Juan Antonio Bardem, le réalisateur de « Calle Mayor » et « Muerte de un ciclista », né il y a cent ans, était un pionnier de portée internationale qui a lutté contre la censure franquiste et a cru au caractère révolutionnaire du cinéma. Il était un créateur indispensable et d’une figure toujours proche des problématiques sociales. Fils des acteurs, Rafael Bardem et Matilde Muñoz Sampedro et frère de Pilar Bardem, il connut dès son plus jeune âge, les misères du métier artistique.
De notre correspondant en Espagne,
Juan Antonio Bardem est l´une des figures emblématiques du cinéma espagnol à l´instar de Buñuel et Berlanga. Bardem fut le plus politisé et irréductible des trois réalisateurs, un réalisateur accroché à la lucidité de son discours personnel auquel l’histoire n’a pas rendu justice. Membre d’une lignée d’acteurs qui se termine pour l’instant par ses neveux Javier et Carlos Bardem. Ses deux fils ont également suivi ses pas au cinéma : Miguel comme réalisateur et Juan comme compositeur de bandes-son.
Né à Madrid en 1922, Juan Antonio Bardem a étudié l’ingénierie agricole et a fait partie de la première promotion de l’École Officielle de Cinéma.
Marqué par le néoréalisme, il commence à travailler comme scénariste sur plusieurs projets qui ne voient pas le jour jusqu’à ce que, en collaboration avec son collègue Luis Garcia Berlanga, il écrit et codirige en 1951 (Ce couple heureux), avec qui il a ensuite signé le scénario de Bienvenue, (M. Marshall), jusqu’à ce que, au début des années 50, il réalise deux films fondamentaux de du cinéma Espagnol : Dead of a Bike (Mort d´un cycliste) : ce chef d´œuvre de 84 min, réalisé en 1955 , raconte l´histoire d´un professeur d’université et sa maîtresse, une femme mariée de la haute bourgeoisie, écrasent accidentellement un cycliste. Craignant que l’adultère ne soit découvert, ils décident de cacher le tragique accident.
Calle Mayor (Grande Rue), de 95 mn, 1956, parle de la vie quotidienne d’une petite ville dans l’Espagne d’après-guerre donne naissance à l’un des meilleurs films du cinéma espagnol. Une chronique d’espoir et de déception. Les habitants d’une petite ville provinciale vivent piégés dans leurs vieilles traditions et coutumes.
Dans cet environnement oppressant, Isabel, une femme célibataire de 35 ans, se sent déçue de ne pas s’être mariée. Jean et son groupe d’amis, qui luttent contre l’ennui en imaginant des plaisanteries lourdes, font croire à Élisabeth que Jean est amoureux d’elle et qu’il va lui demander de l’épouser.
Le militantisme communiste et le contenu didactique et idéologique de son œuvre lui causèrent tant de problèmes de censure que sa filmographie postérieure est un va-et-vient de coproductions alimentaires, de projets frustrés et de longs métrages de thèses, toujours dans l’intention d’être utile, témoignage, critique et social.
Juan Antonio Bardem appartient à une génération intermédiaire, qui arrive en retard au néoréalisme et est antérieure à la Nouvelle Vague. Ses films sont généralement pessimistes et ses personnages semblent être condamnés à l’avance. Ils dénoncent un monde mal fait, où les personnes, les institutions et les classes sociales restent enlisées, sans possibilité de changement. Ses tirs visent la haute bourgeoisie, mais aussi la classe moyenne.
Prix de la Critique au Festival International du Film de Cannes pour (La Mort d’un cycliste) et (La Vengeance). Prix FIPRESCI, Prix New Cinema et Mention Spéciale à Venise pour (Calle Mayor). Deux fois lauréat de la médaille du Cercle des écrivains cinématographiques et Goya d’honneur en 2002, entre autres. Bardem dénoncerait le manque d’opportunités dans la dernière partie de sa vie, « y´a- t-il des producteurs dans la salle? », disait dans le discours de remerciement, en recevant la plus haute distinction de l’Académie de Cinéma Espagnole.
La Vengeance (1958) une parabole sur la réconciliation nationale que Bardem a été contraint de tourner dans les années 30 et qui est devenue le premier film espagnol à être nominé pour un Oscar. Juan a passé 10 ans en prison pour un crime qu’il n’a pas commis. En sortant, lui et sa sœur Andrea jurent de se venger de Luis, El Torido, qu’ils jugent coupable de leurs malheurs. Et ainsi, Andrea et Juan vont travailler dans une équipe de moissonneurs sous les ordres de Luis. Mais l’amour apparaît bientôt entre Andrea et Luis.
Intelligent. Généreux. Persévérant. Combatif. Têtu. Engagé. Idéaliste. Charismatique. Optimiste. Inquiet. Ce sont quelques-uns des adjectifs avec lesquels la famille, les compagnons et les amis décrivaient Juan Antonio Bardem dans les pages que le Spécial 2022 de l’Académie de cinéma dédiait au cinéaste madrilène.
Quelques-uns des chefs-d’œuvre incontestés du cinéma espagnol : Comiques (1954), Mort d’un cycliste (1955), Calle Mayor (1956,) La venganza (1959) ou Nunca nada (1963).
En démocratie, il relance son ambition de faire un cinéma engagé et à fort contenu social, avec des titres comme (Le Pont) ou (Sept jours de janvier). En 1988, il réalise pour la Télévision Espagnole, une série inoubliable : Lorca, mort d’un poète.
Bardem est mort le 30 octobre 2002 à l’âge de 80 ans, quelques mois seulement après avoir reçu le Goya d’Honneur, avec lequel l’Académie de cinéma s’est acquittée d’une immense dette. «Être témoin du moment humain. Eh bien, à mon avis, le cinéma sera avant tout un témoignage ou ne sera rien ».
C’est ainsi que Bardem résumait son métier en 1956. Un siècle après sa naissance, ses films continuent d’atteindre leur objectif.
A. A. M.