Ali Feraoun, le fils de l’illustre Mouloud Feraoun, dit penser que l’assassinat de son père a été commandité et ordonné par le gouvernement français de l’époque, voire par le général de Gaulle en personne.
Si son parcours littéraire est relativement connu, l’engagement certes discret dans la lutte pour le recouvrement de l’indépendance nationale de l’illustre écrivain Mouloud Feraoun est à l’opposé peu, très peu même connu avec des voix qui s’élèvent allant jusqu’à professer l’inverse. Un double itinéraire que son fils Ali a eu à reprendre, du moins dans ses plus importantes haltes, samedi dernier aux Ouacifs.
Invité d’honneur de l’association culturelle Tankera du village Agouni Fourrou dans le sillage d’un programme commémoratif du 70e anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale, Ali Feraoun a animé une conférence lors de laquelle il s’est évertué à partager avec une assez consistante assistance, dont une prépondérance de femmes, l’itinéraire intellectuel de son défunt père, mais s’est surtout appesanti sur nombre de facettes de son côté militant de la cause libératrice de notre pays du joug colonial français. Un combat certes discret, mais ô combien efficace, lui qui, selon le conférencier, le distillait à doses homéopathiques, notamment dans son tout premier roman, Le Fils du pauvre.
Ce dont, d’ailleurs, a-t-il fait remarquer, s’est rendu compte son éditeur qui l’a expurgé d’une quarantaine de pages le long desquelles Feraoun était «critique» à l’égard de l’administration coloniale. Un ouvrage, le premier roman de l’auteur dont il a entamé l’écriture en 1939 et qui a été salué par la critique, obtenant le Grand prix de la ville d’Alger. Et ces longs passages ainsi supprimés ont été réintroduits dans l’œuvre originale de Feraoun dans une nouvelle édition en 2023 sur l’initiative de la fondation éponyme présidée par son fils. Plus que cela, l’illustre écrivain était en contact permanent avec le colonel Si Nacer, premier colonel et chef de la Wilaya III historique.
Un engagement efficace, mais discret dont l’administration coloniale à son plus haut sommet ne sera convaincue qu’à la fin de l’année 1960, quand Feraoun refusera la proposition du général de Gaulle de le nommer comme ambassadeur de France aux Etats-Unis d’Amérique. Dans sa réponse, Feraoun a expliqué son refus de cette proposition par son souci de «ne pas vouloir d’une promotion politique sur le dos de ses compatriotes qui luttaient pour l’indépendance nationale».
Une promotion politique «incompatible avec son statut d’éducateur et d’instituteur», a-t-il encore argué pour appuyer son refus, ajoute Ali Feraoun qui citera aussi un autre détail de poids. Vers la fin 1961, Feraoun était engagé dans un projet d’agriculture avec les Nations unies dans les pays pauvres de la Méditerranée, dont la Corse, la Grèce, l’Italie et Israël. Seulement, après avoir fait les autres pays, Feraoun devait se rendre avec ses collègues en Israël, ce pourquoi il sollicitera un visa qui lui sera refusé par Tel-Aviv après une enquête qui révélera que le fils de Tizi Hibel avait plus que des accointances avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne.
Il avait alors demandé un ordre de mission en France pour s’occuper de ses livres, dont notamment son ouvrage Le Journal qu’il voulait éditer avant le recouvrement de l’indépendance nationale. Un ordre qu’il avait obtenu le 11 février 1962 avant que l’administration française ne se rétracte le 28 février de la même année par un courrier du délégué général du gouvernement français qui lui intima l’ordre de «ne pas quitter Alger jusqu’à nouvel ordre». Ce qui intrigua Feraoun, selon son fils qui s’interrogera, à son tour, sur le fait que «tous» les 18 dirigeants des centres sociaux qui étaient à la réunion de Ben Aknoun, sur les hauteurs de la capitale, avaient tous de «fausses cartes professionnelles».
Une réunion instiguée, poursuit Ali Feraoun, «par le recteur» lors de laquelle trois membres de l’organisation clandestine firent irruption, désignèrent des noms sur une liste, dont donc celui de Mouloud Feraoun avant qu’ils ne le tuent froidement de 112 balles d’un fusil-mitrailleur.
Suffisant pour Ali Feraoun de déduire que son père a été «bel et bien assassiné sur ordre direct du gouvernement français et probablement de Gaulle en personne, pour lui faire payer son refus du poste d’ambassadeur à Washington qui lui a été proposé auparavant et son implication dans la guerre de Libération nationale». Pour Ali Feraoun, cette vérité «finira bien un jour par éclater au grand jour une fois les archives publiées». M. K.