Biopic : L’insaisissable Émir Abdelkader Ben Muhieddine El Djazaïri

03/09/2023 mis à jour: 15:05
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Photo : D. R.

Le 6 septembre est l’anniversaire de l’Emir Abdelkader, fondateur de l’Algérie moderne. Le film grandiose sur sa vie, considéré par beaucoup comme la fondation d’un cinéma moderne, n’a toujours pas vu le jour, 30 ans après l’idée du projet et 16 ans après le lancement du projet.

10 ans de gel puis 5 ans de congélation pour un projet qui remonte à 2007, soit il y a 16 ans, voire plus puisque l’idée a germé dans les milieux officiels du cinéma au milieu des années 70. Le biopic voulu à la stature internationale, comme pour Omar El Mokhtar ou Gandhi, n’est effectivement toujours pas sorti, pas même tourné, malgré des budgets conséquents et au moins trois scénarios approuvés.

Pour l’Emir, il y a bien eu un documentaire français réalisé en 2004 par Mohamed Latreche et écrit par Mohamed Kacimi, A la recherche de l’Emir Abdelkader, et un autre Abdelkader tout court, de Salem Brahimi en 2013, produit par l’AARC, l’Agence algérienne de rayonnement culturel, mais pire, c’est de France et en février dernier que le scénariste d’origine algérienne, Abdel Raouf Dafri (Mesrine, Un prophète, Qu’un sang impur) annonce un projet de série sur l’Emir Abdelkader produit par Canal+, qui fait déjà grincer des dents, la série du même Abdel Raouf Dafri  Alger, confidentiel sur les services secrets ayant scandalisé les autorités.

Mais c’est tout, ce qui est très peu pour la figure de l’Emir, le biopic devait commencer son tournage en 2013 au moment d’ailleurs où est accordée une autorisation de transfert de 17,56 millions de dollars sur le compte de la société américaine Libre Studio du Français Philippe Diaz, impliquant l’ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, par l’intermédiaire de l’AARC. En 2017, l’ancien ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, gèle le projet qui devait être réalisé par un cinéaste américain, qui fait ensuite l’objet d’une enquête judiciaire autour des 200 milliards de centimes à la production sans que le film n’ait vu le jour.

Ce n’est pas fini, en juin 2021, l’ex- ministre de la Culture, Malika Bendouda, annonce que le film sera relancé avec « un nouveau scénario et de nouveaux producteurs». On crée même par décret présidentiel un établissement public uniquement pour la production du film, procédé assez rare dans l’histoire du cinéma, société dénommée Al Jazaïri rattachée jusqu’à, il y a quelques semaines, au Premier ministère, avec Saedane Ayadi, à la tête d’un conseil d’administration pléthorique composé des représentants du ministère de la Défense, des Affaires étrangères, de l’Intérieur, des Finances, Moudjahidine, Communication, Culture, Industrie, Commerce et même de la Micro-entreprise. Du gros et de la grande bureaucratie pour finalement rester encore dans le flou.

En août 2023 enfin, la société Al Jazaïri passe sous la coupe du ministère de la Culture avec armes et bagages, c’est-à-dire son très lourd personnel, Ali Rachedi tout heureux de se débarrasser de ce projet impossible.

La valse hors champ des réalisateurs et scénaristes

Dans l’imbroglio, il n’y a pas que le problème de production qui s’est posé mais aussi le choix du réalisateur. Al Jazaïri, surnom de l’Emir, de son vrai nom Abdelkader Ben Muhieddine, doit-il être filmé par un Algérien ou un étranger ? C’est à la villa Dar Abdeltif que Mustapha Orif (de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel) annonce que «le cinéaste américain Oliver Stone sera de la partie» aux côtés de Charles Burnett (auteur américain entre autres de Namibia avec Dany Glover) et de Philippe Diaz (à l’origine réalisateur de courts métrages pour entreprises), avec «tournage en 18 semaines».

Quelque temps plus tard, c’est une autre production qui est annoncée, autour d’un écrivain américain inconnu du nom de John Kaiser, qui a écrit le livre L’Emir et d’un réalisateur tout aussi inconnu du nom de Ronald F. Maxwell. C’est ensuite au tour du réalisateur syrien, Bassel El Khatib, réalisateur de Ben Badis, à être annoncé, puis Nedjdat Anzour, doyen des cinéastes syriens.

Point mort, d’autres noms, algériens, sortent ensuite, Ahmed Rachedi et Djaâfer Gacem entre autres, et pour les scénaristes, c’est la même valse depuis le premier essai de Serge Michel en 1977, avec l’intervention de l’ex-ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, qui déclare : «Je ne veux pas que le film sur l’Emir Abdelkader devienne un feuilleton mexicain, nous avons trois scénarios, le premier écrit par Boualem Bessaieh en 2011, [auteur de  Bouamama], le 2e par Zaïm Khenchelaoui et Philippe Diaz en 2013 et le 3e enfin de Malek Laggoune en 2015.» Ce qui n'est pas entièrement vrai, Boualem Bessaieh, conseiller de Bouteflika, a écrit une anthologie de 3 tomes et non pas un scénario, duquel a été tiré le scénario de Diaz, aidé par Khenchelaoui qui est anthropologue à la fondation Émir Abdellader.

L'allusion au Mexique prend du sens quand on sait que Diaz, franco-mexicain, a dû fuir la France recherché par la police, ayant au passage livré son scénario, entièrement payé par le contribuable algérien, où le général Bugeaud est décrit comme un gentilhomme avec dans cette version Diaz, une apothéose à la fin où c'est ce militaire sanguinaire qui remet une médaille à Abdelkader en Syrie dans une ambiance bon enfant. Bref, de l’argent dépensé, sur le budget de 200 milliards de centimes, 150 ont été déjà consommés dans l’achat d’accessoires et de costumes, y compris l'importation de chevaux de France, et dans le paiement des salaires, y compris de techniciens étrangers, Toumi sautant à la fin à la suite de ce scandale étouffé.

Heureusement, selon toujours Mihoubi : «Les décors et les costumes sont au niveau d’El Achour au Centre algérien du développement du cinéma», sans trace des chevaux. Enfin, pour les acteurs, ce n’est pas mieux, en 2013, l’AARC, producteur à l’époque, avait opté en concertation avec le conseiller cinéma de Toumi pour le Palestinien Saleh Bakri dans le rôle de l’Emir et on l’a fait venir en Algérie pendant 1 an tous frais payés pour lui apprendre le parler algérien.

Peine perdue, il n'est même pas acteur mais mannequin, récompensé à un festival de mode à Tel Aviv, d'où la polémique qui a suivi dans les médias en raison de la citoyenneté israélienne qu'il possède, et sera finalement rejeté à la mer. Tout ça pour le pauvre Emir Abdelkader dont d’ailleurs parmi la nombreuse descendance se trouve un arrière petit-fils, Abderrezak Abdelkader, qui avait aussi la nationalité israélienne et fut arrêté en Kabylie en 1963 pour être libéré en échange de l’accord de la famille pour le rapatriement de la dépouille de Abdelkader de Damas où il a été enterré selon ses vœux près de son maître soufi, Ibn Arabi. Abdelkader, l’Emir, pas le film, repose actuellement à El Alia, certainement épuisé par tant de problèmes. Un long feuilleton pour une œuvre qui n’a toujours pas vu le jour. Mais de quoi faire un film, un film sur le film et un film sur le film sur le film. 

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