Comme nous le savons, l’agriculture repose sur plusieurs étages bioclimatiques. Pour l’Algérie, du climat méditerranéen au climat aride et hyper-aride en passant par le semi-aride avec une diversité de vocations agricoles et agroalimentaires, des terroirs, des possibilités de cultures rationnelles et rémunératrices, des systèmes de production, des activités agricoles multiples et des filières agricoles du littoral au Grand Sud en passant par la montagne et les Hauts-Plateaux.
Il s’avère que l’agriculture est un secteur particulièrement stratégique où se croisent de nombreux enjeux tels que l’alimentation, l’aménagement du territoire, la préservation de l’environnement et de la biodiversité, le maintien des agrosystèmes et l’entretien des paysages et le développement de l’activité économique dans les zones rurales.
L’Algérie dispose d’un potentiel important pour couvrir d’abord ses besoins, diversifier les systèmes de production, contribuer à la sécurité alimentaire régionale pendant toute l’année et peut devenir un acteur majeur du marché international des filières agroalimentaires et agro-industrielles.
Ma contribution dans cet article qui se veut vitale consiste à transmettre mes savoirs, mes connaissances et le partage de ma propre et riche expérience accumulée pendant plus de 40 années dans l’agriculture des zones arides et hyper-arides. Elle va venir en aide pour une orientation du développement agricole au niveau des différentes régions sahariennes et la promotion de l’agriculture locale et régionale.
Il faut rappeler que ces régions naturelles sahariennes sont très différentes les unes des autres et que la prospective territoriale ou l’exploration des futurs possibles doit être abordée séparément pour chacune d’entre elles.
Que cette prospective va nous permettre de définir une stratégie à long terme.
Mais nous avons besoin dans une première étape de connaître et bien maîtriser les potentialités, les atouts, les forces et les facteurs favorables des 14 régions naturelles sahariennes identifiées lors du zonage du Sahara algérien et le découpage en régions selon des indicateurs. (Etude du Plan directeur général de développement des régions sahariennes - PDGDRS 1996 – 2000, un outil d’orientation générale du développement agricole et d’aide à la décision en matière de planification).
Le développement de l’agriculture et de la production agricole dans des régions naturelles sahariennes telles que le Touat, le Gourara, le Tidikelt, le M’zab, Ouargla, Oued Righ, le Souf et les Zibans est aujourd’hui d’une importance capitale dans l’économie du pays.
Il apparaît que les régions naturelles sahariennes disposent d’un atout majeur : le soleil. Malheureusement, celui-ci n’est pas exploité de façon optimale. Les oasis ne fonctionnent que quelques mois dans l’année, alors qu’il est possible de faire 3 ou 4 rotations avec des économies d’eau d’irrigation.
N’oublions pas cet atout qui est la fraîcheur en hiver et celui de la durée de l’ensoleillement avec 3200 à 3800 heures par an, contre moins de la moitié dans d’autres pays. Que le potentiel de sols est très largement excédentaire par rapport aux ressources en eaux disponibles.
Nous avons aussi besoin de connaître les principales contraintes et avant de les énumérer, il est intéressant de savoir que l’aridité climatique est différente de la sécheresse et que l’aridité est un caractère permanent du climat. Par contre, la sécheresse est un phénomène météorologique qui peut s’étendre sur plusieurs saisons, voire même sur plusieurs années, comme le cas d’un grand nombre de régions et de pays.
Pour le développeur, l’aménageur, le planificateur, le scientifique, le producteur, l’investisseur, le professionnel, l’étudiant, le décideur, les contraintes qui ont affecté et affectent à ce jour le développement de l’agriculture dans les différentes régions naturelles sahariennes doivent être identifiées, analysées et y trouver, coûte que coûte, les voies et les moyens nécessaires dans le but de les lever pour toute étude des futurs possibles ou vision prospective.
Il y a différents types de contraintes sachant qu’elles n’affectent pas de manière identique toutes les régions naturelles sahariennes identifiées dans le cadre de l’étude du PDGDRS, qui elles-mêmes ont été regroupées en 4 ensembles qui correspondent aux grands ensembles morphologiques du Sahara algérien.
1 - les contraintes liées au climat saharien dont les températures extrêmes, les fortes chaleurs sur plusieurs mois, l’évapotranspiration potentielle importante, l’amplitude thermique jour et nuit, les vents et vents de sable qui sont des traits marquants du climat. Il faut rappeler que l’évapotranspiration est contraignante et présente des variations interrégionales qui vont de 1500 mm au pays des Dayas à plus de 2500 mm dans la région du Touat, du Gourara et du Tidikelt.
Il s’avère que plus de 50% du total de l’ETP annuelle ou évapotranspiration est enregistrée entre avril et septembre, voire jusqu’au mois d’octobre.
L’ETP ou évapotranspiration en tant que facteur climatique est de la plus grande importance à connaître pour estimer les besoins en irrigation des cultures dans une région donnée (le rythme et l’importance des irrigations).
2 - les contraintes pédologiques, à savoir que les sols sahariens ne sont que des substrats minéraux sableux, dépourvus de matière organique avec une faible capacité de rétention en eau.
3 - les contraintes engendrées par la gestion de la ressource en eau telles que la remontée de la nappe phréatique due au manque de drainage dans des régions naturelles comme le Souf et Ouargla avec un impact sur l’aptitude des sols au développement agricole, une augmentation du risque de salinisation de l’eau et du sol et une asphyxie des cultures. D’autres contraintes se rajoutent comme la pollution des nappes, le gaspillage de l’eau…
L’origine de la ressource hydrique dans les régions sahariennes est diversifiée :
• La nappe du continental intercalaire
• La nappe du complexe terminal
• Les autres nappes
• Les eaux superficielles
Nous devons retenir que les ressources en eau dans les régions sahariennes sont très variables d’une région à l’autre en ce qui concerne les grands aquifères, avec des contraintes de salinité, de température et de profondeur.
Qu’elles sont faibles dans les autres nappes.
Très aléatoires pour les ressources superficielles telles que l’épandage de crue.
L’eau est le premier des facteurs limitants de l’agriculture, elle doit devenir le facteur le mieux maîtrisé. Nous devons tenir compte du caractère non renouvelable de la ressource hydrique et la cherté de l’exhaure. L’eau est encore très mal valorisée puisque les rendements sont encore faibles. D’importantes économies d’eau peuvent être réalisées à l’avenir tout en augmentant les productions.
4 - les contraintes liées à l’étendue du territoire, les distances, les échanges de biens, l’approvisionnement et les coûts des intrants, l’écoulement de la production, la mobilité des personnes.
5 - les contraintes agronomiques qui empêchent d’atteindre les meilleures performances de production et affectent les productions végétales et animales.
6 - les contraintes économiques qui affectent la microéconomie, c’est-à-dire le fonctionnement des exploitations agricoles, leur rentabilité économique et durabilité.
7 - les contraintes liées à l’organisation de la profession agricole, à la structuration et développement des filières agricoles et agroalimentaires performantes, à la recherche agronomique, à la formation et vulgarisation agricole, à l’encadrement technique des producteurs sur le terrain, à l’appui à la commercialisation, au crédit bancaire et la macroéconomie.
Je voudrais aussi rappeler que la production de grains suppose une occupation des parcelles beaucoup plus longues, ce qui majore la consommation d’eau et le prix de revient. Il faut savoir que la production d’un kilo de grains de maïs, blé, riz nécessite le transfert de 1 à 3 tonnes d’eau à travers les tissus des plantes. Cependant, la quantité d’eau transférée par une culture n’est pas proportionnelle à sa production.
L’exemple de l’Arabie saoudite qui a privilégié la culture irriguée du blé à une échelle industrielle avec des moyens financiers et technologiques énormes au détriment des réserves d’eau dans les années 1990. Malgré l’obtention d’excellents rendements, les autorités saoudiennes se sont rendu compte que le prix écologique était très lourd à payer et ont pris conscience de certaines limites.
Nous assistons actuellement à un dualisme entre les oasis anciennes ou traditionnelles, les oasis nouvelles ou modernes dans le cadre de l’APFA qui se caractérisent par leur plans parcellaires ou cadastraux, l’alignement et la densité des palmiers dattiers, le réseau d’irrigation et de drainage pour certains cas et des cultures réparties particulièrement sur trois niveaux de hauteur différents ou grandes strates. A cela se rajoutent les périmètres agricoles visant l’accroissement de la productivité des filières stratégiques à travers la promotion de l’investissement.
Il est intéressant de rappeler que la pérennité et la résilience des agrosystèmes ou paysages agricoles oasiens sont avant tout assurées par la présence d’un arbre qui est le palmier dattier connu pour sa remarquable résilience et adaptation au conditions climatiques des régions arides chaudes avec une association de cultures.
Pourquoi ne pas favoriser des ceintures vertes productives autour des différentes villes sahariennes avec le palmier dattier, l’arbre roi des oasis, qui représente le monopole pour ces régions naturelles ?
De préserver la diversité génétique du patrimoine phœnicicole et de valoriser cette diversité variétale très appréciable ?
Ces différents cultivars ou variétés locales, fruits d’une longue sélection des oasiens, seraient équivalents sinon supérieurs à la Deglet Nour sur le plan de la précocité, les modes de conservation, la sensibilité et la résistance aux maladies et au stress hydrique.
Ils sont très appréciés par leur double utilisation fraîche ou conservée, leur digestibilité, la production de rejets, la commercialisation, les prix, les caractéristiques des fruits, des noyaux, des palmes, du spadice ou inflorescence. Il faut savoir qu’il y a des variétés qui constituent des sous-produits ou une matière première pour l’alimentation animale ou la production de dérivés chers actuellement importés.
Les sous-produits ou rebuts de dattes peuvent être utilisés comme concentrés seuls ou bien broyés, incorporés avec différents taux et mélangés à d’autres aliments tels que le son, l’orge et les tourteaux, la luzerne déshydratée. Une initiative et une expérience que j’ai menées et suivies personnellement dans les années 1985 au niveau de la jeune wilaya d’El Oued, en ma qualité de directeur de l’agriculture et chef de division du développement agricole et hydraulique à l’époque.
Ce sont des aliments de substitution de haute valeur énergétique qui contribuent à la valorisation des rebuts, dont l’évaluation nous donne un tonnage important en tant que matière première et aussi à la réduction des importations. Les rebuts de dattes constituent un très bon aliment pour l’engraissement des jeunes ovins. Le développement de l’élevage en milieu oasien est conditionné par l’offre fourragère dans la palmeraie, soit une association fourragère représentée par 0,25 ha d’orge et de 0,75 ha de luzerne avec de bons rendements en fourrages verts et des taux moyens en matière sèche.
La promotion en milieu oasien de l’activité d’élevage, notamment les petits ruminants avec une charge de l’ordre de 10 ovins par hectare, est à encourager sachant que les besoins d’une unité zootechnique ovine sont de 700 UF.
Le biochar ou carbone écologique présente un autre avantage important en plus de l’amélioration de la productivité des sols et des cultures, sa capacité de rétention de l’eau et des éléments nutritifs et celui de la séquestration du carbone que les plantes intègrent sous forme de CO2 au cours de leur croissance.
Son utilisation comme un additif dans l’alimentation des animaux d’élevage à partir de fourrages carbonés ou de leurs mélanges avec les fourrages habituels et les aliments concentrés en respectant les rations et conseils d’administration.
Les bienfaits sont remarquables sur le plan production et santé animales sans oublier ses effets sur l’environnement, à savoir la réduction des émissions de méthane produit par les ruminants à effet de serre très puissant. Nous devons accorder une grande importance à l’aménagement rural, l’hydraulique agricole et la mise en valeur, le développement de l’agriculture des régions sahariennes. J’insiste beaucoup sur la ressource en eau en tant que facteur d’aménagement et limitant en rappelant, d’après les études hydrogéologiques, par exemple, pour le continental intercalaire (CI), que la profondeur des forages, la profondeur de pompage, la salinité et la température varient entre :
• L’ouest du M’zab, le Gourara, le Touat, le Tidikelt et le nord-est des Tassili : 300 à 1000 m – pompage entre 50 et 300 m – possibilité d’affleurement dans le Touat – Entre 2 et 3 g/l à In Salah – 0,5 et 1g/l entre Adrar et Timimoun – inférieur à 0,5 g/l à El Goléa - température entre 25 à 40°C.
• Le nord des Tassili, Ouargla, le sud de l’Oued Righ et du Souf, l’est du M’zab : 1000 à 1500 m – artésien – supérieur à 5 g/l au sud de Hassi Messaoud – entre 3 et 5 g/l à El Borma – entre 1 et 2 g/l au nord de Hassi Messaoud et vers Zelfana - Température de 40 à 60°C.
• Le sud-ouest des Zibans, le nord de l’Oued Righ et le centre du Souf : 1500 à 2500 m – fortement artésien - Entre 2 et 3 g/l- 60 à 70°C.
• La limite nord de la RNS du Souf : 2500 à 3000 m - Fortement artésien - Entre 2 et 3 g/l (peu de données) - 70 à 80°C.
Pour le complexe terminal, nous devons suivre et maîtriser les régions et les zones qui sont touchées par les rabattements piézométriques, les prélèvements actuels et futurs et leurs impacts sur les zones les plus sensibles.
C’est en testant cette nappe avec des scénarios exploratoires différents que nous pouvons mesurer les prélèvements supplémentaires et analyser les effets.
Quant à la salinité des eaux du complexe terminal, elle oscille entre 2 et plus de 5 g/l dans la région d’Oued Righ.
Il y a les autres nappes souterraines réparties entre les aquifères, la nappe du mio-pliocène, les nappes phréatiques, les inféro-flux des oueds et autres dont certaines présentent un potentiel et d’autres, les ressources en eau sont aléatoires dépendantes de la pluviométrie.
Les eaux superficielles ou ressources en eau de surface sont regroupées en 5 grands ensembles régionaux, dont seul le réseau hydrographique des piémonts des chaînes atlastiques et sur les pentes du massif du Hoggar est actif avec des écoulements importants et durables.
Parmi les actions importantes à entreprendre, celles de la mise à jour des cartes des ressources en eau, l’actualisation de la banque de données et de la modélisation mathématique, l’actualisation des inventaires des points d’eau et enquête sur les débits extraits, la fréquence des pompages, les débits d’exploitation, le suivi technique de la réalisation des forages, le suivi de la salinité des sols et des eaux pour les nappes phréatiques.
N’oublions pas qu’une de mes initiatives parmi d’autres a été retenue, à savoir l’organisation de la tenue du premier Séminaire national sur l’accession à la propriété foncière agricole par la mise en valeur et l’agronomie saharienne à El Oued, les 5 et 6 mai 1985, par les autorités locales de la wilaya et sous le haut patronage des ministres de l’Agriculture, de la Pêche, de l’Hydraulique, de l’Environnement et des Forêts.
Une synthèse importante avec plusieurs recommandations a été faite par la commission chargée des ressources en eau et sol, celle du système de production, celle de l’assainissement et drainage, celle des structures et des moyens et celle de la recherche et développement.
En conclusion, une attention prioritaire doit être portée à l’élaboration des études spécifiques ou de faisabilité technico-économique pour chaque région naturelle, en tenant compte d’un nouveau zonage à partir des nouvelles wilayas sahariennes et présahariennes et du Plan directeur général de développement des régions sahariennes.
L’actualisation de l’étude du PDGDRS et les études spécifiques avec les différentes simulations exploratoires vont nous permettre de cerner au plus près la réalité du contexte présent, de nous fournir une évaluation de la situation actuelle des ressources agricoles et de développer un plan pour la portée de la production agricole, le tourisme oasien et saharien futur.
Elles vont aussi nous permettre d’identifier mieux les régions de forte sensibilité des ressources en eau, particulièrement sous l’angle de la baisse des niveaux des aquifères et de visualiser les conséquences des prélèvements sur la ressource en eau depuis l’année 2000.
Les enjeux de cette actualisation va nous donner une meilleure connaissance de chaque région naturelle avec une nouvelle monographie régionale pour chacune d’elles sur le plan socioéconomique et environnemental. Ce qui nous donnera une vision modernisée et dynamique des ressources en eau, une nouvelle conception du développement de l’agriculture et du tourisme au niveau des régions sahariennes avec une intégration des changements climatiques.
Pour finir, le remplacement de l’agriculture saharienne par l’agriculture des zones arides et hyper-arides me paraît plus judicieux et logique. Pensons à une gestion plus rationnelle de l’eau, à une amélioration de l’efficience de l’irrigation, à la valorisation de l’eau et à un encouragement du recyclage des eaux.
Dr M. Bouchentouf , Ingénieur-docteur en agronomie
Docteur en environnement et développement durable
Adaptations de l’agriculture aux changements climatiques
Ancien cadre au ministère de l’Agriculture et du Développement rural
Spécialiste de l’agroécologie des régions arides et semi-arides
Consultant en management et développement de projets à l’international
Chercheur en innovation et prospectives agricoles
Président de l’association Europe Afrique résilience agroécologique et climatique Paris
Directeur de la micro-ferme écologique et innovante
«La Clé des oasis» à Timimoun, Algérie