Aziz Derouaz. commissaire des Jeux méditerranéens d’Oran 2022 : «Le défi a été relevé»

17/07/2022 mis à jour: 08:50
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Le commissaire aux JM d’Oran, Aziz Derouaz, revient sur le grand événement qu’a abrité la ville d’Oran. Sans détour, il livre son sentiment sur tous les aspects et chapitres de l’organisation.

Interview réalisée par
Yazid Ouahib

  • Les JM Oran 2022 ont été une belle réussite sur tous les plans…

Oui, effectivement, la 19e édition des Jeux méditerranéens Oran 2022 a été un grand événement, et mieux encore, une grande édition. En effet, la comparaison va au-delà de celle qui est naturellement faite avec la précédente, c’est-à-dire celle de Tarragone en Espagne, mais bel et bien avec toutes celles passées, puisque de nombreux records sont là pour faire la différence : jamais les JM n’ont connu auparavant un tel engouement populaire, tandis que la retransmission télévisée qui s’est faite pour la première fois dans l’histoire des Jeux avec le concours de l’Eurovision a touché 20 pays en télédiffusion directe et le reste en high lights, tandis que jusqu’à 9 programmes ont été retransmis simultanément en direct. Il s’agit là d’une première à l’échelle internationale pour le CIJM et bien entendu pour la télévision nationale. C’est aussi la première fois pour les JM que la carte d’accréditation fait office de visa d’entrée dans le pays. Plusieurs autres nouveautés ont concerné également ces Jeux. Enfin, le côté culturel a constitué un cachet de cette édition que nous avons voulu dans le prolongement d’une cérémonie d’ouverture qui a soulevé l’admiration du monde.

  • Votre prise de fonction comme commissaire des Jeux est intervenue dans un contexte difficile. Vous pouvez en parler ? 

Le président de la République ayant constaté le très grand retard enregistré dans le dossier de la préparation des Jeux a décidé, fin septembre 2021, de modifier l’organisation du Comité d’organisation en me confiant à la fois la présidence du Comité d’organisation occupée précédemment par le ministre des Sports, et également le rôle opérationnel de commissaire des Jeux. J’ai de suite pris conscience de la difficulté de la tâche, mais aussi connaissance que le projet du «retrait» des Jeux à la ville d’Oran et à notre pays était à l’ordre du jour des débats du CIJM, notamment lors du premier conseil exécutif de la nouvelle instance après le départ de Amar Addadi, ancien président, en octobre 2021.

Les relations entre l’équipe dirigeante et l’ancien directeur des Jeux étaient devenues quasi inexistantes et ma première tâche a donc été de rétablir la confiance entre le COJM et le CIJM. L’évolution positive des travaux des chantiers d’infrastructures sportives sous la poigne du nouveau wali d’Oran à l’époque a beaucoup aidé dans ce sens, et le CIJM a considéré qu’avec une nouvelle équipe en face d’eux, le pari était redevenu possible.

  • La mission ne s’annonçait pas facile. Les jours précédant le début des Jeux, on vous a trouvé nerveux, anxieux…

La mission était très difficile, voire à haut risque. Le cadre juridique qui concernait le COJM était à l’opposé des exigences de pareille organisation. L’application à la lettre du code des marchés publics rendait déjà à cette date (octobre 2021) impossible la mission d’équipement des infrastructures sportives, laquelle au lieu d’incomber au MJS propriétaire des infrastructures sportives, était dévolue au comité d’organisation. Il en était de même pour le choix du/des partenaires pour l’organisation des cérémonies d’ouverture et de clôture. Aucune souplesse dans la gestion n’était possible, et toute opération devait faire l’objet de marchés publics. 

Bref, toutes les conditions étaient réunies pour un immobilisme bloquant, alors que le temps avançait inexorablement, et que la seule chose impossible était de retarder le début des Jeux une nouvelle fois. Oui, bien entendu, plus le temps passait, plus j’étais anxieux, car je savais trop bien qu’elle importance devaient revêtir ces Jeux pour l’image du pays et le bonheur du peuple algérien, et rien d’autre ne pouvait avoir d’importance pour moi, comme pour M. le Président de la République, lequel m’a personnellement accompagné avec des aménagements réglementaires décisifs.

  • Le doute et la peur de ne pas être fin prêt vous ont-ils perturbé ?

Non, le doute et la peur ne m’ont pas vraiment perturbé, mais davantage le temps toujours insuffisant au fur et à mesure des solutions que les ouvertures réglementaires apparaissent, mais que l’exécution des marchés restait cependant compliquée du fait des contraintes internationales, car il ne faut pas oublier que le monde entier a connu les perturbations liées à la pandémie de la Covid-19, et que tous les circuits de distribution et de transport étaient donc perturbés. Il nous a fallu notamment avoir recours à l’assistance du ministère de la Défense nationale, et l’obtention de plusieurs vols cargo militaires pour recevoir tous nos équipements, dont les derniers sont arrivés la veille des Jeux seulement.

  • La soirée du tirage au sort des sports collectifs a fait craindre le pire…

Effectivement, la soirée du tirage au sort des sports collectifs a donné une mauvaise image du niveau d’organisation des JM. Mais elle est précisément la résultante de nombreux points cités auparavant, dans le sens que les priorités étaient ailleurs. Pour la petite histoire, les 48 heures précédant cette soirée, je les avais passées entre la présidence de la République et le ministère des Finances pour le règlement de problèmes décisifs de priorités, et le contrôle de l’événement nous avait échappé. 

Mais pour ne pas être trop sévère à travers ce dossier, il faut souligner que contrairement à ce qu’a connu le CIJM en d’autres circonstances, aucune réclamation des CNOA n’est parvenue, ce qui attestait de la parfaite régularité du tirage au sort lui-même.

  • La réussite de la belle soirée d’ouverture a donné le ton à ce qui allait se passer. Une ambiance festive, une communion totale entre les athlètes et le public…

Oui, la cérémonie d’ouverture fut un grand succès, salué à travers le monde, grâce notamment à sa retransmission en direct par plus de 20 pays. Nous nous étions engagés à réaliser une cérémonie exceptionnelle par comparaison à ce qui a été produit auparavant lors d’événements de même nature. Le défi a été relevé, pour le grand bonheur d’abord de la population présente et sous les yeux des invités de l’Algérie présents. Notre pays a ainsi montré au monde son ouverture à la modernité, tout en montrant sa place au sein du bassin méditerranéen, berceau des civilisations de l’humanité.

La communion qui s’est installée en ces moments-là entre les athlètes et le public n’a pas cessé jusqu’à la clôture, et sera un marqueur historique de cette édition des JM.

  • Au fil des jours et des compétitions, la réussite était totale sur tous les plans. Pour une fois, le travail des responsables de l’organisation a été salué...

Oui, les journées et les compétitions s’égrenant, la réussite devenait totale, malgré quelques problèmes de détails ressentis çà et là et auxquels nous apportions au plus vite les solutions grâce à 2 cellules de crise installées à cet effet. Effectivement, et après les 4 premiers jours ayant nécessité des réunions critiques d’évaluation avec le CIJM, elles ont été supprimées pour laisser la place à une satisfaction générale et des félicitations de satisfaction exprimées jusqu’à la conférence de presse de clôture, notamment par le président du CIJM. Parmi les grandes satisfactions, le déroulement sans faille des 24 compétitions sportives avec un début toujours à l’heure, et sans aucune réclamation sportive ou technique, les jurys d’appel ayant totalement chômé.

  • Franchement, vous attendiez-vous à un si grand et franc succès des JM d’Oran ?

Un tel succès, peut-être pas, mais une réussite, oui. Dès lors que j’ai été rassuré sur les préparatifs de la cérémonie d’ouverture, ainsi que la mise en route du processus exceptionnel de réalisation des marchés des équipements sportifs, j’étais sûr de la réussite des Jeux. Il restait à connaître la réaction du public et à concrétiser l’accueil des délégations, ce qui fut fait avec notamment un autre point tout à fait positif à souligner, c’est la qualité de la prestation de restauration pour l’ensemble des athlètes, sans connaître le moindre cas d’intoxication ou de maladie pour plus de 6000 personnes au total.

  • Quels enseignements en tirez-vous  ? 

Le premier enseignement, c’est forcément la capacité prouvée une nouvelle fois par notre pays d’organiser un événement de dimension internationale et qui rassemble des milliers de personnes. Ceci est aussi étroitement lié au sentiment de confiance dont l’Algérie a bénéficié, malgré les «qu’en dira-t-on» çà et là, car plus de 5450 athlètes et dirigeants ont été engagés par 26 pays ainsi que plus de 600 invités et juges arbitres, ce qui témoignait déjà de la place indiscutable de notre pays dans le concert des nations de la région. Le second enseignement, c’est sans conteste la soif de notre population de ce type d’événements, et de sa volonté de faire la fête et de vivre le bonheur à l’instar des autres peuples de la planète, ainsi que cet amour très poussé pour le  sport et des couleurs nationales. 

Le troisième, et non des moindres, c’est qu’il est impossible qu’un comité d’organisation d’un événement engageant l’image du pays soit bloqué par des textes inadéquats et contraignants.

  • Si vous deviez souligner les insuffisances, elles seraient de quel ordre ?

Les insuffisances ont été nombreuses, dont les plus importantes ont été liées au volontariat et au protocole. Le court délai qui m’était personnellement imparti, et les priorités évoquées plus haut ne m’ont pas permis de m’impliquer dans ces dossiers de grande importance. C’est aussi des domaines complexes en matière de ressources humaines. Concernant le protocole, c’est une science très pointue où nous devons gagner à nous améliorer, tandis que pour le volontariat, c’est la société toute entière qui doit être mieux préparée à cette importante question et une valeur supérieure si on utilise le terme de bénévolat plutôt que de volontariat.

  • Si c’était à refaire, vous auriez changé quoi ?

J’aurais demandé de reculer de 6 mois la date des Jeux. Bien entendu que c’est une plaisanterie car c’était impossible à faire, mais tirez-en les conclusions. C’est précisément dans ces deux domaines que l’on aurait pu et dû faire mieux. Ceci étant, je salue très sincèrement ceux parmi les volontaires qui ont donné de leur temps et énergie avec la conviction de servir le pays de façon réellement bénévole.

  • Les athlètes et leur encadrement ont administré la preuve que le sport algérien a des ressources et qu’il peut faire nettement mieux si les moyens et la prise en charge ne font pas défaut…

La jeunesse algérienne n’a pas attendu les JM d’Oran 22022 pour prouver son potentiel humain et sportif en particulier. L’histoire de notre sport est parsemée d’exploits de ces jeunes femmes et hommes élevant leurs performances au plus haut niveau mondial, démontrant que l’Algérie indépendante figure incontestablement dans le giron des nations du monde moderne. Il reste qu’à l’exception de la période de la réforme sportive de 1977 à 1989, ces succès et cette affirmation ne sont pas la résultante d’un système sportif et/ou d’une stratégie. Il s’agit bien entendu entre autres de moyens et de prise en charge, mais d’abord et avant tout de définir ce que l’on veut, et l’ensemble des voies et moyens d’y parvenir.

  • Beaucoup d’anciens champions, de médaillés et de dirigeants ont été zappés de la cérémonie d’ouverture et de clôture auxquelles ils n’ont pas été invités…

Certes, j’en ai fait le même constat. Mais tout d’abord, est-ce que c’est une première ? Certes non, car rien n’a été fait dans notre pays pour la reconnaissance de ces athlètes qui ont honoré, à différents niveaux, les couleurs nationales à travers les événements internationaux. C’est certainement entre autres une mission du Comité olympique national. Concernant le Comité d’organisation, nous avions certes l’intention avec la collaboration de la commission des athlètes du COA d’identifier une liste de médaillés susceptibles d’être la base d’un effectif d’ambassadrices et ambassadeurs des Jeux pour la promotion de l’événement. Les retards enregistrés dans les domaines prioritaires ne nous ont pas permis de mener cette tâche à bien. Cependant, nous aurions répondu favorablement à une démarche organisée par le COA de prise en charge raisonnable de nos championnes et champions pour la période des Jeux où tout au moins pour les cérémonies d’ouverture et de clôture. C’était à discuter. Mais nous avions davantage la mission d’organiser les Jeux qu’à honorer les athlètes dont les mérites sont clairement indiscutables.

  • L’Algérie a-t-elle signé son grand retour dans l’organisation de grandes manifestations sportives ?

J’espère bien que notre pays a signé son grand retour dans le registre de l’organisation de grands événements sportifs et autres. La capacité est là, les moyens aussi. Il convient cependant qu’une stratégie se dégage de l’héritage des Jeux d’Oran.

  • Le mot de la fin…

Oran et l’Algérie ont fixé la barre bien haut pour les Jeux méditerranéens. Je souhaite aux Jeux et au bassin méditerranéen l’avenir radieux que notre région pleine d’histoire et de ressources mérite. Vive l’Algérie ! 

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