Besma Belbedjaoui. Présidente de la fondation Synergia : «Des incitations économiques nécessaires pour une meilleure gestion des déchets»

04/11/2024 mis à jour: 08:31
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Photo : D. R.

Les amendements à la loi 01-19 sur la gestion des déchets marquent une avancée significative vers une approche plus durable et intégrée de la gestion des déchets en Algérie, selon Besma Belbedjaoui, présidente de la fondation Synergia, aussi experte en économie circulaire. Dans cet entretien, elle détaille le plaidoyer portant enrichissement du texte en question, remis à l’Assemblée populaire nationale (APN), pour maximiser l’impact des amendements. Il est crucial, selon elle, d’adopter des mesures incitatives économiques robustes, le suivi des performances et l’intégration de nouvelles technologies.

  • Le projet de loi modifiant et complétant la loi n°01-19 du 12 décembre 2001 relative à la gestion, au contrôle et à l’élimination des déchets est passé devant la commission parlementaire de l’agriculture, de la pêche et de la protection de l’environnement. Il souligne l’urgence de passer à un modèle économique basé sur l’économie circulaire qui cherche à réduire l’impact écologique des activités productives. Une grande avancée selon vous si le texte vient d’être adopté ?  

La réforme de la loi n°01-19 représente une avancée majeure pour la gestion durable des déchets en Algérie et selon les principes de l’économie circulaire. Cependant, des ajustements sont nécessaires pour maximiser son efficacité, notamment en ce qui concerne les incitations économiques, le suivi des performances, et l’intégration de nouvelles technologies. Une analyse critique révèle certains défis et des limites potentielles qui pourraient freiner son impact.L’intégration de l’économie circulaire est un aspect positif, mais le cadre législatif actuel manque de clarté.

Des notions importantes comme la prévention des déchets et l’éco-conception doivent être mieux définies pour garantir leur application efficace. En outre, l’absence d’incitations financières pour inciter les entreprises à adopter ces pratiques constitue une faiblesse significative. Pour y remédier, le gouvernement pourrait envisager des mesures telles que des crédits d’impôt ou des subventions pour soutenir les investissements.

Un nouveau modèle économique nécessitera l’engagement de tous les secteurs d’activité afin de créer un système véritablement durable. Un autre point important : A clarifier aussi la valorisation des déchets ménagers : le projet actuel présente des lacunes en matière de directives claires concernant le tri et la valorisation des déchets ménagers.

En Algérie, où environ 60 % des déchets sont d’origine organique, il est crucial de développer des stratégies concrètes pour le compostage, la méthanisation et la production d’énergie renouvelable à partir de ces déchets. Une solution efficace pourrait être la mise en place d’un système de tri à deux fractions. L’introduction de la REP (La Responsabilité Élargie des Producteurs) est un grand progrès, mais le cadre juridique reste flou quant à la gestion des éco-organismes responsables de cette initiative. De plus, les petits producteurs risquent d’être pénalisés par des obligations trop strictes.

Des exemptions ou des aides financières devraient être envisagées pour alléger cette charge. La suppression des plastiques à usage unique est aussi une mesure très appréciée, mais il est important de discuter davantage des alternatives à ces produits. Pour réussir cette transition, il est essentiel de soutenir le développement de matériaux réutilisable ou biodégradable.

  • La transition des entreprises vers le vert est toutefois coûteuse, des aides sont nécessaires…

Il serait avantageux d’établir des mécanismes financiers pour soutenir les entreprises dans l’adaptation de leurs produits vers des solutions durables. L’industrie du plastique en Algérie est un pilier essentiel de notre économie, l’objectif est de l’intégrer dans une démarche à la fois durable et responsable. Le renforcement des sanctions est un point positif, mais il nécessite un soutien accru des autorités locales pour assurer une application équitable. Le succès de la réforme dépendra en grande partie des ressources allouées aux autorités locales pour appliquer les nouvelles règles.

Le renforcement des capacités est essentiel pour mettre en œuvre les principes de l’économie circulaire et du développement durable. Cela passe d’abord par des formations continues qui permettent aux administrateurs, professionnels et aux entreprises de mieux comprendre les enjeux liés à la gestion des déchets, au recyclage et à l’éco-conception. Il est également important de sensibiliser le grand public à ces questions. Des campagnes d’information peuvent aider les citoyens à adopter des pratiques durables, comme le tri des déchets et la réduction de leur consommation.

  • Dans votre plaidoyer pour l’enrichissement du texte, vous suggérez la mise en place d’incitations économiques et le déploiement de technologies innovantes. Qu’en est-il ?  

Dans le cadre de l’enrichissement de ce texte, des incitations économiques et le déploiement de technologies innovantes peuvent jouer un rôle crucial pour assurer une transition réussie vers une économie circulaire. Voici comment ces éléments pourraient être intégrés efficacement : D’abord, les incitations économiques visent à encourager les entreprises, les citoyens et les institutions publiques et privées à adopter des pratiques plus durables.

Et d’offrir aussi des crédits d’impôt ou des subventions aux entreprises qui investissent dans des technologies de recyclage, de valorisation des déchets ou de production d’énergies renouvelables, comme le biogaz. Ces incitations allègeraient le coût des investissements nécessaires pour intégrer des pratiques d’économie circulaire et motiveraient les à se lancer dans des projets écologiques.

Les incitations fiscales et parafiscales, ou « fiscalité verte », visent à encourager les comportements écologiques en appliquant des réductions d’impôts, avec l’exonération de TVA sur les produits recyclés et équipements de valorisation des déchets, des crédits d’impôt pour les investissements verts, des primes pour la réduction des déchets à la source, des subventions pour les technologies de recyclage innovantes, une Eco-contribution progressive pour les producteurs (REP) et Contribution pour les plastiques à usage unique. Il existe aussi des réductions d’impôts pour les entreprises certifiées…

  • Vous avez spécifié dans votre plaidoyer des domaines-clés où ces technologies peuvent transformer la gestion des déchets et aider à la mise en place de l’économie circulaire. Pouvez-vous nous en parler davantage ?

Comme par exemple, l’automatisation et intelligence artificielle (IA) pour le tri des déchets, à savoir le tri automatisé par IA.  Les technologies de reconnaissance visuelle et d’intelligence artificielle peuvent être intégrées dans les centres de tri pour séparer automatiquement les matériaux recyclables comme le plastique, le métal et le papier.

Il y a aussi les technologies de suivi et de gestion des déchets. Des plateformes numériques de gestion des déchets peuvent être établies avec la mise en place d’un système national intégré qui pourrait enregistrer et suivre les flux de déchets en temps réel. Cette plateforme pourrait inclure une cartographie des types et quantités de déchets par région, en tenant compte des capacités locales de traitement et de recyclage.

Un autre domaine est la valorisation énergétique des déchets organiques, comme la méthanisation pour production de biogaz (une source d’énergie renouvelable). Cette technologie repose sur un processus de digestion anaérobie, où les matières organiques sont décomposées pour générer du biogaz, qui peut ensuite être converti en électricité ou en chaleur. Aussi la valorisation et recyclage des déchets solides avec des installations de recyclage des différentes fractions des déchets solides peuvent être encouragé, avec des technologies de recyclage avancées.

Le recyclage chimique pour les complexes plastiques qui ne peuvent pas être recyclés mécaniquement.  Nous proposons à réfléchir aux technologies de surveillance environnementale, à savoir les drones et capteurs pour le suivi des sites de déchets. Des capteurs peuvent être installés dans les centres de traitement pour surveiller en temps réel les émissions de gaz nocifs. Cette surveillance renforce le respect des normes de sécurité et de durabilité, limitant l’impact des installations de traitement sur l’environnement et la santé publique.

  • Un amendement propose une interdiction progressive du plastique, encourageant la transition vers des alternatives durables. Des initiatives timides sont pourtant prises pour diminuer son utilisation mais qui n’ont pas connu forcément de succès. Pour quelles raisons ?

Les initiatives visant à réduire l’utilisation du plastique, bien que louables, rencontrent plusieurs obstacles qui limitent leur succès. D’un point de vue économique, il faut souligner que l’industrie du plastique est l’une des plus florissantes en Algérie et dans le monde. Une stratégie collaborative avec cette industrie est essentielle pour garantir la réussite de ces initiatives. Sans incitations économiques, subventions et fiscalité verte, cette transition reste difficile, d’autant plus qu’il manque d’alternatives fiables et disponibles à grande échelle.

Cette transition pourrait également entraîner des coûts élevés si les initiatives ne sont pas correctement gérées.  Sur le plan social, la faible sensibilisation des citoyens et des habitudes de consommation a créé auparavant une approche prenant en compte l’éducation environnementale.Enfin, le manque d’infrastructures de recyclage et le faible soutien à la recherche et à l’innovation limitent la pérennité des solutions mises en œuvre, risquant de rendre ces initiatives des simples projets pilotes sans suite.

Au final je dois dire que la réussite de cette initiative dépendra d’une collaboration étroite entre le gouvernement, les entreprises et la société civile, visant à instaurer une véritable culture de l’économie circulaire. En mobilisant l’ensemble des acteurs concernés et en intégrant des solutions innovantes, il sera possible de transformer les déchets en ressources et de contribuer à la protection de l’environnement tout en stimulant la croissance économique algérienne.
 
 

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