Avec l’inédit Guerre, Céline retrouvé de manière providentielle

15/05/2022 mis à jour: 05:22
AFP
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Céline, qu’on aime ou non sa verve populaire, occupe une place de choix dans l’histoire du genre, pour avoir fait voler en éclats la littérature bourgeoise, la narration et le style conventionnel

Des manuscrits perdus de l’écrivain français Louis-Ferdinand Céline, réapparus dans des circonstances mystérieuses, sont exposés à Paris et donnent lieu à la publication jeudi d’un inédit, Guerre, qui enthousiasme la critique littéraire. 

Ces 6000 feuillets jamais publiés avaient été abandonnés par l’écrivain et médecin considéré comme un monument de la littérature, mais aussi connu pour son violent antisémitisme, quand il avait fui la France pour l’Allemagne en juin 1944. 

Récupérés par des résistants dont les noms restent gardés secrets, ils ont échu dans les années 2000 à un ancien journaliste, Jean-Pierre Thibaudat. Ce dernier a cependant dû les remettre à la police et aux ayants droit de l’écrivain, qui ont révélé leur existence à l’été 2021. L’éditeur de Céline, la prestigieuse maison Gallimard, publie ce roman de quelque 150 pages, plus illustrations et annexes. La presse est unanime pour saluer l’événement. «La fin d’un mystère, la découverte d’un grand texte», selon Le Point. «Un texte bref, vif, tragique et lubrique, à ranger à côté des chefs-d’oeuvre de l’écrivain» et «un miracle», d’après Le Monde. «A couper le souffle», estime Le Journal du dimanche. 

Dans la plus pure tradition du roman célinien, sombre, nerveux et cru, Guerre s’ouvre avec le réveil du brigadier Ferdinand, 20 ans, miraculeusement en vie sur un champ de bataille, à Poelkappelle (Belgique). L’écrivain raconte comment un soldat anglais le sauve, puis sa convalescence non loin du front à Peurdu-sur-la-Lys (dans la réalité Hazebrouck, en France), et enfin un départ précipité pour l’Angleterre. Le séjour outre-Manche sera le sujet d’un autre inédit, plus long, Londres, à paraître à l’automne. Guerre a été écrit vraisemblablement en 1934, peu après le scandale du premier roman de Céline, Voyage au bout de la nuit (1932). Le tournant antisémite, dont l’écrivain ne se repentira jamais, date de 1937, avec la publication du pamphlet Bagatelles pour un massacre. 

Fin 2017, Gallimard annonçait la publication de ce pamphlet et ses semblables, avec appareil critique. Le projet a fait long feu, faute des «conditions méthodologiques et mémorielles (...) pour l’envisager sereinement», selon le PDG Antoine Gallimard. Maintenant que cette polémique s’est tassée, la réapparition de « Guerre et Londres permet de célébrer une oeuvre capitale de la littérature française du XXe siècle. «Ces manuscrits arrivent à point nommé ou par une divine surprise, comme vous voulez, pour que Céline redevienne un écrivain : celui qui importe, de 1932-1936», estime Philippe Roussin, chercheur spécialiste de Céline interrogé par l’AFP. 

Le pamphlétaire fait l’unanimité contre lui. Mais le romancier, qu’on aime ou non sa verve populaire, occupe une place de choix dans l’histoire du genre, pour avoir fait voler en éclats la littérature bourgeoise, la narration et le style conventionnel, en traduisant l’angoisse de l’entre-deux-guerres. Montrer son traumatisme de «poilu» (soldat combattant de la Première Guerre mondiale), grièvement blessé, et sa frénésie créatrice des années 30 est le parti pris de l’exposition qui s’ouvre jeudi à la Galerie Gallimard, Céline, les manuscrits retrouvés.

 Des feuillets sont sous cadre, dont le premier de Guerre, qui se termine par ce qui devrait devenir une citation culte de Céline, emblématique du martèlement obsessionnel du canon dans le récit : «J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête.» 
 

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