Busan : Le plastique vu comme un tueur, mais pas par tout le monde

04/12/2024 mis à jour: 03:39
AFP
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Photo : D. R.

Dans un village de l’Ontario, au Canada, trois jeunes du même âge sont morts de leucémie. Caleb Justin Smith-White, 33 ans, en est persuadé : il ne s’agit pas d’une coïncidence, «le plastique» les a tués.

Nous n’avons aucune étude qui puisse lier ces cancers, nous sommes une trop petite communauté pour qu’elle puisse être efficacement menée», explique le jeune homme, membre du peuple autochtone Aamjiwnaang, communauté Chippewa qui compte un peu plus de 2000 personnes installées près d’un des plus grands complexes pétrochimiques canadiens.

CJ Smith-White a participé cette semaine à Busan, en Corée du Sud, à une coalition de peuples indigènes venus faire entendre leur voix aux diplomates de plus de 170 pays qui y négociaient le premier traité sur la pollution plastique.

Leur but ? Obtenir que le texte, en discussion depuis deux ans, soit légalement contraignant pour les industriels et les Etats, et protecteur pour la santé des populations. Ils demandent notamment que l’extraction du pétrole, matière première de quasiment tous les polymères plastiques, soit inclue dans le traité.

La leucémie est «un cancer très commun dans la région» de Sarnia, surnommée «la vallée de la pétrochimie» ou la «vallée du cancer», explique à l’AFP CJ, évoquant notamment des «fuites de benzène» dans l’air. Tout près de son village, l’un des premiers fabricants mondiaux de styrène, principal composant du polystyrène, Ineos, a annoncé début novembre la fermeture définitive d’ici 2026 de son usine, ouverte dans les années 1950.

«Ce n’est pas nous qui avons fermé l’usine, mais nous avons beaucoup poussé pour obtenir de nouvelles régulations environnementales, et ils ont décidé que cela ne valait plus le coup d’investir dans cette usine pour la mettre au niveau requis», explique le jeune homme. Le sujet du plastique l’intéresse depuis la quatrième session des négociations onusiennes, qui se sont tenues en avril à Ottawa.

A Busan, les témoignages sur les méfaits du plastique pour la santé ou l’environnement se sont accumulés. Des représentants de peuples autochtones venant d’Etats pétroliers américains, comme le Texas ou l’Alaska, d’Australie, du Népal ou d’Amérique latine ont témoigné.

Avec des récits similaires, des terres ancestrales exploitées par des multinationales, la pauvreté de communautés villageoises voisines, des maladies rares qui se développent. En Alaska, «nous voyons se développer des cancer dans plusieurs des communautés indigènes avec lesquelles nous travaillons», témoigne auprès de l’AFP Pamela Miller, directrice exécutive de l’ONG Alaska community Action on Toxics.

Dans certains cas, ce sont les déchets en plastique qui ont inondé des villages de montagne manquant d’infrastructures de traitement des déchets, comme celui de Prem Singh, dans l’ouest du Népal. «Nous avons du plastique partout», dit-il à l’AFP. Selon lui, le bétail ingère des débris de plastique abandonnés un peu partout, et meurt.

Dans son village qui compte un millier d’habitants, les gens perdent le savoir-faire traditionnel de fabrication d’assiettes en feuilles végétales. Les couverts en plastique à usage unique les ont remplacées. Alors que la négociation onusienne avait été initiée pour préserver les océans, les risques pour la santé humaine sont graduellement devenus un thème important.

«Relation toxique»

De nombreux intervenants à Busan ont demandé que des listes d’additifs chimiques dangereux pour la santé ou de types de polymères jugés «préoccupants» (bisphénol, phtalate...) soient annexées au texte du futur traité. Des scientifiques, membres d’une coalition mondiale qui demande un traité «efficace», ont poussé en ce sens.

Une médecin brésilienne de Sao Paulo, Thais Mauad, invitée par Greenpeace, a présenté une étude selon laquelle des microplastiques ont été repérés jusque dans le cerveau humain. «Il n’y a aucun doute» que les produits chimiques liés au plastique «affectent la santé humaine», relève Jane Muncke, toxicologue environnementale à l’Institut fédéral suisse de technologie de Zurich. Elle dénonce notamment la «relation toxique» entre l’alimentation industrielle ultra-transformée et les emballages en plastique.

En juin, une étude parue dans The Lancet montrait qu’une naissance prématurée sur dix aux Etats-Unis était associée à l’exposition des femmes enceintes aux phtalates, présents dans les plastiques, les cosmétiques ou des peintures.Mais lors des débats, plusieurs diplomates issus de pays pétroliers opposés à tout traité coercitif (Russie, Arabie Saoudite...) ont publiquement affirmé que le plastique n’était pas dangereux pour la santé.

Ce qui a forcé l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à sortir de son habituelle réserve pour publier une note redressant certains propos. «Si toutes les régulations chimiques» déjà existantes «fonctionnaient si bien que certains le disent, pourquoi trouve-t-on ces produits chimiques dans le corps humain ?» s’interroge Sarah Dunlop, neurologue militante anti-plastique, venue de Perth, en Australie.

 

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