Amar Ingrachen. Directeur des éditions Frantz Fanon : «Le secteur du livre évolue dans un climat de désordre total»

23/03/2022 mis à jour: 06:38
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Amar Ingrachen. Directeur des éditions Frantz Fanon

Dans l’entretien accordé à El Watan, le directeur des éditions Frantz Fanon, Amar Ingrachen, considère que la 25e édition du Salon international du livre d’Alger (SILA), qui aura lieu du 24 mars au 1er avril 2022 au Palais des expositions des Pins Maritimes, est «emblématique des grandes potentialités que recèle le secteur de la culture et des grandes attentes en la matière du public». «En gros, on peut dire que le SILA joue un rôle éminemment structurant dans le domaine de la culture en Algérie», soutient-il. L’éditeur plaide pour une «véritable politique culturelle, qui repose sur une vision à long terme et sur une ouverture réfléchie et généreuse sur le monde». «L’isolement n’immunisera pas l’Algérie ; il la tuera», assène-t-il. 

  • La 25e édition du SILA s’ouvrira demain après deux années de fermeture due à la pandémie de Covid-19. Quelles sont vos impressions ? 
     

Le Sila est la manifestation culturelle la plus importante en Algérie. Il est emblématique des grandes potentialités que recèle le secteur de la culture et des grandes attentes en la matière du public. En gros, on peut dire que le SILA joue un rôle éminemment structurant dans le domaine de la culture en Algérie. A ce titre, sa tenue, quelles qu’en soient les conditions, est toujours un moment de bonheur pour les éditeurs et les lecteurs, mais aussi pour le secteur des services qui en tire des dividendes en marge. 

L’édition de cette année revêt une dimension singulière parce qu’elle intervient après deux années blanches dues à la crise sanitaire. Elle est très attendue. Malgré les réticences de certains collègues éditeurs qui trouvent inopportun que ce Salon se tienne inhabituellement au milieu de l’année, je salue l’audace et la détermination des organisateurs qui ont réussi le challenge. C’est que, pour moi, il est tout le temps opportun de parler du livre. 

Et plutôt que de reporter des festivals de ce genre, il faut en créer d’autres, dans les autres villes du pays et à d’autres moments de l’année. L’Algérie a besoin non pas d’un seul Salon du livre mais de plusieurs. Les retards que l’Algérie enregistre dans ce domaine sont énormes ; les initiatives doivent être à la hauteur et elles gagneraient à reposer sur des politiques rigoureuses et s’inscrivant dans le long terme. Il est toujours intéressant que des gouvernements prennent des mesures conjoncturelles de soulagement à l’endroit des entreprises, surtout quand il y a crise et que l’économie fonctionne au ralenti. 

Ce type d’initiatives est courant, même dans les pays radicalement libéraux comme les Etats-Unis. Mais, une telle mesure est très en deçà de ce qui est attendu tout au long de l’année par les éditeurs. Il faut dire que secteur du livre évolue dans un climat de désordre total, où les institutions, qui dépensent des budgets faramineux, ne jouent aucun rôle. Je vais être franc avec vous : l’Algérie n’a aucune politique culturelle et n’a pas de politique du livre. On a l’impression que le gouvernement ne sait pas exactement ce qu’il veut ni où il veut en arriver dans le domaine de la culture, alors que celle-ci peut être un levier de développement économique et d’épanouissement diplomatique. 

Le Centre national du livre (CNL), dont les membres sont installés et grassement payés depuis des années, ne fait rien. Les directions de la culture, la direction du livre au niveau du ministère, les centres culturels algériens à l’étranger, etc., ne font absolument rien pour la promotion du livre. Je vous rappelle qu’un pays comme l’Argentine dépense annuellement 4 millions d’euros pour promouvoir la littérature argentine dans le monde. Que font les institutions algériennes dans ce sens ? Eh bien, elles ne font rien de particulièrement structurant, et cela est scandaleusement affligeant. 

  • Justement, l’ouverture du SILA intervient dans un contexte marqué par les difficultés auxquelles fait face le secteur de l’édition (pénurie de papier, taxes, distribution balbutiante)…

La crise du papier est, à ce que je sache, mondiale. Elle frappe de plein fouet le marché algérien qui dépend à 100% des importations. Elle impacte fortement l’édition pour deux raisons principales. D’abord, le contingentement des importations fait que la pénurie s’est installée au profit de certains opérateurs qui contrôlent ce segment. Ensuite, il y a le fait que, au niveau du gouvernement, aucune mesure de soulagement fiscal n’est faite sur le papier destiné à la fabrication du livre. Le gouvernement se comporte avec toutes les entreprises, de tous les secteurs, de la même manière, sans aucunement tenir compte des spécificités de chaque secteur et de la plus-value symbolique que la culture peut apporter au pays. Encore une fois, il faut une véritable politique culturelle, qui repose sur une vision à long terme et sur une ouverture réfléchie et généreuse sur le monde. L’isolement n’immunisera pas l’Algérie ; il la tuera. 

  • La maison d’édition que vous dirigez (Frantz Fanon) a étoffé son catalogue. Nous croyons savoir que vous allez proposer, à l’occasion du Salon, de nouveaux titres liés à l’histoire nationale…

Nous avons prévu une vingtaine de nouveaux titres pour cette 25e édition. Malheureusement, à cause de la pénurie de papier, nous n’avons pu en publier qu’une dizaine. Nous en sommes un peu frustrés, mais le livre, c’est un travail de tous les jours et tout au long de l’année. Avec la patience et la passion de nos auteurs et lecteurs, la générosité de certains médias, comme El Watan, nous pourrons faire de belles choses aujourd’hui, demain et dans les mois et années à venir. 

Parmi nos nouveautés : il y a des livres de Abderrezak Dourari, Lamine Benallou, El Mahdi Acherchour, Hakim Laâlam, Saïd Sadi, Sadek Hadjeres, Mohamed Ifticene, Mohammed Arkoun, Valérie Zenatti et Kamel Bencheikh.

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