Brahim Guendouzi. Economiste, spécialiste en commerce international : «C’est le début d’un processus qui remet en cause l’hégémonie du dollar américain»

27/04/2023 mis à jour: 07:22
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Brahim Guendouzi. Economiste, spécialiste en commerce international - Photo : D. R.

- La dédollarisation du système monétaire mondial est un sujet d’actualité qui suscite de plus en plus d’attention. Des pays ont commencé à explorer les options alternatives au dollar américain pour leurs transactions commerciales internationales depuis 2010. Qu’en pensez-vous et quelle faisabilité pour ce processus ?

Ce n’est pas la première fois qu’un processus de dédollarisation est voulu dans le système monétaire international, sans que cela n’aboutisse, évidemment en raison de la complexité des relations internationales et des rapports de force en présence.

La question revient au centre de l’actualité depuis la crise militaire russo-ukrainienne, notamment avec les sanctions décidées par l’Occident à l’encontre de la Russie, particulièrement son exclusion du système des paiements internationaux Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), dont le siège est à Bruxelles.

Il faut rappeler que la puissance du dollar us s’est affirmée tout d’abord lors des accords de Bretton Woods de juillet 1944, avec l’instauration du Gold Exchange Standard, puis s’est renforcée avec la décision historique du président Richard Nixon de démonétiser l’or à partir de 1971, ainsi que celle de l’OPEP de facturer le pétrole exclusivement dans la monnaie américaine à partir de 1973.

Depuis, la Federal Reserv Bank des Etats-Unis domine les relations monétaires internationales grâce à son monopole sur l’émission du dollar us. Déjà à l’époque, le FMI lui-même a dû créer une unité de compte qui est le DTS (droit de tirage spécial) pour éviter de trop dépendre des fluctuations du dollar devenu fortement volatil. Aujourd’hui, la tentation est forte de se départir du dollar comme monnaie de réserve internationale dominante.

- Avec la montée en puissance des BRICS…

La montée en puissance des pays BRICS, particulièrement la Chine qui cherche de plus en plus à accroître le rôle de sa monnaie cotée en offshore, Chinese Yuan ou CNH, sur la scène mondiale. Le PIB total des BRICS ayant dépassé celui de l’ensemble des pays du G7 à partir de cette année, l’accélération du processus de dédollarisation a pris une autre allure. Aussi, que ce soit la Chine ou la Russie, les pays ont mis en place leur propre système de paiements semblable au SWIFT.

C’est le cas du CIPS chinois (Cross-Border Interbank Payment System) administré par la PBoC (la Banque populaire de Chine) et le SPFS (Financial Messaging System) développé par la Banque centrale russe. Au demeurant, on peut dire que c’est le début d’un processus à l’encontre de l’hégémonie du dollar us, mais le chemin reste long car, quoi qu’on dise, la puissance économique, financière et technologique américaine a encore de beaux jours devant elle.

- Justement, quelles seraient les implications de la dédollarisation pour les Etats-Unis et les principaux partenaires ?

Un ancien gouverneur de la Fed disait que «le dollar c’est notre monnaie, mais c’est leur problème», parlant évidemment des pays qui gardent la monnaie us comme réserve internationale ou bien des pays qui font des placements dans les bons du Trésor américain, dont justement la Chine.

Aussi, la question de la dette américaine, qui est la plus élevée au monde, sera certainement un enjeu entre les USA et les pays créanciers détenant les bons du Trésor libellés en dollar. L’aspect le plus facile de la dédollarisation touche les transactions commerciales, puisque les pays peuvent se mettre d’accord sur des mécanismes de paiement évitant le recours au dollar. Ce qui sera plutôt difficile, c’est de changer les règles du jeu à l’intérieur du FMI. C’est à travers cette institution dite de Bretton Woods que l’hégémonie du dollar se perpétue.

Or, le fonctionnement du FMI repose sur un système de voix que chaque pays détient en fonction de sa quote-part et que la majorité des voix dans un vote n’est pas à 51%, comme c’est le cas habituellement, mais à 84% des voix. Comme les Etats-Unis détiennent la plus forte quote-part, il suffit qu’ils s’abstiennent à un vote pour que la décision portant sur une question donnée soit bloquée.

Il en est de même pour la seconde institution de Bretton Woods, en l’occurrence la BIRD, ou Banque mondiale, dont le mécanisme de fonctionnement est très proche également de celui du FMI. Tout le système monétaire international repose sur ce socle qui est représenté par le dollar et les institutions de Bretton Woods. La dédollarisation signifie alors déraciner le système monétaire mondial actuel. Travail de longue haleine !

- Qu’en est-il du statut de monnaie de réserve mondiale qu’a le dollar actuellement ?

Le dollar est utilisé par tous les pays du monde comme monnaie de réserve, car il sert en premier lieu de moyen de paiement à l’international. Toutes les entreprises qui exportent ou importent libellent, dans la plupart des cas, leurs transactions commerciales en monnaie américaine. Il faut ajouter à cela le cas du pétrole brut, qui est payé exclusivement en dollar.

Presque tous les marchés internationaux, financiers ou des marchandises, travaillent en dollar. Les plus grandes banques du monde, dont des banques américaines, gèrent des flux financiers énormes et financent des investissements à l’échelle de la planète exclusivement en dollar. Alors, quelle signification donner à la dédollarisation si ce n’est s’attaquer à un ordre établi depuis longtemps.
 

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