Tunis
De notre correspondant
La télé nationale tunisienne a transmis en direct, hier, 27 mars 2024, à l’aube, la lecture du prononcé du verdict dans l’affaire de l’assassinat du secrétaire général du Parti des patriotes démocrates, Chokri Belaïd, exécuté le 6 février 2013.
Quatre condamnations à mort par pendaison, deux à perpétuité, une peine de 120 ans de prison, une autre de 30 ans ont été les peines les plus importantes contre les 23 accusés, tous condamnés. Les jugements prononcés de non-lieu contre cinq accusés sont motivés par «la chose jugée» ; ils ont été poursuivis et jugés pour les mêmes faits dans d’autres affaires.
L’audience de la 5e chambre criminelle spécialisée dans les affaires terroristes auprès du tribunal de la 1re instance de Tunis a été transmise en direct à la télé nationale en réponse à la requête du comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, de donner un caractère public à l’affaire. Ledit comité ayant menacé de boycotter les audiences et un compromis a été trouvé de diffuser en direct l’audience du verdict en 1re instance. Moins de deux mois ont donc suffi à la chambre criminelle spécialisée pour trancher, en première instance, dans l’affaire de l’assassinat de Chokri Belaïd, après 11 ans de rebondissements et de tiraillements politiques.
La dernière étape de l’affaire a été entamée le 6 février 2024 avec les interrogatoires des 23 accusés et les plaidoiries des avocats de la partie civile. «C’est clair que la volonté politique a manqué auparavant aux anciens gouvernements tunisiens depuis 2013», a insisté Me Naceur Laouini, membre du comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, assassinés les 6 février et 25 juillet 2013.
Ledit comité a publiquement accusé l’ancien procureur de la République Béchir Akermi, aujourd’hui aux arrêts, et certains hauts cadres sécuritaires, poursuivis eux-aussi, «d’avoir tenté de dissimuler volontairement des pièces à conviction, des données et des documents relatifs à cette affaire dans le but de disculper certains accusés en lien avec le parti islamiste Ennahdha».
Le parti islamiste Ennahdha a publié, hier, un communiqué estimant que les conclusions des différentes branches des organes sécuritaires et des tribunaux fournissent «de manière certaine des preuves d’innocence pour le mouvement, et des preuves irréfutables contre ce qu’elle a décrit comme l’agenda suspect du soi-disant comité de défense, qui vise injustement, agressivement, mensongèrement et calomnieusement un parti politique».
Par ailleurs, le communiqué d’Ennahdha a souligné que la prononciation des verdicts dans l’affaire de l’assassinat devrait mettre fin à la «manipulation du sang du martyr et rétablir la réputation de ceux qui ont été injustement accusés politiquement, en particulier le président du mouvement, Rached Ghannouchi». Le communiqué d’Ennahdha a également appelé à ouvrir une page de réconciliation et à mettre fin aux «manœuvres, tromperies et manipulations des intérêts supérieurs du pays à travers la désinformation et la manipulation de la vérité».
Il est à rappeler que plusieurs cadres d’Ennahdha, notamment son président Ghannouchi, sont actuellement poursuivis dans les affaires de «complot contre la sûreté de l’Etat», «envoi des jeunes Tunisiens dans les zones de tension» et dans l’affaire Instalingo «production de contenus incitant à la déstabilisation du pouvoir». Et si les islamistes d’Ennahdha considèrent que le dossier des assassinats politiques est clos avec l’énoncé du verdict du procès des exécutants, ce n’est pas l’avis d’une large frange de la classe politique tunisienne, notamment le Parti des patriotes démocrates, dont est issu le martyr Belaïd, et le parti Ettayar Chaâbi du martyr Brahmi.
Le comité de défense des martyrs a par ailleurs poussé le ministère de la Justice à créer une commission spéciale chargée du suivi des affaires des assassinats de Belaïd et Brahmi. La ministre Leila Jeffal est la présidente de ladite commission dont la mission est de réaliser un audit judiciaire et administratif concernant les dossiers y afférents et définir la responsabilité de celui ou ceux qui ont entravé l’avancement des enquêtes et tenté de détruire des preuves ou influencer le parcours des affaires.
Le comité procédera également au recensement des documents saisis et la numérisation de toutes les pièces afférentes aux deux dossiers d’assassinat politique, ainsi que leur sauvegarde sur un support électronique.
La création de cette commission est considérée comme un acquis par Me Imen Gzara, membre du comité de défense des martyrs. Me Gzara considère que «la centralisation des documents va permettre d’avoir une idée exacte sur les liens entre les commanditaires et les exécutants dans cette sombre affaire». Il est donc clair que l’affaire de l’assassinat de Belaïd, comme tous les assassinats politiques, n’a pas encore révélé toutes ses vérités.