détenus Palestiniens. Jugée partiale, cette vision a suscité aussi la contestation des pays membres de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), dont le représentant a adressé un courrier de protestation à la Suisse.

Les défenseurs du droit humanitaire ont plaidé pour une approche plus approfondie qui va au-delà de la simple réaffirmation des droits humanitaires internationaux, en prenant en compte le contenu de l’ordonnance de la Cour de justice internationale (CIJ), en mettant en œuvre un dispositif d’exécution de ce droit et en exigeant des Etats parties qu’ils respectent leurs obligations internationales.

Des médias suisses et arabes ont affirmé que les ONG palestiniennes ont demandé à ce que les Etats parties appellent à la fin de l’occupation israélienne et poursuivent les auteurs et complices des crimes dans les Territoires palestiniens qui se trouveraient chez eux.

Dans une déclaration à l’agence de presse britannique Reuters, l’ambassadeur palestinien auprès des Nations unies à Genève, Ibrahim Khraishi, s’est attaqué au contenu du projet de déclaration finale, en circulation, avant d’annoncer son retrait de la réunion.

«Nous voulons que les Conventions soient mises en œuvre !»

«Nous voulons que la communauté internationale prenne des mesures concrètes et cela n’a pas répondu aux attentes», a-t-il déclaré à l’agence Reuters, en précisant que ces mesures pourraient en inclure d’autres, économiques ou diplomatiques, contre Israël. «Nous voulons que les Conventions de Genève soient mises en œuvre», a-t-il lancé, en suggérant que la mouture finale de la déclaration ne répondait pas aux attentes. 

Interrogé par le même média, un membre de l’OCI a annoncé que les représentants de l’Organisation avaient prévu de se «retirer» de la Conférence du fait que le document «ne reflétait pas la gravité de la situation», en mettant en garde «les grandes puissances» qui, selon lui, «doivent assumer leurs obligations internationales et remplir leurs responsabilités en tant que grandes puissances».

Dans un communiqué de sa représentation diplomatique à Genève, le Royaume-Uni a estimé que, «comme de nombreux autres Etats, il ne pouvait pas soutenir pleinement une déclaration proposée comme condition préalable à la participation à la Conférence».  La Suisse a tenté de trouver «des solutions de compromis», mais les pressions étaient telles qu’elle a fini par annuler la Conférence.

Dans un post sur son compte X, le porte-parole du département des Affaires étrangères, Nicolas Bideau, a écrit : «La Conférence sur la mise en œuvre de la 4e Convention de Genève dans les Territoires palestiniens occupés, y compris à El Qods (Jérusalem-Est), mandatée par l’Assemblée générale de l’Onu, n’aura pas lieu» et expliqué que «faute de consensus entre les Hautes Parties contractantes, la Suisse, en tant qu’Etat dépositaire, a décidé de ne pas la convoquer».

L’ambassadeur palestinien a dû annuler sa conférence de presse, hier au début de la Conférence, à laquelle devait prendre part son homologue pakistanais, en tant que coordinateur des pays membres de l’OCI. 
Juste après l’annonce de l’annulation de la Conférence par la Suisse, Israël ne s’est pas gêné pour se frotter les mains. Il s’est empressé d’en porter le chapeau, en affirmant, dans un communiqué, avoir mené une «opération diplomatique intensive» pour convaincre ses alliés de ne pas participer à la Conférence.

«Cette opération diplomatique intensive a été couronnée de succès : un grand nombre de pays ont décidé de ne pas prendre part à cette conférence biaisée», a écrit le ministère, en précisant plus loin que cette Conférence devait aboutit à «des décisions qui visent à continuer à délégitimer Israël». 

Il est à rappeler que la Suisse est le dépositaire des Conventions de Genève qui définissent les lois de la guerre et du droit humanitaire, et elle a déjà organisé trois conférences similaires en 1999, 2001 et 2014. Ces conférences n’ont pas pour mission de prendre des décisions contraignantes mais plutôt de réaffirmer les règles du droit international humanitaire.

Un principe déjà rappelé hier par le porte-parole suisse du ministère des Affaires étrangères, pour tenter de se justifier de l’échec de la Suisse à présenter un projet de déclaration qui soit en adéquation avec la gravité de la situation, non seulement à Ghaza, où Israël a coupé les vivres à la population depuis dimanche dernier et menace de reprendre sa guerre génocidaire et d’expulser ses 2,5 millions d’habitants, mais aussi en Cisjordanie occupée, où son offensive militaire a causé la mort de dizaines de Palestiniens, depuis plus d’un mois, et près de 40 000 autres sommés à l’exode forcé. Les alliés d’Israël ont tenté de présenter une déclaration en faveur de l’Etat hébreu, afin de lui éviter les poursuites pour violation du droit international humanitaire, dont la Suisse est dépositaire. 

Copyright 2025 . All Rights Reserved.