Boukhalfa Laala. Ancien directeur général d’Oravio-Ouest et expert en aviculture : «Il faut mettre en place un système de régulation»

01/10/2023 mis à jour: 05:45
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  • Vous êtes convaincu qu’on ne pourra pas arrêter l’augmentation des prix avant 2024. Quels sont vos arguments ?

Permettez-moi de vous expliquer que l’aviculture est une filière stratégique contribuant énormément dans la satisfaction des besoins des citoyens en protéines animales, surtout les viandes blanches et les œufs de consommation.

Néanmoins, cette filière traverse actuellement des crises chroniques causant des préjudices parfois aux éleveurs qui sont obligés de brader leurs produits avicoles à des prix nettement inférieurs aux coûts de production. Par la suite, ils abandonnent leurs activités en attendant des jours meilleurs annonçant la reprise de l’activité.

Dans ce cas précis, ce sont les éleveurs qui en sont victimes. L’abandon de l’activité provoque une pénurie engendrant la flambée des prix.

Cette fois, ce sont les consommateurs qui en sont victimes. La dérégulation du marché s’explique par la désorganisation du fonctionnement de la filière avicole par le non-respect du programme des mises en place du cheptel reproducteur appelé «cheptel présent».

Autrement dit, c’est un effectif présent qu’on constate durant toute l'année pour avoir une répartition de la production pratiquement identique, chaque mois, correspondant à une courbe de production pratiquement linéaire.

Et ce sont particulièrement les besoins du marché qui déterminent l’effectif du cheptel présent. Je m’explique, supposons que la norme de consommation en viande blanche par citoyen est de 15 kg par an, dans ce cas, les besoins du marché seront de 15×45 millions d’habitants, soit 675 000 000 kilogrammes, l'équivalent de 675 000 tonnes de viande blanche.

Mathématiquement, chaque reproductrice produit 112 kg durant l’année, donc pour connaître l’effectif présent, il suffit de diviser les besoins du marché annuel par le rendement de chaque reproductrice, soit 675 000 000/11, cela donne environ 6 millions de reproductrices, c’est ce que j’ai nommé le «cheptel présent» qu’il faut respecter régulièrement durant toute l’année, pour espérer obtenir une stabilité du marché.

Ce qui fera les affaires du producteur et du consommateur, évitant ainsi l’anarchie qui se caractérise le secteur avicole, (filière ponte et filière volaille de chair).

  • Donc la cause principale de cette flambée des prix est liée au cheptel présent ?

Oui, la cause principale est ce fameux cheptel présent. Pour avoir une production en œufs de consommation répondant à la demande du marché, il faut avoir un effectif présent de reproductrices ponte de l’ordre de 400 000 sujets, mois par mois, de janvier jusqu’à décembre.Malheureusement, l'effectif présent existant est simplement d'environ 120 000 sujets.

Dans ce cas précis, on ne peut pas demander à la pauvre poule reproductrice de pondre trois fois plus que sa capacité. Ce cas a persisté pendant une longue durée. Pour espérer résoudre ce problème, il faut combler et compléter l’effectif manquant pour atteindre la norme des 400 000 sujets.

Le problème n’a pas été réglé par complaisance ou ignorance. Je viens d’apprendre qu’un effectif important a été importé, ces derniers temps.

Actuellement, nous comptons  environ 380 000 sujets, pas loin de la norme. Néanmoins, cela demandera du temps pour avoir des pondeuses donnant des œufs de consommation.

Cette situation persistera jusqu'à avril 2024. Soit juste après l’Aïd El Fitr, on espère avoir une plaquette d’œufs au prix normatif correspondant à notre pouvoir d’achat.

  • Nous continuons toujours à produire exclusivement les œufs roux, une production plus coûteuse…

Oui, l’Algérie est pratiquement le seul pays au monde continuant à produire exclusivement des œufs roux, c’est dû au choix de la souche rousse.

En 1983, un groupe de travail avait été  désigné par le ministre de l’Agriculture, chargé d'établir une stratégie de produire des œufs localement.

Monsieur le ministre, convaincu de la proposition, avait demandé au groupe de travail comment convaincre le citoyen de consommer des œufs locaux.

La réponse était simple et claire, par la couleur. Nous importons des œufs blancs,donc il faut produire des œufs roux pour faire la distinction, alors qu’il existe une souche blanche qui consomme moins d’aliments et qui produit plus d’œufs que la souche rousse. Il faut arriver à convaincre l’éleveur de cette logique.

  • Le président de l’Union nationale interprofessionnelle de la filière avicole affirme que la production reprendra de plus belle. Un commentaire ?

Cela reste un avis personnel. Le prix de l’œuf ne pourrait pas se stabiliser avant la fin du premier trimestre 2024. Après ce délai, on espère acheter une plaquette d’œufs à un prix raisonnable.

  • Quelle démarche proposez-vous pour parvenir à un marché plus stable et régulier ?

Actuellement, cette filière avicole traverse une conjoncture très difficile, hypothéquant même son devenir. Il faut que les pouvoirs publics se penchent sur ce dossier pour mettre en place une stratégie organisationnelle.

Il faut un mettre en place un plan de redressement, un système de régulation par la gestion de la reproductrice, afin de respecter les effectifs présents. Un autre problème est à inscrire à l’ordre du jour : l’aliment.

Il représente, en effet, plus de 70% du coût de production. L’Algérie a, depuis l’indépendance jusqu'à ce jour, opté pour une formule américaine pour fabriquer l’aliment volaille basée sur l’incorporation du maïs et du tourteau de Soja.

Ces deux matières n’ont pas connu de stabilité, compte tenu des conflits que connaissent le monde. Les besoins nutritionnels de la poule sont de 2800 kilocalories.

L’Etat doit soutenir les prix de ces deux matières premières. Les prix des œufs et des viandes blanches seront inévitablement revus à la baisse de moins de 50%.

Il y a aussi beaucoup de maladies qui s’installent dans notre pays et qui provoquent de grands dégâts.  Et ce sont aussi les performances techniques qui ne sont généralement pas respectées par la majorité des éleveurs et qui sont à l’origine de la hausse du coût de la production.. 

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