Armes nucléaires : Une conférence qui résonne avec l’actualité internationale et la guerre en Ukraine

06/03/2022 mis à jour: 04:22
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Débarrasser le monde des armes atomiques est un projet au long cours / Photo : D. R.

Les enjeux et objectifs du Traité des Nations unies sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), entré en vigueur le 22 janvier 2021, ont fait l’objet d’une conférence, vendredi au Sénat français, à l’initiative des sénateurs du groupe écologiste, Guillaume Gontard et Thomas Dossus, et de ICAN (Campagne internationale pour l’interdiction des armes nucléaires). Les intervenants à la conférence sont revenus sur les concepts des «conséquences humanitaires des armes nucléaires» et de «l’initiative humanitaire» qui ont permis la négociation, en 2017, du TIAN. Une rencontre qui résonne avec l’actualité internationale dominée par la guerre en Ukraine et la menace nucléaire qui plane sur l’Europe.

Les communications présentées sur la procédure de mise en œuvre du TIAN, ses premiers résultats et la première réunion des Etats parties du Traité, qui doit se tenir d’ici juillet 2022 à l’Office des Nations unies à Vienne, pour poursuivre sa mise en œuvre et son universalisation, ont porté sur le rôle et l’impact de cette nouvelle norme juridique au regard du droit international.

La conférence a également abordé le concept d’«Etat observateur», ce qui a conduit l’Allemagne, la Norvège, la Finlande, le Brésil, l’Indonésie, la Suède, la Suisse à annoncer leur participation en tant qu’observateurs à la prochaine conférence du TIAN de Vienne. L’actualité internationale, avec la guerre en Ukraine, montre que la menace nucléaire est permanente, a souligné le sénateur Thomas Dossus en ouvrant la conférence, ajoutant qu’il y a 13 000 armes nucléaires dans le monde.

Intervenant à la première session sur «Les conséquences humanitaires des armes nucléaires : retour sur fondamentaux», Benoît Pélopidas, fondateur du programme d’études des savoirs nucléaires (Sciences Po, CERI), a indiqué qu’il a fallu 30 ans pour que les dirigeants militaires et politiques prennent la mesure du rôle de la «chance» dans l’évitement d’incidents nucléaires. Sept sur 9 des Etats dotés d’armes nucléaires sont non transparents sur leur passé nucléaire, a-t-il souligné.

Posant comme postulat l’impératif de l’indépendance de la recherche, le chercheur a indiqué qu’«il faut requalifier les choix nucléaires sous l’angle de la vulnérabilité, au risque de surestimer un ‘‘contrôle parfait’’». Jusqu’aux années 1990, durant lesquelles le travail de recherche académique s’est externalisé au niveau des ONG et des chercheurs indépendants, le facteur «chance» n’était pas pris en compte et on supposait que la stratégie et le contrôle étaient suffisamment efficaces. Et l’expert de faire remarquer que «le pari de l’indépendance de la recherche est un pari difficile, du point de vue de son financement et du refus des conflits d’intérêts».

Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements, co-porte- parole de l’ICAN France, a observé qu’il n’y a pas beaucoup de rapports de parlementaires qui interrogent la pertinence de l’arme nucléaire, ni de débats ouverts à l’ensemble des acteurs au sein du Sénat ou de l’Assemblée nationale en France.

Sur l’indépendance de la recherche et de l’expertise scientifiques, le lanceur d’alerte a affirmé qu’«à l’Observatoire des armements, nos premiers travaux ce sont les fondations américaines qui nous ont permis de les mener, ce qui n’est pas normal. Les derniers travaux ont été financés par une fondation allemande. En France, on ne trouve pas de financement pour ces recherches».

Revenant à l’actualité internationale, Patrice Bouveret relève que la situation de guerre en Ukraine pose la question de l’utilisation de l’arme nucléaire. «Avec 15 réacteurs en activité dans ce pays, ce sont des cibles potentielles impliquant la population et l’environnement, que ce soit de manière délibérée ou accidentelle.» «Ces incidences existent déjà au niveau de la fabrication et du fonctionnement de l’arme nucléaire.» Et de rappeler que la plus forte explosion française, équivalant à 173 fois celle d’Hiroshima, s’est produite dans le Pacifique en 1968. Le personnel et les populations locales n’ont pas de suivi médical.

«Au Sahara, la France a laissé les déchets nucléaires sur place»

«Depuis le début des années 1950 la question des déchets est l’objet de débats au sein de la communauté scientifique internationale. En 1957, aux Etats-Unis, une étude a été réalisée sur les effets des essais nucléaires.» «Quand la France s’est intéressée à la question, le ministère des Armées a fait traduire ce livre le réservant à un cercle limité.» «Le culte du secret prévaut à ce jour.» «Ce n’est que tout récemment qu’une déclassification des archives a été opérée ne concernant que les essais français en Polynésie.

En ce qui concerne l’Algérie, les archives sur les déchets ne sont toujours pas communicables.» «Il a fallu attendre les années 2000, grâce au travail de l’Observatoire et aux associations de victimes, pour qu’il y ait une reconnaissance des effets des essais nucléaires, à travers la loi Morin de 2010.» A ce jour, a rappelé Patrice Bouveret, 1747 dossiers d’indemnisation ont été acceptés. Sur 584 personnes effectivement indemnisées, 395 sont membres des personnels des sites nucléaires, 197 personnes civiles résidant en Polynésie et une seule en Algérie.

«Même si les choses semblent bouger, on attend de voir comment cela va se traduire concrètement.» Sur le processus de mise en œuvre du Traité des Nations unies sur l’interdiction des armes nucléaires, thème de la seconde session, l’ambassadeur autrichien, Alexander Kmentt, président désigné de la première réunion des Etats parties au TIAN, a précisé que le Traité se veut ouvert aux ONG et aux Etats non parties en tant qu’observateurs.

Le diplomate autrichien n’a pas manqué de dire que le droit international est plus important que jamais en vue du contrôle des armes nucléaires et pour montrer les risques de leur utilisation. «Au cours de leur première réunion, qui se tiendra sur trois jours, les Etats parties enverront un message fort sur la menace de l’arme nucléaire sur l’humanité.» «Ils affirmeront que le but du TIAN est un monde sans armes nucléaires» ; qu’il est «une opportunité pour un engagement des Etats avec un fonctionnement flexible» ; c’est aussi «un cadre pour éliminer des armes et pas seulement les interdire».

«Le TIAN a rencontré des oppositions de la part des Etats détenteurs de l’arme nucléaire. Nous espérons que les pressions et l’interventionnisme seront remplacés par un dialogue constructif.» Jean-Marie Collin, expert et co-porte-parole de ICAN France, a relevé que la France a contesté pendant dix ans à l’ONU et en dehors tout dialogue sur ce sujet et a livré un combat diplomatique contre cette approche humanitaire. Le 28 septembre 2017, Jean-Yves Le Drian déclarait que «sur ce sujet (l’adoption du TIAN) la politique de l’incantation confine à l’irresponsabilité.

C’est par des actes concrets que nous créerons un environnement plus sûr». Quant au président Macron, il déclarait le 7 février 2020 que la France ne signera pas le TIAN et ne se soumettra pas à ses obligations. Et que ni les acteurs publics ni les acteurs privés ne feront obligation du TIAN. Depuis 2018, on assiste à «une petite évolution» avec les rapports des députés M. Franget et J.P Lecoq, souligne Jean-Marie Collin, précisant que des villes françaises et 36 parlementaires se sont engagés en faveur du TIAN.

«Il est important de montrer ce qu’il y a derrière cette arme dissuasive»

Des représentants de différents partis politiques ont exprimé leur souhait de l’ouverture d’un débat en France. Ainsi Guillaume Gontard, sénateur écologiste, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces, considère que «la France ne peut pas rester à côté du TIAN, il y a plusieurs possibilités d’en faire partie. La première étape est d’être Etat observateur. Il est important de montrer ce qu’il y a derrière cette arme dissuasive, cette arme sera-t-elle toujours opérante ? L’armement n’a-t-il pas évolué ? La montée en puissance de l’arsenal militaire est préoccupante.

Quelle politique de défense souhaite-t-on ? 11% du budget de l’armement vont à la dissuasion nucléaire (5 milliards d’euros)». Pour le parlementaire écologiste, il convient de «réfléchir à un désarmement nucléaire qui doit être multilatéral. La France devrait donner des signaux sur ce désarmement». Représentant La France insoumise, le sénateur Aurélien Saintoul invite à se reporter au programme de campagne pour l’élection présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, dans lequel est traitée la partie consacrée à la défense.

Le parlementaire fait référence à une constante sur deux points, défendue par La France insoumise, soit la dénucléarisation du monde et le refus d’engager unilatéralement le désengagement nucléaire, considérant que les premiers gestes reviendraient aux Etats-Unis et à la Russie (principales puissances nucléaires). «Nous admettons l’idée que la France doit être membre observateur du TIAN.» «Jean-Luc Mélenchon a mis en évidence la nécessité de réfléchir aux limites d’une dissuasion nucléaire, de trouver des alternatives à la dissuasion nucléaire, la nécessité de construire un système de garantie réciproque de sécurité.»

Patrick Le Hyaric, ancien eurodéputé communiste, rappelle que le PCF est partie prenante de l’ICAN et invite la France à signer le TIAN, une proposition (166) du candidat communiste à l’élection présidentielle, Fabien Roussel. «Répondre à Poutine que nous aussi nous possédons l’arme nucléaire, c’est prendre le risque d’une vitrification du continent européen.» Et de proposer «un pacte mondial de sécurité globale». Patrick Le Hyaric note que la question du TIAN est peu évoquée dans les débats de la campagne électorale, peu de candidats en font référence, et les enjeux autour de l’arsenal nucléaire français sont écartés des débats.

Quelques éléments de compréhension du TIAN

Le 7 juillet 2017, les Nations unies ont adopté une nouvelle norme internationale, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Le TIAN est entré en vigueur le 22 janvier 2021 suite à sa ratification par un minimum de 50 Etats (59 Etats à ce jour).

L’Algérie en est signataire depuis 2017. Ce traité, qui rend les armes nucléaires illégales (interdiction de la menace d’emploi, du financement…) et entraîne de nouvelles obligations (assistance aux victimes, réhabilitation des zones d’essais…), complète et confirme aussi l’importance des autres instruments juridiques internationaux (Traité de non-prolifération nucléaire, Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires).

Enfin, il a permis de relancer le débat international sur la nécessité de parvenir au désarmement nucléaire. La France, comme l’ensemble des puissances nucléaires ainsi que les Etats acceptant la politique de dissuasion nucléaire, a adopté une posture de rejet du Traité et de refus de participer aux négociations de 2017 à l’ONU.

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