Aux origines du CRUA avec Sid Ali Abdelhamid : IV et fin – et vint le vent de novembre…

06/11/2024 mis à jour: 17:54
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Si l’on devait résumer ce qu’est le premier Novembre dans notre histoire moderne, on dirait que c’est le point de confluence de toutes les colères contenues depuis 124 ans, de domination coloniale. Sid-Ali Abdelhamid, aujourd’hui disparu depuis le 6 mars 2022, témoin, acteur et animateur dans le Mouvement national dans son courant indépendantiste, a relaté pour El Watan les faits desquels il a été à la fois témoin et acteur, des faits que l’histoire retient comme ayant grandement concouru au déclenchement de la lutte armée.

 

Par Boukhalfa Amazit

 

 

Mais le MTLD a continué à vivre...      

Avec la couverture légaliste. Les candidats qui se sont présentés aux différentes élections étaient en réalité des militants du PPA. Ils avaient été désignés par nos soins pour participer aux scrutins. Moi-même, qui suis secrétaire des élus municipaux, je niais toute accointance avec le PPA. PPA ? Connais pas. Je suis un légaliste.

 

Après la création du MTLD, il a été constaté une diminution du nombre de militants arrêtés. Cette couverture était donc si efficace que ça ?  


Elle a été efficace jusqu’au moment où il y a eu des cas. Ainsi, aux élections ne participaient que des militants «irréprochables» devant la police et les tribunaux colonialistes. Si des militants venaient à être appréhendés, ils étaient détenus pendant 24 heures, ensuite ils étaient libérés vu qu’ils activaient au sein d’un parti tout ce qu’il y a de légal, ou en tous les cas reconnu comme tel. 


Les seuls qui ont fait l’objet d’arrestations sont les candidats qui par leurs propos ou en raison des discours qu’ils étaient amenés à faire pendant la campagne. La légalisation permettait, il y a une thèse qui a été soulevée par un militant dans votre journal El Watan selon laquelle il aurait mieux valu que le parti indépendantiste autrement dit le PPA restât clandestin. Mais, et c’est très important, son champ d’action aurait été limité. Tu ne peux pas toucher les gens, même quand on distribuait des tracts. Ils ne les diffusaient pas car ils avaient peur de la répression. On a connu ça. Tu lui donnes un tract à diffuser, il le cache. 

L’activité du MTLD nous a permis de nous étendre et de toucher plus de monde.

 

En tant que responsable du PPA-MTLD, dans quelle mesure la création du MTLD a permis une extension de l’idée nationaliste et un accroissement de l’implantation des patriotes ? 


Vous le disiez à l’instant, tant que c’était le PPA clandestin de surcroît, son action était cantonnée.
Je dirais mieux, si nous étions restés dans la clandestinité, nous n’aurions pas pu faire tout le travail qui a été accompli en un temps relativement court. Le MTLD a permis de diffuser l’idée, ou plutôt le projet indépendantiste, à une grande échelle. Nous avons dans la foulée organisé l’action. Organiser les gens, leur apprendre ce qu’est l’organisation, les méthodes de travail politique, la détermination, la fermeté, la radicalité.  


S’il n’y avait pas eu toute cette vie organique, ces réunions hebdomadaires au niveau national, ces rencontres périodiques, nous n’aurions pas été bien loin. Car pratiquement, raisonnablement, tout cela ne pouvait s’accomplir dans le secret des sous-sols. Il y avait aussi le travail de la communication comme on dit de nos jours. Tout le travail d’information du patriote et de désinformation de l’administration coloniale par la propagation de fausses nouvelles. Les militants avaient accès aux journaux comme l’Algérie Libre qui était vendu, ce qui ajoutait à sa crédibilité. Chaque mois,  je sélectionnais des mots en français que je donnais à Demagh el Atrouss afin de les traduire en langue arabe. Ceci afin d’initier nos lecteurs aux termes politiques dans notre langue. Un lexique chaque mois. Dans les communiqués, les militants relevaient «le peuple est avec nous». Ce peuple-là doit se manifester comment ? Ou bien il adhère au Parti, ou bien il achète le journal, il participe aux souscriptions pour les étudiants. Donc, il faut qu’il participe et pas comme ça dans l’air le peuple adhère. Il s’agissait de savoir comment il exprimait cette adhésion et nous devions savoir qui est ce «chaâb». Les gens ont une identité, ce ne sont pas des entités abstraites. Qui a été touché ? Il fallait identifier ces gens, ce qu’ils ont fait pour le Parti et ce qu’ils pourront faire à l’avenir.

 

Comment expliquez-vous que de 1947 jusqu’à 1953, le congrès ne s’est pas tenu ?

Nous avions tout vécu ! Il y a eu de tout. En d’autres termes, plusieurs raisons peuvent expliquer cet état de fait. Il y a eu les élections de 1948, puis «la crise berbériste», puis le démantèlement de l’OS. Nous devions tenir un congrès en 1951-1952, mais la crise avec Messali a fait que nous l’avons retardé.

 

Est-ce que le congrès de 1947 avait statutairement défini la tenue de congrès et leur périodicité ? 


Non. Vous savez, on ne peut pas calquer notre organisation sur les partis occidentaux. D’abord, il y avait pas mal de crises et d’arrestations, etc. Avec ça, il faut considérer que les penseurs et les intellectuels n’étaient pas nombreux dans le Parti. Ce sont eux qui étaient susceptibles de faire vivre doctrinalement, politiquement le Parti. Nous avions comme universitaires qui sont sortis avec un diplôme Chawki, Kiouane, Ben Khedda qui n’avait pas terminé, Boukadoum qui n’avait pas terminé, Boulkroune n’avait pas terminé, Louanchi qui était lycéen, Temmam également lycéen… Donc, nous n’avions pas une élite intellectuelle à même d’instiller une force intellective au Parti.  


Les quelques-uns étaient déjà pris dans l’organisation, notamment dans la presse, dans les activités qui nécessitaient un certain niveau culturel. Ils étaient très sollicités, et chacun remplissait plusieurs tâches à la fois. 

Ce sont les lettrés et intellectuels qui ont fait la force de l’UDMA. Il est vrai que ce parti n’avait pas de base populaire comme la nôtre et qu’il n’existait, pour ainsi dire, que par sa direction. Mais il avait des têtes pensantes qui produisaient des idées.

Si on prend le Parti communiste français, je me rappelle qu’il envoyait des militants à Moscou pour se former pendant deux ans. En France, ils avaient une école des cadres. Un cadre politique se forme comme on forme un médecin, un ingénieur. Nous n’avions pas tout cela. Nous faisions la politique avec nos moyens. 


Quand on a décidé que tous les militants de l’OS devaient être intégrés dans le Parti, c’était valable pour ceux qui ont des fonctions de responsabilité. J’ai personnellement soumis à la direction, qui a approuvé, d’intégrer tous les responsables dans l’organisation en leur confiant des responsabilités. C’est comme ça que je les ai placés comme cadres de daïras. Boudiaf et Maroc, je les ai mis à mon niveau. Dans son bouquin avec la déclaration de 1973, il affirme que les dirigeants ne leur ont attribué des responsabilités qu’au niveau des daïras et pas des wilayas. Ce que j’ai fait était en fonction des compétences des uns et des autres 

Je leur ai donné le même grade que celui qu’ils avaient dans l’OS, mais je ne pouvais pas enlever un cadre valable juste pour les placer parce qu’ils étaient de l’OS.

 

Il n’y avait pas de partisans et d’adversaires à la création de l’OS ?

La création a été unanimement approuvée. Le CC qui s’est tenu à Zeddine a confirmé l’appui total de l’organisation. Beaucoup de gens disent aujourd’hui des choses et d’autres. Ils parlent de réunion élargie du comité central. Il n’y avait pas de comité élargi, c’est le comité central qui s’est réuni à Zeddine. En réunion extraordinaire, mais aucunement élargie. On a donné les moyens financiers et humains. 


Après 1952, le congrès a donné naissance au litige avec Messali. Un problème qui s’était posé en 1951 qui a été à l’origine du départ de Messali. Pour la réunion avec l’UDMA, Messali voulait que l’UDMA épouse les positions du PPA. S’il devait épouser nos idées, il se serait tout bonnement intégré. Alors Chawki Mostefaï a discuté avec l’UDMA pour un accord entre les deux partis. Les partis légaux, s’entend. Pour sa part, l’activité du PPA n’entrait pas en ligne de compte. Messali a considéré qu’il s’agissait là d’une manœuvre tendant à étouffer «son» Parti. Ce qui a amené Chawki, Chentouf et Hadj Cherchalli à démissionner. A partir de là, la crise est allée crescendo.  

Contre l’avis de la direction, Messali a décidé de faire une tournée dans le Constantinois. Nous étions convaincus que l’agitation ne menait à rien et qu’elle était stérile. Il a insisté. Il a été empêché à Constantine. Il a récidivé à Chlef, il a été coincé. Alors, fin 1952, nous avons décidé de commencer la préparation du congrès, préparation qui va s’étaler sur le premier trimestre 1953. Nous avions organisé des pré-congrès. 

C’est la première fois que nous avions respecté tous les stades de la démocratie. Depuis la base jusqu’au sommet. Lahouel et moi sommes partis à Constantine, à Oran, Alger avec les Kabyles et nous avions, à cette occasion, présenté l’avant-projet que nous avions soumis à la libre critique des militants.  Nous avions, en outre, décidé de faire élire par la base les membres participant au congrès. C’était là un progrès considérable dans le sens de la représentation démocratique par rapport à ce qui se pratiquait auparavant. 
C’est comme ça que le congrès s’est tenu en avril et qu’une nouvelle direction a été dégagée. Dans ce congrès, un comité central a été élu. Et à l’occasion d’une réunion, il a tenu à relancer l’idée de l’OS. Une commission composée de Messali, Lahouel, Ben Khedda,  Ben Boulaïd et Dakhli, élue à bulletin secret, devait se réunir pour travailler sur le nouveau projet de l’OS. Ben Khedda est allé voir Messali pour l’en informer. Lahouel est parti à Paris pour y rencontrer Boudiaf, afin de l’informer de ce projet. Les choses se sont précipitées en 1953. Messali avait reçu une commission de réconciliation, composée de Lahouel, Saâd Dahleb et moi-même, pour rapprocher les points de vue, en vain. Les choses se sont envenimées. Jusqu’en 1954, date à laquelle le CC donnait les pouvoirs à Messali pour organiser un congrès, lui a compris pour éliminer et saquer le CC. Et c’est là que l’idée du CRUA a été initiée. Lahouel a appelé Boudiaf. Nous nous sommes réunis au 11, rue Marengo au début puis en mars à la réunion de l’école Er Rached, nous avions décidé de créer le CRUA.

Le MTLD était donc mort de sa belle mort…   

 Le sigle demeurait, il n’a jamais été perdu. Jusqu’en novembre 1954. Il n’y a jamais eu dissolution du MTLD. Les autorités françaises l’ont bien entendu interdit le 5 novembre 1954.

 

Où situez-vous le schisme au sein du CRUA ?


-Là où nous nous sommes séparés, c’est quand Boudiaf et ses compagnons ont précipité le processus du déclenchement. 

Nous étions pour la tempérance. Il y a eu un contact entre M’Hamed Yazid, Ahmed Ben Bella et Lahouel en Suisse. Ils ont donné leur accord pour qu’il y ait intégration. Mais lorsqu’on s’est réunis, on ne pouvait pas reculer le congrès, il fallait un congrès qui décide et non un CC. Pour nous, une révolution ne se décide pas au niveau du CC. Là résidait la différence de points de vue avec les gars de Boudiaf.

 

Au nom de qui a été faite la démarche de Lahouel et de Yazid au Caire ? 


La démarche a été faite au nom du CC du PPA-MTLD. Lahouel et Yazid avait été dépêchés après une réunion du CC qui leur a dit d’aller voir quels sont les moyens que l’Egypte allait mettre à la disposition de la Révolution algérienne. Ils sont arrivés deux jours avant le déclenchement. 

Le temps de les rencontrer, Novembre avait commencé. 

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