Cherif Benhabiles. Directeur général de la Caisse nationale de mutualité agricole (CNMA) : «Toute l’assurance agricole doit être revue»

20/03/2024 mis à jour: 03:23
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Photo : D. R.

En ces temps de stress hydrique, la question relative à l’assurance contre les calamités agricoles continue de faire débat. Autant dire que le dossier revêt une importance cruciale. Dans cet entretien, Cherif Benhabiles, directeur général de la Caisse nationale de mutualité agricole (CNMA), revient sur les réponses que préconise son organisme aux différentes préoccupations du monde agricole.

  • Comment expliquez-vous la réticence des agriculteurs vis-à-vis de l’assurance agricole ?

Le risque est une partie intégrante à toute activité. C’est le cas en agriculture. Les agriculteurs sont confrontés à des risques liés au marché et à la production.

Les prix des intrants peuvent devenir inabordables, les prix de vente peuvent s’effondrer, les aléas du climat (sécheresse, pluies diluviennes, grêle, neige, vents violents, températures excessives causant des incendies, etc.) et les fléaux, à l’instar de l’invasion de parasites ou des maladies, peuvent causer la chute des prix des fruits, la perte des récoltes ou la mortalité du bétail rendant les revenus des exploitants instables et imprévisibles d’une année sur l’autre.

Ces risques sont d’autant plus importants qu’ils peuvent affecter plus d’un individu, soit une région entière ou un grand nombre d’agriculteurs. Ils peuvent ainsi ralentir le développement économique, entraver la lutte contre la pauvreté.

Cette réticence des agriculteurs vis-à-vis de l’assurance revient à plusieurs facteurs tels que :

- Le problème du morcellement : 75% des exploitations agricoles ont une superficie inférieure à 10 hectares. Le payement de la prime d’assurance alourdit les charges du petit exploitant et augmente le coût de production, d’autant plus que le choix d’adhésion à une assurance est encore facultatif.

- La nature des risques couverts : la plupart des agriculteurs pensent que les programmes actuels ne s’accordent pas avec les activités qu’ils ont choisies et les risques engendrés ou les sinistres subis.

Les risques couverts par les assureurs sont considérés par les agriculteurs comme étant non représentatifs ou insuffisants par rapport aux risques réellement encourus, notamment les fléaux dus aux insectes ou aux parasites ravageurs (feu bactérien, épidémies, sécheresse conjuguée à la rareté de l’eau, inondations, vents violents, insécurité et vols).

- Le manque d’information et le coût élevé des primes d’assurance

- Parfois des croyances culturelles et religieuses, une partie des agriculteurs ayant une objection religieuse à l’égard du concept de l’assurance en tant que tel.

  • La CNMA a-t-elle une stratégie pour inverser la tendance ?

La stratégie de la Mutualité agricole est totalement tirée de son fondement mutualiste. La CNMA Assurance, en tant qu’acteur économique proche du monde agricole et rural, se positionne comme un «assureur conseil» soucieux d’aider les agriculteurs à identifier et à maîtriser les risques de leur métier et de leurs exploitations, les incitant ainsi à intégrer la culture de l’assurance dans leurs activités.

C’est dans le cadre de cette politique de proximité inscrite en lettres d’or dans son plan stratégique, que la CNMA base son activité sur le terrain en renforçant le nombre de ses caisses régionales et bureaux locaux pour être présente dans les régions les plus reculées du pays, en organisant des opérations de vulgarisation et de sensibilisation au profit des agriculteurs au niveau des exploitations…

Son objectif principal est de sortir du concept d’un contrat administratif et parvenir à offrir à ses sociétaires et clients agriculteurs une multitude de services financiers dont ils ont besoin pour moderniser leurs activités, et ce, sous la contrainte de l’obligation d’excellence exprimée par des coûts de revient les plus bas et une meilleure qualité de service.

  • L’on parle depuis quelques années de la nécessité de repenser le système d’assurance agricole. Partagez-vous cette réflexion ?

Evidemment, il est plus que temps de procéder à une réflexion pour la mise en place d’un système assurantiel moderne, capable de faire face aux attentes des agriculteurs et aux défis des changements climatiques.

Mais c’est toute l’assurance agricole qui doit être revue par le fondement d’un dispositif réglementaire très intéressant comme cela se fait ailleurs dans le monde.

  • Qu’en est-il du dispositif dédié aux calamités agricoles assurance, un dispositif qui n’existe que pour l’assurance intégrale sur les céréales ?

Quand on voit l’accélération du réchauffement climatique ces dernières années, je dirais que ce dispositif est plus que nécessaire pour la couverture des risques agricoles non assurables, ayant un caractère calamiteux (sécheresses, inondations,…) et dont les conséquences des dommages sont très importantes.

Pour faire un parallèle, nous dirons que dans le secteur de l’habitat, il y a un dispositif CAT-NAT qui couvre les risques de tremblement de terre et d’inondations. Mais pour ce qui est du secteur agricole, la sécheresse qui est un phénomène récurrent qui cause énormément de dégâts ne dispose d’aucune assurance qui couvre ce risque. Il est donc temps de mettre en place ce type d’assurance.

Et cela interpelle tout le monde. Il demeure impératif de développer un cadre légal et un système réglementaire forts pour mettre en place de nouveaux mécanismes de gestion de risque dans le contexte des assurances agricoles et de passer d’une «logique d’indemnisation» à une «logique d’adaptation et de gestion» face au phénomène des calamités agricoles.

  • Qu’est-ce qui freine le lancement de l’assurance sécheresse, sachant que la CNMA a déjà reçu l’agrément à cet effet ?

On ne peut pas assurer un risque climatique comme la sécheresse, les feux de forêt au même titre qu’un autre risque. Comme je l’ai dit, il faut un cadre juridique, des capacités techniques et financières importantes et il faut impliquer tout le monde.

L’assurance agricole n’est pas que l’affaire de la CNMA ou des compagnies d’assurance d’une manière générale. C’est l’affaire de tous les acteurs : du ministère de l’Agriculture, du ministère des Finances, de la Chambre de l’agriculture, des conseils interprofessionnels ; il faudra que tout le monde se mette autour d’une table pour débattre de la problématique de l’assurabilité du risque.

Et si on assure, on doit savoir à quel taux et de quelle manière, parce qu’il y a d’autres facteurs qui rentrent en ligne de compte. Et c’est à partir de là qu’il faut un dispositif un peu particulier. Cela va sécuriser l’investissement agricole et pérenniser l’activité et assurer un revenu minimum à l’agriculteur.

Aussi, les expériences étrangères en matière de gestion des risques de calamités agricoles montrent que les assurances de calamités agricoles peuvent être un outil vérifié et efficace pour la gestion de ces types de risques, elle constitue un instrument financier qui permet grâce aux indemnisations d’assurer le maintien et la stabilité du pays, sur le plan agricole, économique et social.

L’Etat a tout à gagner en engageant sa participation dans ce système d’assurance, puisque des économies et des gains importants seront générés au profit du Trésor public. Par ailleurs, la subvention d’assurance sera d’un grand intérêt pour l’agriculteur, dans la mesure où elle permettra l’amélioration des revenus de l’exploitation et l’instauration d’une culture d’assurance dans le milieu agricole et rural.

  • Existe-t-il un bilan des indemnisations des agriculteurs touchés par les incendies et les inondations ?

Malheureusement, très peu d’agriculteurs touchés par les incendies ou les inondations ont été assurés à la CNMA, ce qui explique le faible montant enregistré en matière d’indemnisations, qui reste dérisoire par rapport aux dégâts réels.

  • Qu’en est-il de l’élargissement de l’activité de la Caisse à d’autres secteurs ?

La CNMA, en tant qu’acteur important dans le développement de l’agriculture en Algérie, a l’ambition de s’ériger en Holding Financier et Pôle Rassembleur, avec déclinaison de ses activités homogènes en filiales, incluant l’ensemble des services et activités à savoir la banque (crédit), les assurances de dommages et de personnes, la gestion des fonds d’Etat et l’appui-conseil.

Nous avons inscrit dans notre plan stratégique 2023-2025 de nouvelles missions, à savoir le lancement de la nouvelle activité du Crédit Mutuel Rural (CMR), la protection sociale des agriculteurs et de leurs ménages, le renforcement du concept de la Mutualité de Proximité (Micro - Assurance / Centres de Formations et de Services : Dar El Fellah), …

 

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