L’histoire d’une nation se mesure à travers ses archives. La Télévision algérienne possède un fonds important d’archives sur la glorieuse Révolution nationale, mais une grande partie est encore détenue par d’autres pays étrangers.
Les archives filmiques de la Guerre de Libération algérienne existent au niveau de plusieurs lieux, notamment au Musée de l’armée à Alger, au centre des Archives nationales, ou encore à la Cinémathèque algérienne. L’universitaire, producteur et critique de cinéma algérien Ahmed Bedjaoui nous indique que les archives nationales existent sous plusieurs formes.
La première forme d’archives existantes en Algérie est celle détenue par la télévision de l’époque coloniale. Ces archives concernent l’époque allant de décembre 1957 jusqu’à octobre 1962. Le Journal télévisé quotidien était un élément-clé des programmes de la chaîne de Télévision algérienne. La vidéo n’a fait son apparition qu’en 1974. Avant cette date, il n’y avait que le film. A cette époque, la Télévision algérienne était équipée d’un laboratoire de films. Ahmed Bedjaoui rappelle qu’il y a eu entre 1957 et 1962 cinq ans de JT. Soit à peu près 1500 JT qui sont stockés au niveau du centre régional de la Télévision, aux Eucalyptus, à Alger.
Il s’agit d’un studio de 1000 m2 qui servait de plateau pour les tournages. «Comme au niveau de l’aéroport, c’était tendu, et que les avions balisaient au-dessus, le studio a servi après d’aire de stockage. Tous les JT sont stockés là-bas», rappelle-t-il. Notre interlocuteur révèle que quand il était directeur des services de production de la Radiodiffusion –Télévision algérienne (RTA) – entre 1976 et 1985, il a produit un certain nombre de documentaires d’archive dont le film Combien, je vous aime du réalisateur algérien Azzedine Meddour. «Pour ce film-là, nous sommes partis avec l’équipe de Azzeddine Meddour et la production au studio des Eucalyptus.
Ils ont visionné un tas de choses car ils voulaient uniquement les JT français pour tourner en dérision le pouvoir politique français de l’époque de Charles de Gaulle. On a dupliqué dans notre laboratoire 100 000 mètres de pellicules. Vous vous imaginez, pour en tirer deux heures. A mon sens, c’est une des rares fois où les archives de l’époque de la télévision française ont été utilisées», précise-t-il. Et d’ajouter : «Je ne sais pas où en est la numérisation des archives, mais je sais, par contre, que nous avons beaucoup d’archives, notamment, par exemple, sur la visite du dirigeant de la révolution cubaine Che Guevara, ou encore le Festival panafricain d’Alger de 1969. Il y a aussi beaucoup de choses qui n’ont pas été exploitées dans le film documentaire de William Klein sur ce premier Panaf, réalisé en 1969.»
Sauvetage numérique
Si la Télévision algérienne a fait un gros effort de numérisation, notre orateur insiste sur la nécessité de faire la distinction entre numérisation et conservation des archives. «Aujourd’hui, explique-t-il, il n’y a plus de machines pour lire entre deux pauses.
Il est urgent de les transférer sur un support numérique. Il y a une grosse différence entre numérisation et restauration. La numérisation, c’est un sauvetage numérique des œuvres existantes. Tandis que la restauration s’applique beaucoup plus aux films de fiction. Jusqu’à présent, les films de fiction n’ont pas commencé à être numérisés.» Toujours selon le spécialiste, la Télévision algérienne, en matière d’archives, est considérée comme un fonds extrêmement riche en Afrique. Il y a énormément de demandes et une source de revenu en raison de l’intérêt de ces précieux documents. Il y a des demandes de consultation qui n’existent pas ailleurs.
Au lendemain de l’indépendance, nous apprend-il, il y avait beaucoup d’images qui étaient stockées à Tunis à l’époque du GPRA et du ministère de l’Information. A ce propos, il y avait une intention chez l’homme politique algérien et ministre de l’Information du GPRA M’hamed Yazid et surtout chez le président de la cellule image et son du GPRA et premier directeur de la cinémathèque d’Alger Mahieddine de créer une espèce d’Institut national de l’audiovisuel (INA). Les deux grands hommes avaient imaginé de monter un institut national d’audiovisuel pour, justement, conserver les images qui avaient été tournées dans le maquis par, entre autres, des Américaines et un tas de personnes qui venaient filmer en Algérie. Finalement, ce projet n’a pas vu le jour, car quand ces archives ont franchi la frontière tunisienne, elles ont pris des directions diverses. Il y a certaines archives qui sont parties à la Cinémathèque d’Alger.
D’autres sont allées au niveau du Musée de l’armée, aux Archives nationales… Ahmed Bedjaoui se désole de cette situation. «Il n’y a pas eu ce regroupement dont rêvait Mahieddine Moussaoui, qui aurait aidé beaucoup l’Algérie», dit-il. La télévision a pris le relais rapidement, puisqu’elle avait la chance d’avoir une expérience de cinq ans avant l’indépendance. «Par exemple, précise-t-il, on sait aujourd’hui que le dernier directeur général de RTL, avant l’indépendance de la télévision française avant le 28 octobre 1962, était Philippe Labro, qui avait fait une longue interview de Monseigneur Duval en 1962 et qui est une archive.» L’universitaire Ahmed Bedjaoui s’interroge comment une émission peut devenir des archives nationales ? Il répond : «Avec la disparition des gens, il y a le temps qui définit le statut des archives. Il y a, par exemple, des films qu’on peut estimer, comme le court-métrage Yasmina, réalisé par Djamel-Eddine Chanderli et de Mohammed Lakhdar-Hamina, sorti en 1961 et Algérie en flammes du réalisateur René Vautier sorti en 1958. Ce sont des archives parce qu’ils ont été filmés, en général, par des moudjahidine qui avaient été formés dans une école de cinéma. Ils avaient l’autorisation de franchir la frontière et de filmer.
C’est pour cela que ces films prennent valeur d’archives. Il y a une dizaine de films qui ont été restaurés et numérisés, à l’image du film Tahia Ya Didou du comédien Mohammed Zinet et le film de William Klein sur le Panaf de 2009.» Si certains films ont eu cette possibilité d’être restaurés et numérisés à la fois, il n’en demeure pas moins que beaucoup reste à faire. Comme le dit si bien notre interlocuteur, cela coûte beaucoup d’argent mais notre mémoire audiovisuelle n’a pas de valeur. «Je pense, affirme-t-il, que les patrons de la télévision sont favorables à ce projet de la création d’une espèce d’INA, qui regrouperait toutes les archives.» Et de suggérer : «Ce que nous n’avons pas pu faire en 1962, il faudrait, aujourd’hui, le faire. Il n’y a pas de raison qu’il y ait dispersion des archives nationales auxquelles il est difficile d’accéder. Il faut regrouper tout cela dans un centre du patrimoine national. Il y a énormément d’archives qui ont été filmées en Algérie et qui sont chez la société Gaumond, à laquelle on paye cher lorsque l’on a besoin d’une de ces archives.
Ce qui a été remis par la France n’est qu’une goutte dans l’océan. Ils ont remis quelque 900 heures à la Télévision algérienne. Or sur l’Algérie, on est en train de parler de centaines de milliers d’heures. C’est vraiment insignifiant ce qu’ils nous ont donné. Il reste énormément de travail, de récupération d’archives, de traitement d’archives, etc.»
Par Nacima Chabani