Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a ordonné, début avril, l’élaboration de trois projets de décrets présidentiels régissant la répartition du foncier économique, touristique et urbain. Il avait donné des instructions fermes afin d’enrichir et procéder à une révision en profondeur de la loi.
Considéré comme un véritable levier de développement, le foncier industriel a été depuis longtemps une des préoccupations majeures des investisseurs en Algérie. Plus de sept mois après l’adoption de la nouvelle loi sur l’investissement, beaucoup d’opérateurs économiques ne savent pas encore à qui s’adresser pour obtenir un terrain et pouvoir concrétiser leurs projets.
«L’octroi des terrains relavant du domaine privé de l’Etat est suspendu depuis janvier 2020. La nouvelle loi sur l’investissement contient beaucoup d’avantages et favorise le climat des affaires en Algérie, mais rien n’est possible sans la facilitation des mesures d’accès au foncier industriel», estime un membre d’une organisation patronale. Certains spécialistes trouvent «paradoxal que le foncier figure parmi les contraintes au développement socioéconomique dans un pays aussi vaste que l’Algérie».
Dans une publication sur le foncier industriel en Algérie, le Dr Khouadjia Samiha souligne que les espaces urbanisés ou urbanisables ne représentent que 0,4% de la superficie du territoire national. Submergées par le nombre incessant des demandeurs de terrain, les directions d’industrie de wilaya ont décidé de ne plus recevoir de dossiers. «Nous avons déjà plus 4000 dossiers en instance.
Pourquoi en accepter d’autres alors que les conditions et les modalités d’attribution des terrains ne sont pas encore définies», dira un cadre du secteur à Boumerdès. Il est vrai que le temps presse, mais le gouvernement ne veut visiblement pas de solutions conjoncturelles. «Le dossier est suivi de très près par le président de la République. L’adoption de la loi devra intervenir avant le mois de juin», assure notre interlocuteur.
Les orientations du Président
Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a ordonné, lors du Conseil des ministres tenu le 2 avril, l’élaboration de trois projets de décrets présidentiels régissant la répartition du foncier économique, touristique et urbain. En janvier dernier, il avait donné des instructions fermes afin d’enrichir et procéder à une révision en profondeur de la loi. «L’esprit de la loi doit reposer sur la liberté pour le citoyen d’investir dans son domaine de compétence, en évitant les graves dérives qu’a connues le pays dans le domaine du foncier industriel», a-t-il recommandé.
Le chef de l’Etat a aussi insisté sur l’importance de la numérisation pour lutter contre la bureaucratie, soulignant la nécessité d’«instaurer une réelle souplesse juridique pour encourager et attirer les investissements, en veillant aux intérêts supérieurs de l’Etat». Dans la dernière interview accordée à la chaîne Al Jazeera, le président de la République a fait état de 1300 investisseurs qui attendent l’obtention d’une autorisation pour entamer leurs projets, ce qui contribuera à la création de 55 000 postes d’emploi en 18 mois.
Il faut dire que l’octroi du foncier industriel a souvent été caractérisé par le favoritisme et autres dépassements. Des ministres et de walis se sont retrouvés en prison pour des affaires de dilapidation de ce précieux patrimoine. Selon des documents officiels, l’Algérie compte aujourd’hui 445 zones d’activité et 112 zones industrielles, dont 42 ont été créées en 2011.
Néanmoins, la majorité d’entre elles butent sur des problèmes inextricables en raison de la multiplication des organismes de gestion, le manque de viabilisation, la faiblesse des prestations, la complexité de la nature juridique des terrains, la spéculation, le non-paiement des redevances par les exploitants, etc. Selon certaines statistiques, 15% de ces zones sont inexploités et 85% des terrains octroyés aux entreprises publiques économiques sont en jachère. Les causes de cet échec sont nombreuses.
Le Dr Khouadjia évoque l’instabilité du cadre juridique, une gouvernance de nature administrative et l’intervention sans grande coordination d’une multitude d’organismes publics, citant le Conseil des ministres, le CNI, le CPE, quatre SGP/ZI, les directions des domaines et plusieurs ministères.
La longue attente des investisseurs
Même avis du Dr Yakout Akroune de l’université d’Alger qui, lui, relève dans une autre publication l’insuffisance de moyens aussi bien financiers, qu’humains ou matériels, dont disposent les gestionnaires. Ajouté à cela l’absence relative du pouvoir décisionnel d’institutions comme l’Andi, l’Agence foncière et le Calpi. L’Andi étant remplacée par l’AAPI, rien n’a encore filtré quant à l’entité qui se chargera à l’avenir de l’attribution des terrains aux investisseurs.
L’universitaire relève aussi des disparités dans la répartition des zones industrielles à travers le territoire national, soulignant que la plupart d’entre elles sont concentrées dans le nord du pays, avec une prédominance de la région Nord-Centre, ce qui aggrave le déséquilibre territorial.
En guise de solutions, les deux universitaires plaident pour la nécessité d’adopter une politique foncière à long terme, claire et cohérente, qui permettra de concilier l’intérêt général avec les exigences d’une entreprise performante et compétitive. D’autres spécialistes suggèrent la création de zones industrielles clés en main et mettent en évidence l’importance de la digitalisation afin de garantir la transparence dans l’attribution du foncier.
A noter qu’une plateforme numérique a déjà été créée à cet effet. Le directeur de l’AAPI a annoncé récemment la réception de 1605 projets d’investissement devant créer 41 765 emplois. La nouvelle loi sur l’investissement aurait provoqué un réel déclic chez les opérateurs économiques. L’allégement des mesures d’accès au foncier fera sans doute le reste.