Civilisation judéo-chrétienne : Sophie Bessis déconstruit le mythe

03/04/2025 mis à jour: 02:03
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Dans son dernier essai intitulé La civilisation judéo-chrétienne, anatomie d’une imposture, l’historienne et journaliste tunisienne Sophie Bessis déconstruit un concept devenu omniprésent dans les discours politiques occidentaux. 

Invité à la chaîne France 24, elle a démontré que cette notion, qui semble prôner l’unité, s’est imposée dans le langage courant depuis les années 1980 et joue en réalité un rôle d’exclusion, notamment envers l’islam et les cultures juives et arabes d’Afrique du Nord. Sophie Bessis souligne que si des rapprochements entre judaïsme et christianisme existaient dans certains cercles théologiques, l’usage contemporain du terme «civilisation judéo-chrétienne» est récent. 

Son apparition dans les discours politiques au début des années 1980 a servi plusieurs objectifs. D’abord, il a permis d’occulter des siècles d’antijudaïsme et d’antisémitisme en Europe en donnant l’illusion d’une continuité harmonieuse entre ces deux traditions religieuses. 

«Si l’on est judéo-chrétien, on ne peut pas être antisémite», explique-t-elle. Ce concept permet ainsi de masquer la longue histoire d’exclusion et de persécution des juifs en Europe, qui a culminé avec la Shoah.

L’absence de l’islam dans cette «civilisation judéo-chrétienne» est un autre point central de la critique de Sophie Bessis. En prétendant que l’Occident repose sur des bases uniquement judéo-chrétiennes, on relègue l’islam à l’altérité, renforçant une perception d’incompatibilité avec les valeurs occidentales. «Jadis, le juif était l’autre ; aujourd’hui, tout ce qui ressort du monde musulman est renvoyé à une spécificité qui exclut», affirme-t-elle. 

Cette marginalisation a des conséquences profondes, car elle nourrit une vision du monde où le dialogue et la reconnaissance des interconnexions historiques entre les trois monothéismes sont écartés. Sophie Bessis rappelle que, paradoxalement, l’islam et le judaïsme partagent de nombreux points communs, souvent plus que l’un ou l’autre avec le christianisme.

L’essayiste met en lumière un autre phénomène marquant le passage d’un antisémitisme historique à un philosémitisme politique en Occident. Selon elle, après la Shoah, les nations occidentales ont cherché à restaurer leur image et à effacer une partie de leur culpabilité. 

Cette dynamique a conduit à une tolérance, voire une indulgence envers la politique israélienne, y compris dans ses aspects les plus contestables. «On fait silence sur toutes les dérives de cet Etat», observe-t-elle, rappelant que la création d’Israël en 1948 aurait dû s’accompagner de la création d’un Etat palestinien, jamais réalisé.


«L’Orient est associé au sous-développement et à la barbarie»

Cette indulgence, selon l’historienne, s’est accrue après l’attaque du 7 octobre, perpétrée par le résistance palestinienne et revendiquée par le Hamas, en dépit de la riposte israélienne qui a causé des dizaines de milliers de morts à Ghaza. Elle souligne ainsi le «lien maléfique» entre la volonté occidentale de défendre ses valeurs et le soutien inconditionnel à Israël, y compris lorsque ce dernier est gouverné par une extrême droite expansionniste.

Enfin, Sophie Bessis aborde un sujet qui lui tient à cœur : la marginalisation des juifs issus du monde arabe. Elle rappelle que le sionisme né au XIXe siècle a été conçu par des intellectuels occidentaux qui ont ignoré, voire méprisé les juifs d’Orient. «Dans l’imaginaire collectif israélien et occidental, l’Orient est associé au sous-développement et à la barbarie», explique-t-elle. 

Cette vision a conduit à un traitement discriminatoire des juifs orientaux en Israël, où ils ont longtemps été considérés comme des citoyens de seconde zone.

Avec cet essai, la journaliste invite à une réflexion critique sur les concepts mobilisés dans le discours politique contemporain. Elle démontre comment le mythe de la civilisation judéo-chrétienne sert à masquer des rapports de force et à exclure des pans entiers de l’histoire et des cultures partagées. 

Son ouvrage constitue une lecture essentielle pour ceux qui cherchent à mieux comprendre les dynamiques politiques et historiques qui sous-tendent les discours actuels sur l’identité et l’altérité. Kamel Benelkadi

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