Amour, extérieur nuit de Mina Namous : L’amour à l’ombre des rues d’Alger

04/06/2022 mis à jour: 04:47
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Une histoire d’amour «moche et grandiose» : c’est ce que propose Mina Namous dans son premier roman intitulé Amour, extérieur nuit (paru aux éditions françaises Dalva). 

Mina Namous naît en 1984 à Paris dans une famille algérienne et passe son enfance et son adolescence en Algérie. Après un doctorat de droit, elle s’installe en tant que juriste et exerce d’abord à Alger avant de revenir vivre en France. 

De 2010 à 2014, cette ville lui inspire une série de chroniques et d’histoires, publiées sur le blog jeuneviealgéroise

Très suivis dans son pays, remarqués par la presse algérienne et française (de France Inter à L’Express), repris par de grands quotidiens algériens, ses articles évoque la vie quotidienne d’une jeune femme en Algérie. Amour, extérieur nuit, premier roman de Mina Namous se fait l’écho de cet univers littéraire. Amour, extérieur nuit fait partie des sélections du Prix littéraire de la librairie L’Instant, du Prix Folies d’encre des librairies du même nom, du Prix Louis Guilloux et du Prix du cercle littéraire du Château du Maffliers. 

Mina pour qui fait déjà des adeptes !

C’est une histoire algéroise, une histoire d’amour. Qui vient, qui monte, qui entre dans la peau, qui prend dans le sang, dans les pleurs. Une histoire de parfum qu’on se colle au poignet, et qu’on ressasse à longueur de journée. 

Une histoire de fenêtre sur rue, de voisins qui ne savent rien, mais qui se doutent de tout, de portières dans la nuit, de regrets, de remords, de tout. Une histoire d’amour. Entre lui et moi, entre Alger et moi», raconte ainsi la narratrice en préambule. Mina Namous relate ainsi l’histoire de Sarah, Algéroise originaire de l’Est,travaillant dans le service financier d’une importante entreprise, qui tombe sous le charme de Karim, avocat ayant quitté Alger pour s’installer à Paris, marié et bien plus âgé. 

Leur amour adultère se déploie notamment lors des balades nocturnes dans les rues d’Alger (mais aussi de Londres et de Paris) sous le regard des lions solitaires du centre-ville. 

Il y a quelque chose d’hypnotique dans ce roman de 240 pages dont on a du mal à se séparer. Comme le personnage principal du roman, le lecteur sait que cette histoire d’amour est sans issue. Comme elle, il s’y accrochera de toutes ses forces. Le livre est débordant d’une rêverie teintée de mélancolie, de ce sentiment doux-amer qui assaille les amoureux. Mina Namous réussit le pari – ô combien difficile dans une histoire d’amour- de ne jamais verser dans la mièvrerie. 

Elle y déploie une écriture poétique, fluide et ciselée permettant d’humer les senteurs, d’écouter la rumeur de la ville, et de voir bourgeonner le sentiment amoureux à travers des moments volés et des regards usurpés. 

Dans ce trio amoureux – Sarah, Alger, Karim- chacun porte en lui ses contradictions. Sarah, qui ne se prive d’aucune liberté, se cache de ses collègues, de ses voisins, avouant ne jamais révéler le fond de sa pensée. Karim, nostalgique, affirme vouloir se réinstaller à Alger mais reproche à Sarah d’y être restée. 

Et Alger est décrite comme une ville romanesque qui ne facilite pas la tâche à ses amants. «Et puis, peut-on y lire, nous avons notre gardienne, l’Alger du jour et de la nuit, qui mue au gré des heures et des quartiers, qui sent mauvais, qui n’est pas nette, qui va mourir par endroits, et qui semble tout refermer dans un étau. L’Alger visible et invisible. 

L’Alger magique, qui peut se transformer en une fraction de seconde. Du laid au sublime et inversement, un peu comme ses habitants ». Cette ambivalence, on la perçoit aussi chez la grand-mère, l’un des personnages les plus attachants du roman, qui tantôt se drape de conservatisme tantôt soutient sa petite-fille dans sa quête de liberté. 

Car le roman révèle également un petit monde de femmes – la mère, la grand-mère, les tantes, les cousines…- qui tout en aspirant à l’émancipation se veulent les gardiennes de la réputation de la famille. «Ma mère, mes tantes et ma grand-mère tenaient des conciliabules nocturnes. 

De nos chambres, on pouvait les entendre dire qu’il fallait durcir notre éducation, qu’on ne devait plus aller à la plage seules ni sortir seules le soir. Elles n’étaient pas toutes d’accord, mais un drame était survenu et certaines d’entre elles avaient très peur pour la réputation de la famille», raconte Sarah sous la plume de Mina Namous. 

En creux se racontent, avec beaucoup de tendresse, les siestes interminables du vendredi, les vacances à la plage et les premiers émois amoureux, les soirées ramadanesques et ses kheymates (typiques des débuts des années 2010 où l’auteure place son histoire). 

Mina Namous redevient ainsi la contemplatrice perspicace qui tenait une chronique régulière -et avec beaucoup de succès- dans son blog «Jeune vie algéroise». 

 

EXTRAIT 

Il s’appelle Karim, je le rencontre un mercredi à Alger, c’est un enchantement. Ce n’est pas le printemps, mais pas loin. C’est une histoire algéroise, une histoire d’amour. Qui vient, qui monte, qui entre dans la peau, qui prend dans le sang, dans les pleurs. Une histoire de parfum qu’on se colle au poignet, et qu’on ressasse à longueur de journée. Une histoire de fenêtre sur rue, de voisins qui ne savent rien, mais qui se doutent de tout, de portières dans la nuit, de regrets, de remords, de tout. Une histoire d’amour. Entre lui et moi, entre Alger et moi. Nous sommes à la fin du mois de février de l’année 2013, ma grand-mère vient de s’installer dans notre maison. Elle vivait seule dans un appartement où elle avait fini par s’ennuyer, sa routine lui pesait. Elle se levait trop tôt, allait, venait, prenait son petit déjeuner et n’avait pas grand-chose à faire de ses journées. 

Elle a un peu résisté, elle aimait la solitude, mais l’ennui a fini par prendre le dessus. Ma mère est contente que sa maman vienne vivre avec nous, même si elle sait que la maison va devoir accueillir les oncles et tantes. Pour des raisons pas toujours très nobles, ma grand-mère aime parfois réunir toute la grande famille. Elle lance des sujets de conversation fâcheux, l’air de rien, puis s’enfouit dans le silence et regarde les autres se chamailler, avec un sourire en coin, en demandant qu’on lui resserve du café. Elle se retire ensuite dans sa chambre, et on ne sait jamais trop si nos bruits la dérangent ou s’ils la bercent. J’aimais bien passer du temps dans son appartement, il avait une odeur ancienne et une vue sur une drôle de cour. 

On montait parfois sur le toit de l’immeuble pour laver ses gros tapis et couvertures, quand sa femme de ménage était là. Malgré la fatigue de la tâche, nous pouvions rester des heures à regarder autour. Je m’imaginais me jeter dans la ville et être portée par les airs, dans tous ses recoins, sales et jaunis, avant de tomber dans la mer. J’ai connu ma grand-mère très bavarde et cocasse. Depuis quelques années, elle est de plus en plus silencieuse et lasse. Je la surprends souvent lorsqu’elle regarde ailleurs, dans une direction beaucoup trop vague. Vers le passé sûrement, je me dis. L’un des rares plaisirs qu’elle ait gardés est celui de la plage. Parfois elle y va seule, sans prévenir. Ma mère n’aime plus trop qu’elle conduise, mais on ne peut pas la surveiller tout le temps. 

A la mort de mon grand-père, ma grand-mère est restée quelques années dans sa petite ville natale, à l’est du pays, puis a décidé que ce n’était plus pour elle, que la maison familiale puait la mort, l’histoire, la paperasse. Que cette petite vie l’étouffait. Elle venait de plus en plus souvent à Alger, restait plusieurs mois. Elle avait fini par s’installer dans un appartement du centre-ville, qui appartenait à mon grand-père et dont on avait découvert l’existence à sa mort. Il était vide, quelques occupants l’avaient un peu habité au fil des années, mais rien de stable. Il y a eu toutes sortes d’histoires au sujet de cet appartement, on s’est mis à raconter que beaucoup de femmes y avaient pleuré, qu’un homme s’y était suicidé, que des escaliers invisibles grinçaient. Qu’une vieille dame y apparaissait certaines nuits mais qu’il ne fallait pas en avoir peur, c’était une bonne dame. J’accueillais ces élucubrations avec un œil d’adulte, je n’étais pas superstitieuse, mais pas non plus sereine à l’idée de savoir ma grand-mère seule, là-bas. Elle, elle s’en moquait bien. Elle appelait ça des bêtises, elle en riait. Un guérisseur occupait un appartement au rez-de-chaussée de la cour. Ma mère avait dit que ce n’était pas un hasard. Que cet immeuble était probablement hanté, que c’était un beau cadeau de mon grand-père, ça, tiens…

In Amour, extérieur nuit de Mina Namous.

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