Dans cet entretien, Brahim Guendouzi, professeur d’économie à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou et spécialiste en commerce, analyse l’impact que pourraient avoir les politiques protectionnistes prônées par Donald Trump. Il estime que la nouvelle orientation pourrait fragmenter davantage le commerce mondial et accélérer le mouvement de régionalisation.
- L’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine marque le retour des mesures économiques protectionnistes et des restrictions commerciales. Comment s’annonce justement ce mandat, à votre avis, et quel serait l’impact sur le commerce mondial ?
Avec l’arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, l’on s’attend à une exacerbation des relations commerciales internationales, tant il a habitué l’opinion publique dans ses discours à des positions tranchantes en faveur du protectionnisme. Cela est d’ailleurs paradoxal, car l’économie américaine a toujours évolué sur une trajectoire libre-échangiste, dont le symbole est la puissance remarquée de ses firmes à travers le monde, constituant ainsi sa force de frappe.
Le président Trump est favorable à une imposition de droits de douane plus élevés sur les importations américaines afin de protéger le marché intérieur. Ce qui pourrait déclencher des mesures de rétorsion de la part d’autres pays, en guise de réciprocité. Le nouvel homme fort de la Maison-Blanche pourrait être tenté de renégocier ou de se retirer carrément de certains accords commerciaux internationaux, ce qui entraînerait une perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales (CVI).
Aussi, il a tendance à privilégier une approche transactionnelle dans ses relations commerciales internationales, se traduisant souvent par des négociations plus dures et des accords bilatéraux, plutôt que des accords multilatéraux dans le cadre de l’OMC. Tout ceci a fait réagir certains observateurs sceptiques sur les intentions de Trump, car considérant que le protectionnisme tel qu’il est préconisé ne peut être une réponse à l’énorme déficit extérieur américain, il serait en revanche inflationniste, et enfin en tant que politique commerciale, elle nuirait aussi bien aux consommateurs qu’aux entreprises.
- En dehors de la Chine, l’Europe et la Russie, quels sont les pays qui risquent de subir les conséquences d’une telle politique ?
Tout d’abord, les partenaires commerciaux des Etats-Unis, particulièrement les pays asiatiques, car ils comptent pour près de 36% du commerce mondial de marchandises. Les flux commerciaux s’articulent principalement du côté du Pacifique. D’où, d’ailleurs, la récente proposition de Trump de vouloir annexer le canal de Panama, s’inscrivant dans une perspective de guerre commerciale visant à gêner la progression des produits asiatiques, particulièrement chinois, vers d’autres marchés.
Des impacts sont également attendus sur le marché pétrolier international et les cours du pétrole brut. Le président Trump soutient en effet l’industrie pétrolière américaine, notamment le pétrole de schiste, en assouplissant les réglementations environnementales. Une augmentation de la production pétrolière américaine pourrait en résulter, influant ainsi à la baisse les prix du pétrole. Les pays de l’OPEP+ risquent de perdre de leur influence si les cours du brut seraient maintenus longtemps à un niveau bas. Des retombées négatives affecteront certains de ces pays car fortement dépendants des revenus pétroliers.
Les pays de l’UE pourront devenir plus mécontents de la politique préconisée par Trump, pour au moins deux raisons : la menace des droits de douane sur les produits européens, d’une part, et surtout le recul qui s’imposera sur les négociations autour de l’environnement et du changement climatique, d’autre part. N’oublions pas que Trump avait déjà retiré les Etats-Unis de l’Accord de Paris en 2017 et pourrait le faire à nouveau. D’ailleurs, il a toujours soutenu l’industrie des énergies fossiles, et donc susceptible d’affaiblir les politiques de la transition énergétique préconisées par les Européens.
Enfin, les pays du groupe BRICS sont dans la ligne de mire de la politique de Trump, car ils veulent réduire leur dépendance au dollar américain et développer une monnaie commune. D’autres pays pourraient être dissuadés de rejoindre les BRICS, craignant par exemple des représailles économiques. A titre d’exemple, l’Argentine a refusé de rejoindre les BRICS bien qu’elle a été admise lors du sommet de août 2023.
- Qu’en sera-t-il de l’Afrique, un continent certes riche en ressources mais dont les pays sont dépendants des importations ?
Il existe d’importantes potentialités et ressources naturelles au niveau du continent africain, en plus d’une volonté de construire une économie intégrée dans le cadre de la Zone de libre-échange (ZLECAf) initiée par l’Union africaine. Les pays africains constituent une grande partie de ce que l’on appelle aujourd’hui le «Sud global», représentant ainsi une part importante de la population mondiale et commençant même à jouer un rôle croissant dans l’économie mondiale.
Les pays africains cherchent à renforcer leur coopération et à promouvoir leurs intérêts communs sur la scène internationale. Ils partagent des défis similaires, tels que la pauvreté, les inégalités, l’endettement extérieur, le changement climatique et les problèmes de gouvernance.
La fragmentation des marchés africains ainsi que l’existence de plusieurs handicaps (insuffisance des infrastructures de transport et de communication, dette extérieure contraignante, instabilité politique et conflits, etc.) les freinent dans leur recherche d’un modèle de développement alternatif qui tienne compte de leurs réalités et de leurs besoins spécifiques, en contraste avec le modèle imposé par l’Occident et dominé par le dollar.
Justement, la Chine arrive à se positionner comme un leader dans le Sud global, en promouvant la coopération Sud-Sud et en offrant une alternative à l’hégémonie occidentale, tout en jouant un rôle actif dans la médiation et la résolution des conflits. La nouvelle orientation commerciale préconisée par Trump va certainement accentuer les fractures et pousser la Chine à plus d’engagements vers le Sud global.
- Avec cette tendance de plus en plus accrue au protectionnisme dans les échanges commerciaux, quelle place reste-t-il pour les accords de libre-échange ?
Paradoxalement, l’accentuation des politiques protectionnistes, préconisées par Trump, pourrait fragmenter davantage le commerce mondial et accélérer le mouvement de régionalisation des flux commerciaux. Les zones de libre-échange et les marchés communs constituent le vecteur du développement des exportations en franchise des droits de douane sans pour autant être en contradiction avec les principes du multilatéralisme, tels que définis par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les effets de proximité commerciale s’avéreront décisifs sur le dynamisme des blocs commerciaux régionaux grâce à l’encouragement des échanges privilégiés entre pays membres.
- Quel rôle reste-t-il alors pour l’Organisation mondiale du commerce ?
Dans sa logique de protection de l’économie américaine et l’institution de barrières commerciales unilatérales (droits de douane élevés par exemple), Trump pourrait affaiblir le système commercial multilatéral, à sa tête l’OMC. Cela signifie la réduction de sa capacité à réguler le commerce mondial, favorisant ainsi une déréglementation industrielle et environnementale accrue.
L’Organisation mondiale du commerce offre cependant un cadre de négociations commerciales et de règlement des différends dont de nombreux pays ne souhaitent pas se défaire, tout en voulant redéfinir la mondialisation, après avoir constaté ses limites lors de la pandémie de Covid-19 et la désorganisation des chaînes d’approvisionnement qui en est suivie.