Céréales en Algérie : Une filière qui peine à se développer

18/05/2022 mis à jour: 04:39
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La production est toujours très faible ; sur les cinq dernières années, la moyenne n’a pas excédé les 42 millions de quintaux et demeure très insuffisante

La superficie agricole dédiée aux céréales est actuellement de l’ordre de 3,3 millions d’hectares, la production est toujours très faible ; sur les cinq dernières années, la moyenne n’a pas excédé les 42 millions de quintaux et demeure très insuffisante, puisqu’elle ne couvre que 30% des besoins nationaux, notamment, en blé tendre.

La facture d’importation des céréales ne cesse de croître. L’importation du blé (dur et tendre) représente 65% des importations des céréales et le blé tendre représente 70% de l’importation du blé. On a importé jusqu’à 8 millions de tonnes de blé (dur et tendre) avec une facture qui dépasse 1,9 milliard de dollars

Ce sont des arguments peu convaincants et pas du tout logiques qu’avancent les responsables du secteur quand ils essayent de justifier cette faiblesse des rendements, on inflige souvent ces résultats dérisoires au manque de pluviométrie.

Pourquoi on ne trouve aucune difficulté à mettre en oeuvre les moyens pour l’irrigation des différentes cultures, notamment, maraîchères, arboricoles et oléicoles et qu’on rencontre toutes les difficultés du monde quand il s’agit d’irriguer les céréales ?

L’irrigation est, certes, l’un des facteurs déterminants, mais pas exclusif pour le développement des céréales et l’accroissement des rendements, nos céréaliculteurs doivent impérativement maîtriser l’itinéraire technique et suivre à la lettre ses différentes étapes

UN EX-DG DE L’OAIC … «LE BLÉ DUR EST À NOTRE PORTÉE ET L’AUTOSUFFISANCE EN BLÉ TENDRE N’EST PAS UNE URGENCE» !!

Pour voir comment raisonnent les responsables en charge du développement de la filière céréale, un ex-directeur général de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) disait : «Le blé tendre est une espèce très sensible qui demande un bon niveau de précipitation ainsi que de l’humidité lors des moissons. Il faut du temps pour trouver les variétés qui s’adaptent à notre climat sec.»

Et d’ajouter : «Pour nous, ce n’est pas une question urgente. On dépendra de l’importation, mais il faut, par contre, penser à changer le modèle alimentaire algérien, rationaliser la consommation et gaspiller moins.» Ce responsable affirme que ce n’est pas urgent de pallier ce problème de dépendance quasi totale des importations de ce produit hautement stratégique pour notre alimentation. Dépenser plus de 1,5 milliard de dollars annuellement rien que pour importer le blé tendre est en lui-même un problème crucial pour lequel on doit prêter plus d’attention et ne ménager aucun effort afin de le résoudre. Depuis quand on cherche les variétés qui s’adaptent à notre climat ?

Et jusqu’à quand on continuera à chercher encore ? Et si le blé dur est à notre portée (on produit en moyenne 20 millions de quintaux et on en importe 18 millions), qu’est-ce qu’on attend alors pour couvrir nos besoins par la production nationale ?

Les céréales sont des cultures pluviales et le niveau de production est étroitement lié aux précipitations ; la conduite des cultures est quasiment traditionnelle, on ne procède pas au strict respect du processus technique exigé, nos céréaliculteurs ne maîtrisent pas les techniques requises pour améliorer les rendements

PERTES IMPORTANTES À LA RÉCOLTE ET POST-RÉCOLTE ET DÉFICIT EN MATIÈRE DE COLLECTE ET ENTREPÔTS DE STOCKAGE INSUFFISANTS !

Accuser un retard pour la moisson fait passer les céréales à un stade «d’excès de maturité», ce qui rend les épis plus vulnérables durant la coupe, en plus des pertes dues à la récolte mécanique en raison du mauvais réglage des moissonneuses batteuses, vétustes dans leur majorité.

Selon les chiffres officiels, les quantités de céréales collectées au niveau de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) durant la saison écoulée ont atteint 13 millions de quintaux de blé tendre et dur et 135 000 quitaux d’orge, pour des besoins qui dépassent 8 millions de quintaux. 

Pourquoi ce maigre résultat, bien que l’Etat instaure des prix incitatifs pour l’achat de ces produits des agriculteurs ? L’un des maillons les plus faibles de la filière céréale est le stockage ! Les capacités actuelles ne dépassent pas les 28 millions de quintaux et la majorité des silos dont on dispose ne répondent pas aux normes requises et les pertes enregistrées, dues aux mauvaises conditions de stockage, sont énormes.

Il est à rappeler qu’une opération de réalisation de 39 structures de stockage, dont 9 silos métalliques et 30 en béton, pour un montant de 558 millions de dollars, a été inscrite en 2010 et dont les travaux ont commencé en 2013 et devaient être achevés en 2020, mais jusqu’à présent les entrepôts n’ont pas été totalement réceptionnés. Selon un rapport coproduit par le Global Agricultural Information Network (GAIN, réseau mondial d’information agricole) et le ministère américain de l’Agriculture, la consommation de blé de l’Algérie était de 11,37 millions de tonnes entre juillet 2020 et juin 2021. 

Pour la FAO, les stocks de céréales de l’Algérie ont progressé de 5,6 millions de tonnes en 2017 à 6,7 millions de tonnes en 2020. Ils ont par la suite reculé de -6% à 6,3 millions de tonnes en 2021, selon les estimations de l’organisation, qui prévoit une chute à 5,1 millions de tonnes en 2022.

LE CONFLIT UKRAINE - RUSSIE AFFECTE INDIRECTEMENT NOS APPROVISIONNEMENTS EN BLÉ

L’Algérie est pratiquement totalement dépendante du blé tendre français pour approvisionner le marché local, car le cahier des charges afférent à l’importation du blé de l’OAIC ne permettait pas à certains pays de pénétrer le marché algérien à cause des proportions d’impuretés que contient le produit, cas des punaises pour le blé russe, la diversification des fournisseurs n’aurait pas été possible, si l’office n’avait pas changé certaines clauses du cahier des charges, ce qui permettrait à d’autres pays d’avoir des parts du marché algérien....

Certes, la crise actuelle en mer Noire n’affectera pas directement nos importations de blé tendre, car le cas échéant et dans le pire des cas, l’Algérie reviendra vers son fournisseur historique (la France) et reportera la diversification des fournisseurs jusqu’à la fin de la crise !! 

Mais notre pays sera affecté indirectement, comme d’autres pays d’ailleurs, car la réticence de la Russie et de l’Ukraine à approvisionner les marchés internationaux en blé tendre en donnant la priorité aux marchés locaux et si la crise perdure, créera une tension sur le marché de ce produit à l’international et conduira sans aucun doute à une hausse importante des prix, donc nous devons débourser beaucoup plus que d’habitude pour importer les quantités habituelles nécessaires

POURQUOI L’OAIC N’INTERVIENT PAS DIRECTEMENT DANS LA PRODUCTION DU BLÉ ?

L’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) a été créé par l’ordonnance du 12 Juillet 1962, soit une semaine après l’indépendance et constitue le premier opérateur public de l’Algérie indépendante dont la mission se focalise essentiellement autour de l’organisation du marché des céréales en assurant l’approvisionnement, la régulation et l’appui à la production.

Malgré cette marge de manoeuvre importante, l’OAIC ne contribue pas actuellement efficacement au développement de la filière céréale, c’est plus un organisme «commercial» qu’un outil de développement .

L’OAIC est doté de moyens humains, financiers et matériels qui lui procurent d’être le pionner et le précurseur du développement des céréales dans notre pays !

En fait ce «colosse agricole» peut aisément réaliser des investissements dans le cadre de la concession, créer des fermes céréalières modernes en utilisant toutes les techniques nécessaires pour une conduite «correcte» des cultures, en collaboration avec les instituts techniques et de recherche ! Les résultats ne peuvent être que satisfaisants ! De la sorte, l’office contribue réellement et concrètement à l’amélioration des rendements et l’accroissement de la production, ce qui nous permettra de s’éloigner progressivement de cette dépendance flagrante qui a trop duré

AMÉLIORATION DE LA PRODUCTION CÉRÉALIÈRE... UN DÉFI À RELEVER ! 

Viendra-t-il un jour où les navires vraquiers qui nous ravitaillent en blé ne font plus apparition dans nos ports ? Viendra-t-il un jour où nous ne craindrons plus une baisse de la production mondiale des céréales et une hausse des prix sur les marchés internationaux ?

Viendra-t-il un jour où le Trésor public se débarrassera de la pression exercée par le coût de l’importation de ces produits ?

C’est un rêve qui ne veut pas se réaliser ! On en parle sans cesse, mais on ne fait rien pour y parvenir, sommes-nous condamnés à demeurer dans une éternelle dépendance ?

Il est temps que cette situation change. Il faut faire du développement de la culture du blé en particulier une affaire nationale urgente. L’agriculture en général et la culture du blé en particulier ont besoin d’un «Plan Marshall» pour les pousser au plus haut niveau et atteindre le développement escompté !

La culture du blé a besoin d’une nouvelle approche, une approche scientifique et technique, il est nécessaire d’abandonner les méthodes traditionnelles utilisées jusqu’à présent dans la conduite de la culture, respecter et suivre toutes les étapes de l’itinéraire technique en commençant par le choix variétal jusqu’au stockage en passant par l’amendement du sol, la date et la dose de semis, l’irrigation (pas uniquement complémentaire), traitement contre les maladies et les adventices en arrivant à la récolte et le stockage !

L’intervention se fera sur deux fronts... Premièrement, travailler d’arrache-pied pour doubler la production en suivant le chemin évoqué, et deuxièmement, préserver cette production des pertes lors de la récolte due au vieillissement et à la détérioration du matériel utilisé (moissonneuses-batteuses), ainsi que les pertes causées par les mauvaises conditions de stockage (manque de structures et leur non-conformité aux normes requises)

Pour arriver à améliorer la production de façon significative, il faut prêter attention et respecter tout le processus, prendre le tout ou rien ! On doit impérativement «gagner» la bataille du blé, produit essentiel de notre alimentation, la population est en ascension fulgurante et la production est en deçà des besoins exprimés !

Par Aissa Manseur 
Consultant en développement agricole

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