De son vrai nom Mohamed Khelouat, né le 23 juillet 1910 à Taazibt, Ihesnawen, et mort le 6 juillet 2002, à Saint-Pierre de la Réunion, en France l Son nom d’emprunt se réfère à sa région natale d’Ihasnawen, dont la signification littérale : région de paix, de tolérance et de générosité.
«La richesse est une partie pour l’exilé.» Proverbe libanais
Il y a des exils qui effacent l’identité des hommes et les déracinent de leur substrat naturel en plantant des banderilles dans leur âme pour effacer à jamais toute subsistance de la sève originale de leur essence. Cependant, il y a des exils, pour reprendre le proverbe libanais cité ci-dessus, qui appellent comme le printemps appelle les hirondelles à survoler ses prés ensoleillés et à se délecter de son ciel opalin en souvenance de la terre des ancêtres : une terre au printemps qui se renouvelle allègrement pour panser les blessures de l’hiver. Et Cheikh El Hasnaoui était durant tout son exil, forçant l’incantation divinatoire accompagnant les exilés à leur départ pour une terre inconnue et exhortant le Ciel pour qu’il soit vite et fécond, avait porté comme viatique sur le chemin de l’errance son verbe, sa verve et sa mandole qui, pour reprendre Raymond Queneau, était «la chair chaude des mots».
Cheikh El Hasnaoui, naissance d’un prodige
De son vrai nom Mohamed Khelouat, né le 23 juillet 1910 à Taazibt, Ihesnawen, et mort le 6 juillet 2002, à Saint-Pierre de la Réunion en France. Son nom d’emprunt se réfère à sa région natale d’Ihasnawen, dont la signification littérale : région de paix, de tolérance et de générosité. D’où d’ailleurs cet incommensurable don de générosité, de paix et de tolérance sourdant avec abondance de l’œuvre monumentale de Cheikh El Hasnaoui.
Très jeune, il est orphelin de mère, son père est souvent absent. Etudiant dans une zaouïa, il apprend le Coran et la langue arabe, dont il utilisera plus tard la graphie pour la transcription de ses chansons. A l’âge adulte, il se met à chercher fortune à l’extérieur de sa région natale. Il émigre en métropole dès les années 1930, et son séjour en métropole s’avère bénéfique pour la suite de sa carrière artistique. Se produisant dans les cafés comme chanteur confirmé du genre chaâbi, il ne tarde pas à se lier d’amitié avec certaines grandes figures de la chanson algérienne installées en France (Mohammed Iguerbouchène, Kadour Cherchali, Dahmane El Harrachi, etc.). Son répertoire chanté, enregistré dans des maisons de disques, comprend des compositions en kabyle et en arabe dialectal. Cheikh El Hasnaoui s’éteint le 6 juillet 2002 à Saint-Pierre de La Réunion.
L’amour dans l’œuvre de Cheikh El Hasnaoui
Le thème de l’amour dans l’œuvre de Cheikh EL Hasnaoui est d’une pudeur de violette avec un puissant sens de secret et l’image-clé qui ne s’ouvre pas aisément aux profanes. Cheikh El Hasnaoui. D’ailleurs d’aucuns pensent que la poésie de Cheikh EL Hasnaoua, dans son volet dédié à l’amour, est sujet à des interprétations hétéroclites. Certaines voix disent que, à titre d’exemple, dans la chanson Fadma, le maître de la chanson algérienne Cheikh El Hasnaoui chante sa propre idylle avec sa bien-aimée que le destin malveillant de l’enfant d’Ihsnawen frappa de sa malédiction et jeta dans les abysses profond d’un des amours contrariées où nulle ultime est capable d’éclairer à nouveau.
Cependant, d’autres lectures viennent contrarier l’idée si profondément ancrée dans l’imaginaire populaire des inconditionnels de Cheikh El Hasnaoui bifurquant sur la voie d’une légende imaginée par l’auteur de la chanson Fadma pour brosser le tableau peu luisant d’une époque où l’amour d’une femme est un sacrilège à l’encontre d’une société «vertueuse» et soucieuse de préserver des codes de société forgés dans l’airain d’une pudeur exagérée.
Néanmoins, cette floraison de lecture de la chanson Fadma de Cheikh El Hasnaoui continue de susciter des passions tout auréolées de douceur et de fraîcheur. Cheikh El Hasnaoui a aussi chanté la femme dans l’arabe Algérie et Zahia, l’autre chef d’œuvre du maître, irrigue immanquablement l’oreille des mélomanes de la chanson chaâbie d’une eau limpide et succulente, offrant ainsi à Zahia une place au panthéon de la chanson algérienne. L’écho de l’amour est perceptible dans toutes les langues, et Cheikh El Hasnaoui a chanté Fadma dans la langue kabyle, Zahia en arabe algérien, dans la noble perspective d’en faire un puissant tissage d’une toile aux calligraphies différentes mais aux sonorités jumelles.
L’exil dans la chanson de Cheikh El Hasnaoui
Cheikh El Hasnaoui est indéniablement un grand témoin de cette vague d’immigration de la population algérienne vers la France, une immigration somme toute forcée par la misère régnante sur tout le territoire algérien en général et dans ses régions rurales en particulier.
Et comme d’autres chanteurs algériens qui ont chanté l’exil et l’immigration, Cheikh El Hasnaoui a composé une ribambelle de chansons consacrées au départ forcé vers des terres inconnues. Tout de même, deux chansons phares du répertoire du Cheikh s’érigent incontestablement sur le promontoire de sa carrière prolifique : Maison blanche et Lgherba (l’exil).
Dans Maison blanche, El Hasnaoui a mis en relief ce lieu hautement symbolique du départ vers le pays où la blancheur des cieux est rare, terre de froid et d’épuisement. Terre aussi de villes dont les nuits sont gracieusement illuminées par une lumière artificielle mais qui ne profitent guère à la main d’œuvre immigrée, car de l’aube au crépuscule, les immigrés vivent loin de l’agitation joviale des grandes villes françaises. «Boulot-dodo», pour résumer toute la misère de la masse ouvrière immigrée. En quittant Alger, la ville blanche, l’exilé économique ne quitte pas seulement son pays mais aussi la blancheur de son ciel, son soleil et la chaleur famille. Donc, la chanson Maison blanche est un hymne de douleur et d’espoir : douleur de séparation et espoir de retour au bercail pour apporter du pain à la bouche des siens.
L’errance dans la chanson de Cheikh El Hasnaoui
Nul n’aura compris l’errance et senti son incommensurable douleur dans sa propre âme dans la chanson algérienne que Cheikh El Hasnaoui. Dans sa chanson Ayema Yema, une affligeante complainte d’un déraciné, composé à Alger en 1936 à l’orée de la Seconde Guerre mondiale a ravivé l’épisode de la guerre 14-18 où des nombreux Algériens, enrôlés de force dans l’armée française, avaient préféré rester en France et de ne pas retourner au pays, abandonnant ainsi et la terre et la famille. Ayema Yema est une chanson d’un ton plaintif sur un choix douloureux, irréversible et mortifère.
Cheikh El Hasnaoui est à la chanson comme l’est Samuel Beckett à la littérature : Samuel Beckett a posé la pointe de sa plume sur l’immense étendue de la sensibilité humaine en s’attardant sur l’étrangeté de l’exil et de l’amour, et Cheikh El Hasnaoui dans le même sillage que Samuel Beckett a chanté l’amour et l’exil d’une voix qui résonne au-delà des âmes mortes car elle est immortelle et dans son timbre et dans son verbe.
Par Arezki Hatem (correspondance particulière)