En quête d’équilibre entre besoin de main-d’œuvre et compétitivité, l’Allemagne réfléchit à son tour à la semaine de quatre jours, déjà étudiée dans d’autres pays européens et plébiscitée par certaines entreprises pionnières. Le sujet s’impose à l’agenda de la première économie européenne au moment même où la récession menace et rend le patronat frileux.
D’autres voient dans cette crise l’occasion de transformations radicales. Le vendredi, Maximilian Hermann enfile son casque de moto et va «faire un tour» dans les Alpes bavaroises, quand il ne part pas «dès le jeudi soir» en week-end. Ce chef de projet âgé de 29 ans planifie les installations de pompes à chaleur et de systèmes de climatisation que propose Klima Shop !, une entreprise de 30 personnes ayant son siège près d’Augsbourg, en Bavière (sud). Comme tous ses collègues, il a début janvier embrassé la semaine de travail de 4 jours et 38 heures hebdomadaires, au lieu de 40. Les employés travaillent désormais une heure et demie de plus sur quatre jours pour avoir leur vendredi libre, avec le même salaire.
Pour son collègue Michael Pankoke, le changement est synonyme de «gros progrès» : «Vous travaillez beaucoup plus intensément, tout ce que vous faites est plus précis», affirme à l’AFP ce conseiller en clientèle, âgé de 58 ans.
Au cours des négociations salariales annuelles pour l’industrie sidérurgique qui débuteront mi-novembre, le puissant syndicat IG Metall exige d’introduire la semaine de quatre jours, via la réduction de 35 heures à 32 du volume hebdomadaire et à salaire égal. La société de conseil en organisation du travail Intraprenör va piloter la première grande expérimentation en Allemagne, en partenariat avec 4 Day Week Global, qui a déjà réalisé des études similaires dans plusieurs pays développés, notamment au Royaume-Uni.
Début 2024, 50 entreprises de tailles et de secteurs variés doivent tester pendant 6 mois la réduction du temps de travail à salaire égal, avec l’objectif d’une productivité maintenue. Intraprenör, qui a déjà «aboli le vendredi» pour ses propres salariés depuis 2016, dit avoir à l’heure actuelle 33 candidatures d’entreprises intéressées. Les cas d’employeurs qui sautent le pas se multiplient. Wolfgang Schmidt, le fondateur d’une entreprise qui fabrique des machines près de Hambourg (nord), dit avoir adopté les 38 heures fin 2022 afin de faire «économiser de l’essence et de l’argent» à ses 30 employés qui parcourent pour certains «100 km par jour».
«Rêve irréaliste»
Dans la même région, la ville de Wedel a décidé d’introduire la semaine de quatre jours afin d’attirer des agents «compétents et motivés». Outre un meilleur «équilibre entre vie professionnelle et vie privée» et une «productivité plus élevée», la création d’emplois engendrée permettrait à l’Allemagne d’en finir avec «l’un des taux de salariés à temps partiel les plus élevés d’Europe», souligne Sophie Jänicke, chargée du temps de travail au sein de la direction d’IG Metall.
Selon une étude de la fondation Hans-Böckler, 81% des Allemands employés à temps plein souhaiteraient une semaine de quatre jours. Alors qu’en Belgique, depuis fin 2022, les travailleurs qui le veulent peuvent demander à effectuer le même nombre d’heures sur quatre jours au lieu de cinq, en Allemagne, la loi laisse employeurs et employés libres de fixer le temps de travail, en moyenne 39 heures par semaine, jusqu’à 48 heures.
Mais l’enthousiasme de certains est douché par de nombreux patrons et économistes, dont Holger Schäfer, qui estime qu’une réduction du temps de travail «de l’ordre de 20%» aurait un «résultat économique désastreux». Si «limiter les activités improductives et densifier le travail» est encore faisable «dans les activités de bureau», «toutes les possibilités d’augmenter la productivité ou l’efficacité sont déjà épuisées» dans l’industrie, souligne cet expert de l’Institut économique IW de Cologne.
Avec l’aggravation de «la pénurie de main-d’œuvre» liée au départ des baby-boomers à la retraite, réduire le temps de travail entraînera «inévitablement une diminution de la quantité produite de biens et de services», prévient-il. Pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, le directeur de l’institut IW, Michael Hüther, préconise au contraire un allongement de la durée du travail, en lieu et place de ce «rêve irréaliste d’une semaine de quatre jours».