De son enfance, il a gardé le goût de la famille et le don du bonheur. Il exerce son métier, son sacerdoce devrais-je dire, avec l’enthousiasme et l’émerveillement de l’enfant studieux qu’il a été. Toujours vibrant pour cette spécialité en médecine, très pointue, la neurochirurgie qu’il a adoptée et apprivoisée. Avec une rigueur affinée au fil du temps, pour devenir un perfectionniste, en se frottant à l’exercice difficile et périlleux de cette pratique médicale, risquée où le diable se cache dans les détails.
Comment et pourquoi en est-il arrivé là ?? «Là, je me replonge dans mon enfance, dans l’ambiance familiale. Quand j’étais jeune, mon père m’envoyait souvent pour lui acheter le journal. En 1967, j’étais impressionné en lisant un article sur le professeur Barnard et sa célèbre greffe du cœur en Afrique du Sud. Ainsi, on pouvait triturer et soigner un organe aussi noble que le cœur, à l’instar d’ailleurs du cerveau ? Le cœur ou le cerveau ? Quel choix faire si un jour je devrais m’engager dans la chirurgie.
J’ai fini par opter pour le cerveau, l’organe du mystère. En pensant à ma maman et ses migraines épisodiques, je partais du principe que proche de mes parents, je ressentais infiniment leurs douleurs. Surtout, chroniques pour mon père. Qui s’échelonnaient sur des mois, voire des années. Mon souci premier, c’est de vouloir soulager, assister les patients dans une impasse thérapeutique médicamenteuse.
Modestie et discrétion
En exemple, ce sont les malades cancéreux souffrant de douleurs, ou encore des patients souffrant de névralgies du nerf trijumeau ou de la douleur du zona. Le service de neurochirurgie de Mustapha, où il a fait sa formation, se trouve à proximité du Centre Pierre et Marie Curie qui abrite les cancéreux. Leur état l’a aussi interpellé.
Discret, le professeur n’a pas de penchant particulier pour l’ostentatoire. Disons le tout de go, il n’aime pas s’afficher, se recroquevillant dans sa modestie, n’accordant aucune importance aux effets de manche, ni au m’as-tu vu. En vérité, on peut dire qu’il a adopté cette maxime «On doit reconnaître, dans la vie, deux sortes d’hommes, ceux qui veulent être quelqu’un, par les titres et les honneurs, et ceux qui veulent faire quelque chose».
Lui, il a choisi d’être dans cette deuxième catégorie, en optant pour la générosité, le don de soi et son attachement d’être au service d’autrui. Peut-être, s’inspire-t-il de cette formule de Saint Exupéry «Le plus beau métier des hommes, c’est d’unir les hommes».
Ce futur professeur a fait ses classes au célèbre lycée Duverier à Blida, son terreau et sa ville natale, et Alger où son père Hassan était cadre supérieur au ministère de l’Habitat et de la Construction.
De Blida, la ville des Roses, sa ville, il en garde une nostalgie mitigée entre le passé heureux et insouciant et un présent, plutôt morose, incarné par l’équipe de foot locale, la grande USMB, qui brillait de mille feux avec ses Zahzah, Begga, Ousser, Mazouza, Guerrache, Kritli, Sellami puis Benturki, Akli Nacereddine, les frères Zouani, Allili, et qui mobilisait des milliers de supporters par son jeu chatoyant, bien en place dans le hit-parade footballistique national et qui est tombée bien bas dans la hiérarchie sportive.
Souvenirs souvenirs !! En juin 1968, Benaïssa obtient son bac maths au lycée El Idrissi. Polytech était la trajectoire toute désignée qui se profilait, mais le destin parfois curieux en a décidé autrement. «Mon père Hassan souffrait d’un mal au niveau de la jambe à cause des séquelles d’une fracture qu’il a trainées jusqu’à son décès. Ah si un de ses enfants pouvait étudier la médecine et le soulager. Jeune, j’y ai pensé et ça a influé sur mon choix. Plus tard, mon père, directeur de l’urbanisme au ministère, m’avait suggéré des études d’architecture au Canada qui, à l’époque, offrait des bourses. Après réflexion et le moment de vérité venu, mon choix était fait.
Ce sera la médecine à la Fac centrale, auprès du professeur Abdelmoumene, physiologue, neurochirurgien de renom, directeur adjoint de l’OMS. Quand je suis parti à Lyon pour une sous-spécialité, le prof qui m’a accueilli m’a posé une première question. Est-ce que vous connaissez M. Abdelmoumene ? C’est dire la grande réputation dont jouissait notre compatriote sur la scène internationale et qui était aussi membre de Editorial Bord International Association on Study of Pain où ses contributions scientifiques et ses travaux de recherche étaient appréciés, surtout sur la douleur. La preuve que c’était un poids lourd pas seulement à Alger qui, notons-le, possédait la 2e faculté de France après Montpellier.
Et qu’au début du siècle dernier, l’anatomiste algérois Trollard était de renommée mondiale, puisqu’au cours des dissections anatomiques sur cadavres, il a découvert une veine très fine au niveau du cerveau, sur laquelle il a travaillé et qui porte son nom dans tous les livres d’anatomie de par le monde, le scialitique. Les lumières du plafonnier au bloc opératoire ont été mises au point du temps de Trollard aussi à la Faculté d’Alger, qui était vraiment une référence.
Une formation studieuse, sans accrocs
Sa formation, Benaïssa l’a faite dans les hôpitaux de Mustapha, Beni Messous, El Kettar et Parnet. En 1979, il est maître-assistant après une spécialité en neurochirurgie auprès du pionnier de cette spécialité, en l’occurrence le professeur Abada. En 1985, Benaïssa est prof agrégé après sa thèse consacrée à l’apport actuel de la neurochirurgie dans le traitement de la douleur chronique. En 1989, il est professeur chef de service à l’hôpital Salim Zemirli d’El Harrach jusqu’en 2017.
Il y restera deux autres années sans être chef de service, pour prendre sa retraite en 2019. Au total, une carrière hospitalo-universitaire de 44 ans ! Benaïssa se souvient que le premier malade opéré, dans le monde, de la maladie de Parkinson en 1993 l’a été par le professeur Benabid à Grenoble. 13 ans après, en 2006, une intervention identique a été réalisée à l’hôpital Zemirli avec succès. «On a mis en place des électrodes de stimulateurs dans des noyaux millimétriques dans le cerveau. On était fiers de notre œuvre.» Faisant le bilan de son parcours, notre professeur dit ne rien regretter. «Le seul côté négatif, c’est la déception quand vous n’avez pas le résultat escompté, à savoir des complications postopératoires ou un décès.
En revanche, nous sommes heureux quand nous voyons le visage de nos patients s’illuminer au réveil de l’opération, débarrassés de leurs pathologies ou de leurs handicaps. Ils nous remercient : C’est comme si nous sommes nés aujourd’hui, se plaisent-ils à dire. Ils ne tremblent plus et n’ont plus de douleurs. En vivant ces séquences, on ne peut s’exprimer : on a la gorge nouée et les larmes aux yeux. Cela fait chaud au cœur et ça n’a pas de prix.»
Le professeur souligne, non sans fierté, les récentes avancées technologiques qui viennent soulager la médecine algérienne, à travers les Brain Suite, salles d’interventions ultra équipées, IRM, robot avec neuronavigation. La radiochirurgie, c’est une radiothérapie focalisée sur des processus tumoraux focalisés profondément dans le cerveau de dimensions inférieures à 30 mm.
Il y a aussi le laser interstitiel et les ultrasons focalisés, couplés à l’IRM. La radiochirurgie est imminente à l’hôpital Frantz Fanon de Blida. Ces nouveautés technologiques nous embarquent dans le wagon de la modernité et de l’excellence, pour des performances assurées.
Dysfonctionnements à l’hôpital et à l’Université
L’effort que doit faire l’Etat, c’est d’améliorer les conditions d’exercer pour les médecins et les personnels hospitaliers. D’un autre côté, l’effort que chacun de nous doit faire, c’est de reconnaître ce qui a été fait pour l’instruction et la formation de chacun et de tous. Il y a sûrement des dysfonctionnements à l’hôpital et à l’Université. Chez nous, on se focalise sur les effets et rarement sur les causes. Il y a une pléthore d’étudiants en médecine, mais en inadéquation avec les débouchés. Ne doit-on pas former en fonction des besoins ? Le déséquilibre aboutit à des situations préjudiciables à l’université, voire à la société. Y a-t-on pensé au départ ?
A mon sens, il faut absolument revenir à la planification rigoureuse et bien pensée. Au lendemain de l’indépendance, un secrétariat d’Etat à la Planification siégeait au gouvernement et ses résultats étaient probants, malgré la maigreur des capacités financières et la précarité des structures. Aujourd’hui, on dit que le secteur de la santé est malade. Il faut renouer la confiance entre le patient et le personnel soignant.
Entre le personnel soignant et l’administration locale. Confiance entre l’administration locale et l’administration centrale. Pour cela, il faut que chacun y mette du sien, soit exempt de tout reproche et de toute critique, à l’exception évidemment du patient qui se trouve le plus souvent pris en otage. La morale et l’éthique doivent absolument prévaloir. Car ne dit-on pas que «l’éthique est l’esthétique du dedans, mais pas du dehors» ou encore cette sentence de Tolstoï : «Ressentir sa douleur, c’est être vivant et ressentir la douleur des autres, c’est être un être humain».
S’adressant aux jeunes ou aux futurs médecins, le professeur sans jouer au moralisateur pose une question pleine de simplicité. Avez-vous fait le bon choix ? Si oui, il faut s’armer de curiosité scientifique, de patience et de persévérance, sachant que le goût du succès n’est à son maximum que lorsqu’il y a une succession d’échecs. C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Pour lui, malgré quelques vents contraires, il faut rester optimiste. La réalité, il faut la voir en face, apporter les correctifs qu’il faut au moment qu’il faut. L’horizon ne peut s’éclaircir qu’avec un effort consenti par tous.
BIO EXPRESS
Abdennebi Benaïssa est né en 1950 à Blida où il a fait l’école primaire Pierre Casenave de 1956 à 1961. En 1962, il est au lycée Duverier de la même ville. Après la nomination de son père cadre supérieur au ministère de l’Habitat et de la Construction, la famille déménage à Alger où elle élit domicile au boulevard des Martyrs.
Il fait le lycée Gautier puis le lycée El Idrissi. Il passe le bac maths en 1968 et l’obtient, lui ouvrant les portes de la Fac centrale et les cours dispensés à l’amphi Ampère par les profs Slimane Taleb, Brerhi et Charef Zidane, alors qu’au laboratoire d’anatomie professaient Slimane Chitour, Issaad Hanafi et Lehtihet. Son exercice le plus long à l’hôpital Salim Zemirli entamé en 1989 jusqu’à sa retraite en 2019. Il a publié en 2021 «Les tumeurs intracraniennes, du pronostic au traitement», préfacé par le professeur Marc Sindou. Il y a 4 mois, en 2024, il a publié un livre intitulé «Zoom sur la neurochirurgie fonctionnelle».
Par ailleurs, il a plusieurs contributions dans des revues scientifiques mondiales. A l’hôpital Zmirli, organisation de 3 conférences internationales, avec la présence du président de la Fédération mondiale de neurochirurgie fonctionnelle, le professeur Krauss, aux côtés de son confrère Mertens. Les interventions en visioconférences étaient en direct à travers les pays d’Afrique et du Moyen-Orient. -H. T.