Amina Abdelouahab. Sénologue «Nous sommes confrontés à un problème de gestion et non de moyens»

06/03/2024 mis à jour: 18:14
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Photo : D. R.

Le Dr Amina Abdelouahab est sénologue libéral. Elle a exercé pendant 25 ans en tant que spécialiste en sénologie au Centre Pierre et Marie Curie (CPMC) au CHU Mustapha. Dans cet entretien, elle explique les causes de l’augmentation constante des cas de cancer du sein en Algérie. Elle cite, entre autres, l’obésité, la sédentarité, le tabagisme, le mode de vie. Les épidémiologistes prédisent, selon elle, une prolifération de la pathologie cancéreuse dans notre pays et cette prolifération évoluera au même rythme que les pays occidentaux. La prévention, selon elle, constitue le meilleur remède contre cette pathologie. Elle consiste en une mammographie de dépistage avant 40 ans chez des femmes indemnes, permettant ainsi de déceler des lésions non palpables.

  • Selon les professionnels de la santé, le cancer du sein occupe la première place et c’est la première cause de décès. Est-il vrai que le nombre de cas liés à cette pathologie ne cesse d’augmenter ?

Oui, c’est vrai. Le nombre de cas de cancer du sein est en augmentation constante depuis trois décennies, il s’agit d’une explosion mondiale. Il vient en tête du classement avec une augmentation de 10% chaque année. L’Algérie enregistre annuellement près de 15 000 nouveaux cas, alors qu’en 1995, nous étions seulement à 395 cas par an.

  • Donc le cancer du sein est le plus fréquent des cancers de la femme. Quelles en sont les causes ? Pourquoi cette tendance à la hausse ?

L’augmentation de la charge de tous les cancers reflète le vieillissement et la croissance des populations, ainsi que l’exposition à certains facteurs de risque connus aujourd’hui, à savoir les comportements que nous adoptons au quotidien, tels que l’alimentation déséquilibrée, le surpoids et l’obésité, la sédentarité, le manque d’activité, le tabagisme et l’exposition aux UV.

Dans notre pays, on parlera d’une occidentalisation du mode de vie, qui engendre les mêmes cancers que dans les pays développés. Concernant le cancer du sein, on notera les facteurs hormonal et génétique.

En somme, les facteurs de risque de cancer du sein les mieux établis sont des facteurs génétiques, familiaux, hormonaux et reproductifs, l’environnement et le mode de vie. Près de la moitié des cancers du sein touche des femmes qui ne présentent aucun facteur de risque particulier autre que le sexe (féminin) et l’âge (plus de 40 ans).

Le risque est accru en cas d’antécédents familiaux de cancer du sein, mais la plupart des femmes diagnostiquées n’ont pas d’antécédents familiaux connus. Leur absence ne signifie donc pas nécessairement que le risque est moindre.

  • Vous évoquez les facteurs hormonal et génétique, ceci sous-entend que les cancers du sein sont liés à une prédisposition génétique d’origine maternelle ou paternelle. Des explications concernant ses mutations...

Le cancer du sein est une maladie multifactorielle. Les facteurs de risques peuvent être biologiques, environnementaux ou liés à des habitudes de vie. Dans 10% des cas, le cancer du sein est la conséquence d’une prédisposition génétique résultante d’une mutation des gènes BRCA1 et BRCA2.

Parmi les arguments en faveur d’un cancer héréditaire on notera : la survenue du cancer du sein à un âge plus jeune, inférieur à 40 ans, chez la femme algérienne, la coexistence d’un cancer du sein et de l’ovaire au sein d’une famille ou chez la même personne, le cancer du sein chez l’homme. Plusieurs cas de cancers dans une même famille.

  • Le stress est-il un facteur aggravant ?

Aucune association n’a été prouvée entre le niveau de stress et le risque de développer un cancer. Les connaissances actuellement disponibles sont contradictoires et ne permettent pas d’établir un lien de causalité entre stress et augmentation du nombre de cancers.

  • Quels sont les autres types de cancers les plus répandus en Algérie ?

Pour la femme, le cancer colorectal, le cancer de la glande thyroïde et du col de l’utérus, et chez l’homme, le cancer du poumon, le cancer colorectal, qui est passé en tête en 2023, le cancer de la prostate et celui de l’estomac.

En 2022, 50 000 cas de cancer ont été enregistrés en Algérie. Une hausse par rapport à 2020, puisque les statistiques relatives aux fichiers nationaux dédiés au cancer pour l’année 2020 font ressortir 42 747 cas de cancer, dont 24 118 femmes et 18 629 hommes. Le cancer du sein est le plus fréquent chez la femme avec plus de 13 000 cas recensés l’année dernière. Le cancer du poumon est le plus fréquent chez l’homme, avec une augmentation des cas de cancer de la prostate.

  • Quels sont les symptômes à surveiller ? Comment expliquer que certaines femmes les ignorent ?

Les symptômes à surveiller : tout changement au niveau des seins doit attirer l’attention, écoulement mammaire, ombilication du mamelon, aspect de peau d’orange, déformation ou tuméfaction du sein, lésion eczématiforme du mamelon.

  • Comment la prévention peut-elle constituer un des meilleurs remèdes contre cette maladie ?

Beaucoup de femmes arrivent à la consultation à un stade avancé, et beaucoup plus hésitent à se faire dépister par peur. Il faut savoir que le cancer du sein est une maladie qu’on peut dépister tôt, donc on peut en guérir.

La prévention constitue le meilleur remède contre ce cancer. Elle consiste en une mammographie de dépistage avant 40 ans chez des femmes indemnes, permettant ainsi de déceler des lésions non palpables.

Elle sera répétée tous les 2 ans en cas d’absence d’anomalie. Chez les femmes présentant une prédisposition génétique de cancer, on parlera de dépistage ciblé, la surveillance débutera dès 20-25 ans avec échographie + IRM, mammographie.

  • L’on parle aussi des cancers présumés d’origine professionnelle. Quels sont les métiers susceptibles de provoquer cette maladie ?

Certains cancers sont effectivement d’origine professionnelle, ils sont dus à l’exposition d’une personne à des facteurs de risque cancérigène, tels que l’amiante, les radiations ionisantes, les poussières de bois...

  • Beaucoup de malades pensent que lorsqu’un cancer du sein devient visible, il est déjà trop tard...

Plus le cancer du sein est détecté tôt, voire non palpable, plus le pronostic est meilleur. Les chances de guérison sont proportionnelles à la taille du cancer.

  • Le président de la République a ordonné la création d’une commission de lutte contre le cancer et la prise en charge des cancéreux non bénéficiaires d’une assurance sociale. Un commentaire ?

Effectivement, l’Etat déploie d’importants efforts en vue d’améliorer la prise ne charge des personnes atteintes de cancer, à travers l’ouverture de plusieurs centres sur le territoire national en vue de rapprocher les structures de santé du citoyen.

Nous sommes passés de 7 centres anticancer à 18 centres tout à fait opérationnels aujourd’hui. Ainsi chaque patient, qu’il soit assuré ou non, peut bénéficier d’une prise en charge équitable respectant les directives du président de la République. Cette semaine, une première tranche de patients non assurés a bénéficié de cartes Chifa.

  • La situation est-elle grave ? Faut-il s’attendre à une prolifération de cette pathologie chez nous ?

Oui, les estimations faites par les épidémiologistes prédisent une prolifération de la pathologie cancéreuse dans notre pays, et cette prolifération évoluera au même rythme que dans les pays occidentaux.

Nous ne pouvons malheureusement pas diminuer le nombre de cancers, par contre, il est possible d’agir sur la prévention et le dépistage de certains types de cancers, afin de diminuer le taux de mortalité en préservant une qualité de vie acceptable, d’où l’intérêt de la création, par le président de la République, d’une commission de lutte contre le cancer.

  • Ils sont nombreux, si ce n’est pas tous les malades, à se plaindre de l’absence d’une prise en charge adéquate et surtout du manque de médicaments et d’équipements pour le traitement de leur cancer. Où réside le problème ?

Le problème n’est pas relatif au manque de moyens ni aux ressources humaines, il s’agit plutôt d’un problème de gestion.

Il faut aujourd’hui saluer les efforts fournis par le ministère de la Santé qui, grâce à la réactivation du fonds national, ont permis l’équipement des centres anticancer de manière équitable, tant en moyens diagnostiques que thérapeutiques, avec l’acquisition de molécules innovantes disponibles actuellement dans notre pays afin que nos patients puissent bénéficier des mêmes traitements appliqués dans les pays développés.

  • Est-ce qu’on guérit d’un cancer ?

On peut guérir d’un cancer du sein lorsque la tumeur est localisée et traitée précocement, grâce à l’amélioration des moyens techniques et des modalités thérapeutiques.
 

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