Argentine : Se nourrir ou se soigner, quand la santé confine au luxe

21/03/2024 mis à jour: 05:52
AFP
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Des mouvements sociaux organisent une manifestation devant le siège du ministère du Capital humain

Entre acheter à manger et un médicament, les gens choisissent de manger», dit Marcela Lopez pour expliquer la chute des ventes dans sa pharmacie de Parque Chacabuco, quartier de classe moyenne de Buenos Aires. Elle voit, au quotidien, des patients venus pour un antibiotique mais qui, voyant le prix, repartent avec un antidouleur... 

Les ventes de médicaments ont chuté de 18% en janvier (70% pour ceux sur ordonnance), selon l’interprofession. «Jusqu’à l’an dernier, il y avait un accord entre gouvernement et laboratoires pour une modération des prix», rappelle auprès de l’AFP Ruben Sajem, directeur du Centre des pharmaciens professionnels argentins. 

Accord abandonné, comme dans d’autres secteurs (alimentation, carburants) par le gouvernement ultralibéral de Javier Milei dans son élan de régulateur. Le tout alimente à court terme - avant un assainissement, promet le gouvernement - une inflation qui s’était déjà établie à 211% en 2023. Les prix ont ainsi bondi de 20% en janvier, contribuant à dévorer un peu plus le pouvoir d’achat après une dévaluation de plus de 50% du peso mi-décembre.
 

Choix cornélien 

La chute statistique des ventes de médicaments ne dit pas les choix dramatiques qui s’opèrent en coulisses et les risques personnels, notamment pour les maladies chroniques, relève Ruben Sajem. «Par exemple, un patient qui prend chaque jour un médicament pour l’hypertension, va acheter une tablette plus petite et pense que ça ira s’il espace les prises. La réalité c’est que ça ne lui sert à rien, tôt ou tard sa santé va s’aggraver, et ça engendrera au final un coût plus grand pour le système de santé». 

A son niveau, chacun fait ses choix, dans un pays où la pauvreté affecte désormais 57% de la population, selon l’étude récente d’un observatoire social. Le dernier indice semestriel officiel, publié en septembre, évaluait le taux de pauvreté à 40%. Viviana Bogado, une cuisinière dont le fils Daniel, 16 ans, a besoin d’antibiotiques en raison d’une prolifération bactérienne dans l’intestin, s’est trouvée confrontée à un choix cornélien : «Il a fallu que je choisisse, soit son traitement soit le mien contre le cholestérol». 

Les plus durement touchés sont les retraités et les travailleurs informels, près de 40% de l’emploi, pour lesquels le système d’assurance santé public argentin, longtemps cité en exemple, ne suffit plus, hormis pour les soins de base. «Je prends cinq médicaments différents, deux me sont fournis gratis, mais pour le reste je dépense 85 000 pesos (près de 100 dollars) par mois, soit un tiers de ma retraite», gémit Graciela Fuentes, retraitée de la restauration de 73 ans, aux prises avec son arthrite. Dans les interstices de ces difficultés au quotidien se nouent de véritables drames.
 

«Pas le temps» d’attendre 

Comme pour Pablo Riveros, 20 ans, victime d’une hémoglobinurie paroxystique (destruction de globules rouges), qui lui cause anémie, fatigue, saignements à tout bout de champ. Et pour qui un traitement continu est vital, mais à 42 000 dollars par mois. Depuis le diagnostic en mars 2023, il recevait des médicaments de l’Etat via un programme d’aide sociale, mais les dernières doses reçues datent de novembre. 

A force d’acharnement, sa mère Estela, une couturière avec sept enfants à charge, a réussi le mois dernier à se faire ponctuellement aider par un hôpital à qui il restait une dose destinée à un patient décédé. 

«Le gouvernement assure pour sa part que jamais l’Etat n’a cessé de livrer des médicaments, et que tous ceux qui en ont besoin vont continuer à en recevoir», comme l’a affirmé récemment le porte-parole présidentiel. Dénonçant la corruption selon lui omniprésente dans la précédente administration péroniste (centre-gauche) le gouvernement a toutefois lancé des audits tous azimuts destinés à réduire les dépenses.

 Dans son collimateur figure notamment la Direction de l’assistance directe aux situations spéciales. Un organisme doté de près de 38 milliards de pesos (43 millions de dollars) et chargé des pathologies lourdes, au sein duquel il affirme avoir déniché des irrégularités et des  appels d’offres honteux, justement sur les médicaments oncologiques, à coût élevé. A Estela qui a saisi la justice en référé pour une dose d’urgence et attend une décision, il a été avancé que «l’Etat ne refusait pas une médication mais qu’il fallait attendre la fin de l’audit». Mais Pablo n’a pas le temps d’attendre, fait-elle valoir.

 

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