Il s’agit d’une initiative louable étant donné que l’action climatique comprend un volet juridique et réglementaire qui est extrêmement important, car c’est ce cadre qui détermine dans quelles conditions doivent être conduites les actions publiques et celles des acteurs privés ainsi que la société civile dans les domaines liés à l’action climatique de l’Algérie», estime Samir Grimes, expert en environnement et changements climatiques. Ce cadre est, selon lui, crucial pour mettre en phase la législation nationale par rapport aux engagements climatiques internationaux et en préparation par rapport aux dispositions de neutralité carbone qui sont prises ou envisagées par des partenaires de l’Algérie. A ce titre, M. Grimes assure qu’il existe deux textes de loi qui font référence de manière explicite au changement climatique, à savoir la loi SNAT et la loi sur les risques majeurs. Précisant que la loi-cadre sur l’environnement ne fait référence au changement climatique qu’au titre de l’appauvrissement de la couche d’ozone ou au titre des incitations financières et douanières dont doivent bénéficier les entreprises industrielles qui importent des équipements leur permettant d’éliminer ou de réduire dans leur processus de fabrication ou dans leurs produits les gaz à effet de serre ou de réduire toute forme de pollution. A cet effet, le chercheur explique que les plans d’atténuation et d’adaptation au risque climatique qui sont institués par le SNAT ont été inspirés par les dispositions du Protocole de Kyoto et ces plans constituent une réponse opérationnelle pour les engagements climatiques de l’Algérie. «Pour faire face aux changements climatiques, le SNAT a identifié le domaine de l’énergie comme axe prioritaire d’intervention par l’adoption de mesures d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre», assure-t-il. Précisant que SNAT considère que les solutions alternatives envisagées pour le développement des énergies renouvelables, notamment le solaire et l’option Hauts-Plateaux et , sont stratégiques. Le développement et la réhabilitation des espèces forestières adaptées à la sécheresse et l’intégration du système photovoltaïque, ainsi que l’éolien, sont également conçus comme axes pour l’adaptation et l’atténuation des changements climatiques. Parmi les autres lignes directrices du SNAT en lien avec le risque climatique, le chercheur cite l’efficacité, l’efficience et la maîtrise énergétique qui doivent être des éléments fondamentaux des Plans Climats Territoriaux Intégrés (PCTI) au niveau des collectivités locales pour proposer à l’échelle du territoire un plan d’action visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à mieux s’adapter aux impacts du changement climatique. Par ailleurs, M. Grimes explique que la loi n° 04-20 du 25 décembre 2004 relative à la prévention des risques majeurs et à la gestion des catastrophes dans le cadre du développement durable fait référence aux prescriptions particulières en matière de prévention des aléas climatiques. En effet, selon cette loi, les aléas climatiques pouvant engendrer un risque majeur sont les vents violents, les chutes de pluie importantes, la sécheresse, la désertification, les vents de sable et les tempêtes de neige. A ce titre, M. Grimes explique que cette loi institue le plan général de prévention des aléas climatiques qui détermine les modalités de veille pour l’observation de l’évolution de chacun de ces aléas, les seuils, conditions, modalités, et procédures de déclenchement des pré-alertes et des alertes pour chacun de ces aléas, ainsi que les procédures de suspension des alertes et les mesures de prévention applicables lors de l’annonce des avis de pré-alerte ou d’alerte. Par ailleurs, cette loi a également prévu, selon le spécialiste, des plans particuliers d’intervention, où les exploitants d’installations industrielles sont tenus d’élaborer un plan interne d’intervention qui doit définir l’ensemble des mesures de prévention des risques, les moyens mobilisés à ce titre ainsi que les procédures à mettre en œuvre lors du déclenchement d’un sinistre. A noter que le cadre juridique actuel a également prévu d’autres plans qui peuvent être assimilés à des plans climatiques, notamment les Plans Généraux de Prévention (PGP), les Plans d’Exposition aux Risques (PER), les Plans les Plan National de Reboisement (PNR). Néanmoins, certaines actions sont plus urgentes sur le plan juridique que d’autres. A titre d’exemple, M. Grimes affirme que l’institutionnalisation du Comité national du climat et l’élargissement de ses missions est une étape importante. «Il y a lieu de rappeler que ce comité a été institué sur demande du ministre chargé de l’Environnement lors du processus de préparation de la participation de l’Algérie à la COP 21, lors d’un Conseil ministériel restreint en 2015», raconte-t-il. Ce comité est donc une innovation majeure en termes de gouvernance climatique compte tenu de ses prérogatives et de sa composante. Cependant, et au regard de l’évolution rapide du cadre climatique international, de la diversification des acteurs de l’action climatique au niveau national et de l’exacerbation des manifestation climatiques dans notre pays, «il devient impératif de l’institutionnaliser, de définir les modalités de son organisation et de son fonctionnement et d’étendre ses prérogatives, tout en le mettant sous la tutelle du Premier ministère afin de garantir son caractère transversal et de lui donner les capacités d’agir de manière intégrée et pertinente», recommande M. Grimes. Ce dernier conseille également d’instituer un fonds national de l’adaptation climatique qui devra être alimenté principalement par une contribution pondérée des entreprises en fonction de leur empreinte carbone.
Économie circulaire
Le fonds pourra, selon lui, recevoir une contribution annuelle de l’État ainsi que tous les flux des financements venant de l’extérieur du pays dans le cadre de la coopération ou des financements de réduction des risques associés aux partenariats et investissements étrangers. «Ce fonds pourra également recevoir le produit financier des indemnisations potentielles dues à des préjudices causés aux activités et/ou infrastructures et équipements publiques du fait des dommages dus aux effets des changements climatiques et prouvés scientifiquement en tant que tels», poursuit-il. Autre étape importante aux yeux du spécialiste est de donner une assise juridique au Plan National Climat (PNC). A cet effet, il confie que ce document stratégique, qui définit l’action climatique de l’Algérie, a été élaboré et présenté lors d’un Conseil du gouvernement qui s’est tenu sous la présidence du Premier ministre le 21 septembre 2019 et présenté au «Sommet Action climat 2019» des Nations unies à New York quelques jours après. «Toutefois, il n’existe aucune référence juridique au PNC», se désole-t-il. Assurant que la loi cadre de l’environnement ne cite le changement climatique que dans un seul passage à l’article 44. «A l’évidence, cette référence est très éloignée de ce que devrait être une base légale pour l’action climatique de l’Algérie. Il me semble donc nécessaire de revoir la loi sur la protection de l’environnement pour d’autres éléments et, en même temps, saisir cette révision pour asseoir juridiquement l’action climatique de l’Algérie en institutionnalisant le PNC et comme mentionné précédemment au comité national climat», suggère-t-il. Bien entendu, les modalités d’élaboration, d’adoption et de révision du PNC doivent être réglementées. Par ailleurs, M. Grimes juge aussi important de renforcer et adapter le statut et les missions de l’Agence nationale des changements climatiques. Pour lui, les missions confiées à l’ANCC, qui est une institution très pertinente par sa vocation, ne peuvent en aucune manière être conduites de manière efficace avec son statut et son organisation actuels. «Il faut rappeler que cette agence a des missions fondamentales par rapport à l’action climatique de l’Algérie», assure-t-il. En effet, l’ANCC a pour objet de promouvoir l’intégration des changements climatiques dans tous les plans de développement, elle est aussi chargée de mener des actions d’information, de sensibilisation, d’étude et de synthèse, dans les domaines ayant trait aux émissions et à la séquestration des gaz à effet de serre, à l’adaptation aux changements climatiques, à l’atténuation de leurs effets et aux différents impacts socio-économiques. Elle est aussi chargée de contribuer au renforcement des capacités nationales des différents secteurs dans le domaine des changements climatiques et de tenir et mettre à jour une base de données relative aux changements climatiques d’élaborer périodiquement un rapport sur les changements climatiques. Avec son statut actuel, il est quasiment impossible à l’ANCC de coordonner, comme stipulé dans son décret création, «les actions sectorielles dans le domaine des changements climatiques et de veiller à la synergie avec les autres domaines environnementaux». Autre mesure importante, selon M. Grimes, est d’organiser le cadre national de l’évaluation, de l’échange des données, de la vérification et du reporting sur les changements climatiques. De ce fait, il estime important de revoir et mieux structurer les modalités du bilan climatique national, incluant celui des gaz à effet de serre. De manière plus globale, le chercheur juge nécessaire d’introduire la dimension climatique dans les lois et les réglementations sectorielles, à commencer par les secteurs, les activités et les infrastructures qui sont les plus vulnérables aux effets des négatifs des changements climatiques (eau, alimentation, santé, etc.). «Cette révision doit avoir pour objectif aussi d’augmenter la résilience climatique de nos villes, de nos infrastructures et de préserver les services qui sont apportés par nos écosystèmes naturels (met et littoral, montages et forêts, zones humides) ou artificiels (barrages, fermes d’aquacultures, agriculture intensive, oasis, etc.», poursuit-il. Le renforcement du cadre juridique vise aussi, selon lui, à consolider l’action de l’État en termes de coordination, de suivi et d’évaluation de toutes les questions ayant un lien avec le changement climatique. Enfin, et lors de la révision du cadre juridique et réglementaire relatif à l’action climatique de l’Algérie, M. Grimes estime important d’introduire d’autres concepts en lien avec les changements climatiques, comme l’économie circulaire, l’analyse et la gestion des risques, les mesures de compensations, l’empreinte carbone des entreprises, les contrats de performance carbone, etc. et d’ajouter : «Dans la mesure du possible et de ce qui est pertinent pour l’Algérie, définir les termes du tableau de bords national de l’action climatiques en considérant les composantes ‘‘indicateurs techniques’’ et celle de la ‘‘gouvernance climatique’’, dont les indicateurs financiers.» Il est également possible «d’engager une réflexion sur la fiscalité environnementale en lien avec le bilan des émissions et de délimiter des périmètres et des assiettes de recouvrement, en particulier pour les entreprises, et ce, afin de soutenir les sources de financement de l’action climatique en Algérie», conclut le chercheur.