Belkacem Ahcène Djaballah. Professeur des Universités à la retraite et journaliste : «Ecrire contre les oublis et lire pour se souvenir»

26/03/2022 mis à jour: 00:54
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On ne se lasse pas du temps passé avec un compatriote de la trempe de. Ahcène Djaballah Belkacem (A.D. Belkacem, ndlr), universitaire, journaliste indépendant, auteur, ayant occupé les hautes fonctions dans les institutions de l’Etat. Une rencontre instructive, à l’aube de l’ouverture du SILA 2022 avec cette personnalité qui continue à contribuer dans le secteur de l’information, sachant qu’elle a lu plus de 1000 (mille) ouvrages, ayant organisé et participé à plusieurs conférences publiques, émissions radios et TV, afin d’apporter des éclairages sur un nombre important de thèmes inhérents au secteur de l’information, de la culture et de l’économie. En lisant des citations algériennes dans le dictionnaire de poche de notre interlocuteur, l’ex-directeur général de l’APS, l’ex-DG de l’ANEP, de l’ex-directeur de l’information à la Présidence de la République, Docteur en sciences de l’information de l’Université de Paris-2, on se rend compte de sa volonté et de son souci d’être utile à son environnement, son pays. Il n’a pas hésité un moment à répondre à nos questions.

  • On vient de consulter votre œuvre Citations algériennes, un dictionnaire de poche. Combien de temps avez-vous mis pour nous produire ce magnifique livre. Est-ce à la suite de recherches d’abord et, autres questions, ensuite pourquoi les caractères sont très réduits ?

Ce ne sont nullement des recherches au sens académique, comme vous le dites, mais seulement le fruit de lectures répétées (depuis plus de dix années) dans le cadre de la confection d’une chronique de presse hebdomadaire consacrée aux livres (précision : seulement ceux édités en Algérie… et en langue française, y compris ceux en arabe mais traduits avec pour souci de ne pas déflorer l’ esprit des textes), tout ceci étant doublé par une lecture quotidienne et assidue de la presse nationale pour y retrouver les formules les plus intéressantes ou les plus savoureuses ou les plus percutantes, dignes, selon moi, d’être reprises soit par des journalistes soit de personnes (algériennes et/ou étrangères) interviewées ou contributeurs. J’ai aussi relu, en parallèle, certains classiques nationaux pour y trouver des citations à intégrer dans mon dico qui n’en est qu’à sa première édition, en espérant publier une édition augmentée. Quant à la police de caractères utilisée, ne pas oublier que c’est un dico de «poche» qui va être manipulé moult fois par jour… Donc, c’est un problème de gain d’espace, car il aurait pu, avec une autre police, faire 500 à 600 pages… ce qui pourrait paraître lourd donc rebutant… et coûter plus cher. Un problème de … vue et/ou de lunettes.

  • La production littéraire semble plus facile pour vous actuellement, de surcroît après la difficile période de la pandémie. Pensez-vous que l’avenir des jeunes écrivains de la langue française s’annonce dans de meilleures perspectives ?

L’écriture ne relève pas de la seule maîtrise d’une langue et/ou d’une pandémie. Elle est aussi l’expression permanente de connaissances et de sentiments que l’on veut partager, et ce, en la langue que nous maîtrisons le plus et le mieux. Pour ma part, c’est la langue française et, je le précise, je n’ai aucun complexe à la parler, à la lire ou l’écrire. Je sais qu’il y a encore pas mal de lecteurs… tout en sachant que la langue arabe est depuis plus d’une dizaine d’années en expansion… tout en sachant aussi que c’est largement insuffisant car la lecture en langue arabe (comme celle d’ailleurs en langue française) stagne ou même recule par rapport à ce qui est possible ou espéré, tenant compte du taux appréciable d’alphabétisation du pays. Pour l’instant, les tirages restent faibles… et les «best-sellers» sont très, très rares… en dehors du Livre saint, des ouvrages scolaires et de quelques «mémoires» consacrés à l’histoire. Mais il ne faut pas désespérer et continuer à écrire, à éditer, à vulgariser, à multiplier les espaces de lecture publique dont les rencontres avec les écoliers et les collégiens, à aider les librairies et les maisons d’édition nationales… et ce, quelle que soit la langue …..

  • Votre analyse sur la situation du secteur du livre en Algérie, naturellement de celle de la maison édition ? La politique nationale du livre existe-t-elle réellement ?

La politique nationale du livre a toujours existé…, malheureusement, avec bien plus de bas que de haut… selon les gouvernants et les situations économiques. On a connu une très belle période, dans les années 70, avec une stratégie originale liée au développement de la «lecture publique». Malheureusement, comme dans beaucoup de secteurs d’activités «immatérielles», il y a beaucoup d’abandons en cours de route et beaucoup de restructurations désastreuses (comme celle du cinéma, et celle des librairies d’Etat…), ce qui nous a ramenés «doucement mais sûrement» à un niveau regrettable.

  • En 2022, le lectorat dans notre pays est-il plus important par rapport à son passé ? Comment appréciez-vous la qualité et le niveau de l’écrivain algérien en langue française et arabe à l’étranger ?

Bien sûr que le lectorat est plus important, car ne pas oublier que nous sommes plus de 40 millions de personnes avec un très fort pourcentage de lettrés capables de lire… mais qui ne lisent pas tous. Hélas ! Il est vrai que la télé (qui, par un passé récent, a littéralement laminé le cinéma), puis les Tic ont bouleversé l’appréhension de la chose écrite. Surtout qu’à l’école et à la maison, on a beaucoup appris et on apprend encore aux enfants à voir, à entendre et à ingurgiter, mais pas à lire, à déchiffrer et à comprendre. 

Quant à la production elle-même, c’est un peu comme pour le cinéma (encore qu’il y a désormais, chez nous, bien plus de liberté de publier un livre que de réaliser un film)… les super productions -celles intéressant, à leur manière… financière et/ou politique… le marché extérieur - se réalisent à l’étranger. Ceci dit sans diminuer de la qualité des écrits nationaux, en arabe et en français… et désormais en tamazigh, qui sont, je le dis et le redis, ayant lu plus de 1000 ouvrages (sans parler de l’expression médiatique) en plus de dix années, d’une qualité et d’une profondeur, tant dans l’écriture que dans le sens, assez supérieurs à ce qui se fait à l’étranger. Hélas, les tirages faibles et les diffusions limitées font que l’auteur algérien n’est pas apprécié à sa juste valeur. En tout cas, nous arrivions difficilement à faire le tri (sic !) entre le bon et le moins bon, l’auteur de circonstance et celui d’avenir. C’est, d’ailleurs, ce constat ancien qui a fait que j’ai travaillé sur le dictionnaire des citations qui met en valeur la qualité de nos auteurs et de leurs productions

  • Votre participation à l’édition du SILA 2022 se limitera-t-elle à la présentation d’une seule œuvre littéraire ?

D’abord ce ne sont pas des œuvres «littéraires» au sens noble du terme, loin s’en faut… je travaille sur un roman par exemple, mais je «cale» depuis plus de 15 ans. Ce sont des œuvres mémorielles (les parcours de vie et professionnel), documentaires (le dico) et journalistiques (les citations). Il y en a en trois éditées, en 2021 et 2022, toutes, par El Qobia éditions. La dernière œuvre Poing de vue, préfacée par Ahmed Cheniki et postfacé par Tayeb Kennouche, regroupe près de 150 chroniques toutes déjà publiées dans la presse nationale, concernant la vie politique, sociale et culturelle. A noter que j’ai à mon actif une dizaine d’ouvrages (dont deux éditées par l’Opu dans le cadre de mes activités universitaires), dont certaines sur la vie politique et sur la communication.

  • Nous serons très attentifs à votre commentaire pour conclure cet entretien, d’autant plus que vous avez une très longue expérience dans la communication, le journalisme, l’information et l’écriture de plusieurs articles de presse, bien entendu, et des livres ?

Le livre (et l’écrit) a toujours existé, et ce, malgré l’apparition de formes nouvelles de communication… car c’est lui qui a ouvert la voie à la connaissance vraie et au progrès humain. D’où l’espoir têtu, le mien, que les choses ne peuvent se développer que dans le bon sens. Il faut cependant que des facilitations soient mises en œuvre par les appareils d’Etat et associatifs, ainsi que par des entrepreneurs (en dehors des aides financières et matérielles… comme les foires et salons, à travers le pays) afin de semer le goût de la lecture ; tout particulièrement au niveau des écoles, au niveau des collèges et des universités, avec une large ouverture sur les langues… en ne se focalisant pas exclusivement sur l’internet… en multipliant les prix tout en les valorisant. J’ajouterais ces phrases avant de conclure, suite de mon constat personnel sur la crise qui secoue l’actualité internationale ces dernières semaines. Alors que les Ukrainiens fuyaient en masse leur pays, à destination principalement des pays limitrophes, un concert d’interventions politiques venues de tous les bords politiques (ou presque) chantaient l’accueil et l’asile en France. 

Avec des revirements, hallucinants, à vous donner le vertige. Le 1er mars, l’enseignant-chercheur en analyse de discours et communication, Albin Wagener exprimait avec des mots percutants le sentiment de malaise que procurait le spectacle de cette générosité gonflée de racisme décomplexé. 

Propos recueillis par  M’hamed Houaoura

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