Bouzeguène (Tizi Ouzou) : Des villages changent de look

21/09/2024 mis à jour: 11:39
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Le village Sahel accueille quotidiennement des visiteurs (Photo : El Watan)

L’organisation et la mobilisation des habitants autour des actions d’intérêt commun ont permis à plusieurs bourgades de se distinguer dans le concours de propreté «Rabah Aïssat».                               

 

Comme un seul homme. Tout le monde se mobilise pour l’intérêt commun. L’entretien et l’embellissement de nos villages est l’affaire de tous. Rien n’est  laissé au hasard. Tout  est venu  de l’organisation, de la solidarité et de l’union. Ce que vous voyez est le couronnement d’un travail de longue haleine auquel ont participé tous les habitants. Nous avons des comités de village et un mouvement associatif très dynamiques dans la région.» 

C’est avec ces quelques mots que des citoyens ont essayé de nous résumer le processus d’engagement et d’autogestion des  villageois pour la propreté et la protection de l’environnement à Bouzeguène. Des bourgades changent continuellement de look pour se distinguer dans le concours Rabah Aïssat du village le plus propre de la wilaya qu’organise l’APW de Tizi Ouzou, dont les membres préparent la cérémonie de la 11e édition prévue pour le mois d’octobre prochain. Ainsi, avant de connaître les nouveaux lauréats de 2024, nous avons effectué une virée à Tizouine, ce village de la commune de Bouzeguène (60 km de Tizi Ouzou) couronné l’année dernière. 

En entamant le chemin qui mène au cœur de cette localité, nous sommes, d’emblée, accueillis par les portraits des chouhada et ceux des hommes de culture. L’histoire est, en somme, revisitée dans cette bourgade à la beauté époustouflante. 

L’image qu’elle offre  aux visiteurs qui affluent sans discontinuité depuis l’annonce de ce sacre est vraiment typique. «Ce prix est amplement  mérité. Tous  les villageois sont continuellement mobilisés, avant et après cette distinction. Chez nous, la population est très unie surtout lorsqu’il s’agit de l’intérêt commun», nous explique un des jeunes rencontrés lors de notre passage. Même les femmes ont apporté leur précieuse contribution dans cet élan de mobilisation qui n’a pas attendu des lustres pour porter ses fruits. Le résultat est palpable aujourd’hui tant les villageois ont fait de leur contrée une citadelle attrayante. 


Splendeur

Avec un sentiment de satisfaction et de fierté de la beauté et de la splendeur de leur  village, les habitants de Tizouine mettent en évidence une certaine organisation permettant des visites guidées à l’intérieur des quartiers en empruntant les différentes ruelles où  on peut aisément comprendre que Tizouine  est une destination qui peut attirer même des touristes étrangers. De plus, l’agencement  des  accès offre plusieurs espaces, et la force de persuasion de son comité et de ses associations tend à s’imposer comme une réelle alternative pour la redynamisation de la protection de l’environnement et l’instauration de l’esprit de l’autogestion. Nous avons remarqué des pots de fleurs qui longent toujours les ruelles. Des corbeilles accrochées dans divers endroits.  Il faut dire que la valorisation des déchets se taille un quart de la note du barème de l’évaluation globale du concours. 

C’est ce qui a, d’ailleurs, poussé les villageois à se lancer dans des formules susceptibles d’encourager l’économie circulaire et le commerce équitable. L’architecture ancestrale est préservée sans aucune modification, à l’exception de quelques renforcements en béton, tout en maintenant l’aspect originel. Le tri des déchets se fait à la source. Des lampions lumineux ornent aussi l’accès principal, où des bacs à ordures sont installés avec des indications accompagnées de textes de sensibilisations. Aucun papier, ni détritus ou gravats sur le pavé. Il y a aussi des espaces verts préservés et bien entretenus. Il y a un travail d’information et de sensibilisation qui est assuré régulièrement par des animateurs associatifs et des universitaires travaillant sur la question, nous informe-t-on sur place.  


Embellissement 

Les portraits des personnalités culturelles et des rois berbères comme Matoub Lounès, Mouloud Mammeri, Cheikh Mohand Oulhoucine et Massinissa sont réalisés, sans doute, par des artistes de la région, sur la façade de la Tajmaât qui donne sur l’artère principale. Les femmes qui ont marqué le village comme les deux sages-femmes traditionnelles, Ferroudja Sadi (née en 1886 et décédée en 1979) et Taoues Adli (1887-1984)  ont eu également droit à des fresques tout comme les deux moudjahidate (Tassadit Sadji et Yamina Moussaoui), blessées lors de l’attaque de l’armée française durant la guerre de libération nationale. Outre l’implication de la population durant la Révolution, il faut dire que la protection de l’environnement n’est pas un concept nouveau chez les riverains à Tizouine. L’idée de se lancer dans le tri sélectif remonte à plusieurs années. Selon Foudil, un animateur associatif qui coordonne parfaitement les affaires du village, l’universitaire Hammoum, un enfant de la région, a souvent animé des conférences d’information et de sensibilisation sur l’hygiène. 

«Il y a aussi un citoyen qui a offert au comité une parcelle de terrain qui a servi de centre de tri et de compostage. Nous avons mis en place un petit incinérateur dans cet endroit. Nous avons même créé un poste d’emploi pour un citoyen de notre village qui est payé par l’argent des cotisations», nous confie-t-il  tout en notant que Tizouine est le premier village de la région de Bouzeguène qui a réalisé un réseau d’assainissement grâce aux volontariats des citoyens de cette bourgade de 800 habitants. 

Le désherbage, la réhabilitation de l’éclairage public et des réseaux de drainage des eaux pluviales sont autant d’actions assurées par des citoyens bénévoles, toutes catégories d’âge, déterminés à prendre les choses en main pour améliorer leur cadre de vie quotidien. Les résidents ont réussi à aménager même des petits espaces verts et des aires de jeux pour enfants financés par leurs propres moyens. «Il y a à peine 400 personnes qui habitent en permanence dans le village. 

Les autres y viennent juste occasionnellement. Nous avons aussi beaucoup d’émigrés. Leur apport dans tout ce que nous faisons est considérable. Ils répondent toujours favorablement à nos sollicitations quand il s’agit d’une action d’intérêt général», ajoute-t-il. Tout le monde met la main à la poche pour contribuer financièrement à la réalisation des projets. 

La main-d’œuvre est également assurée gratuitement par les jeunes avec bien évidemment la précieuse contribution des femmes qui s’occupent beaucoup plus des tâches d’embellissement et de nettoyage de tous les coins et recoins de l’ensemble des quartiers que nous avons reconnu à travers des indications écrites généralement en tamazight comme Lhara Ath Hend et Tafrest. Un nom revient toujours sur les lèvres des personnes rencontrées. Il s’agit d’Azouaou Saïdi, l’une des chevilles ouvrières de l’action associative dans le village. Il est décédé alors qu’il a encore beaucoup à donner  pour la nouvelle génération de jeunes membres du comité qui lui ont rendu, l’année dernière, un vibrant hommage en  baptisant le foyer de jeunes en son nom. 

Ce geste immortalise cet homme aux qualités indéniables. Il est ravi aux siens, en 2019, à l’âge de 59 ans, des suites d’une maladie. Son nom restera gravé à jamais car il a vraiment contribué de manière remarquable dans tout ce qui s’est fait à Tizouine. C’est quelqu’un de très instruit qui a mis son savoir au profit de sa population. Etant donné qu’il était diplômé en sciences exactes, il avait initié même des cours de soutien dans les maths, la physique, entre autres, aux élèves des classes d’examen. 

«Dda Azouaou était un homme très humble et pétri d’un savoir inouï. Il était enseignant-chercheur en physique à l’université de Créteil, en France», a précisé  un membre de la famille du défunt. Il est vrai que tout commence par une étincelle qui déclenche une dynamique citoyenne, notamment dans les localités de la région de Bouzeguène, à l’extrême sud-est de la wilaya de Tizi Ouzou. 

 

                                             (Tizouine, village le plus propre de la wilaya de Tizi Ouzou)


Façades captivantes

Toujours dans la commune de Bouzeguène, à Sahel aussi, détenteur du premier prix du Super concours (compétition des lauréats) du village le plus propre Aïssat Rabah, le visiteur peut être fasciné par la beauté des lieux. C’est un paradis sur terre si l’on se réfère à la splendeur de ses endroits féeriques.  

Là, la culture se conjugue au pluriel comme elle est ancrée dans l’esprit de la population qui s’adonne, avec un grand dévouement, aux activités artistiques pour égayer les visiteurs. Sahel est, d’ailleurs, choisi, en 2019, pour abriter la 16e  édition du festival Raconte-arts qui a permis à des dizaines de milliers de personnes de différentes contrées de se retrouver dans une ambiance associée à la grande clameur dans plusieurs langues.  Les artistes de divers horizons ont excellé et montré leur talent dans un métissage culturel aux couleurs multiples qui fait de Sahel une destination prisée par les férus de l’art compte tenu des œuvres fascinantes qui ornent majestueusement les ruelles et les placettes du village. 

Ces jeunots épatants ont transformé des murs d’habitations anciennes en façades captivantes d’où les fresques d’hommes de culture sont réalisées avec une technique particulière de peinture murale qui magnifient les lieux. Panoramiques, en trompe-l’œil, ces œuvres étalent une scène, un paysage, un visage et des motifs sur tout un pan de mur à même d’accrocher le visiteur. Le maire de Bouzeguène, Mourad  Bessaha, n’a pas caché sa satisfaction après la consécration de Tizouine et Sahel. «Il y a une certaine dynamique citoyenne dans notre commune. 

C’est la continuité d’un grand travail de mobilisation et de solidarité des habitants de Bouzeguène. Nous allons accompagner tous les villages qui veulent participer au concours Aïssat Rabah», a-t-il promis aux citoyens de sa commune qui ont transformé des villages en de  véritables lieux d’attractions touristiques prisés par les visiteurs des différents horizons. 

Cette année aussi, plusieurs bourgades de la daïra de Bouzeguène  prennent part à la 11e édition du concours Rabah Aïssat avec un désir ardent de s’adjuger les trophées mis en jeu. 

 

Reportage réalisé par Hafid Azzouzi 

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