Abdelkader Bengrina. Président du mouvement Al Bina : «Les menaces sécuritaires à nos frontières nous concernent tous»

19/08/2023 mis à jour: 02:28
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"Notre pays a pris acte des menaces qui pèsent sur sa sécurité et stabilité et agit en conséquence, avec l’appui de l’Armée nationale et populaire qui a renforcé de manière significative ses capacités de défense. - Photo : H. Lyès

«Je ne demande pas aux gens de se joindre à l’initiative pour protéger le système, il est capable de se protéger lui-même. Je leur demande de protéger l’Etat, le peuple, la paix et la stabilité (…) Nous sommes tous concernés par la sécurité». C’est le slogan que Abdelkader Bengrina a utilisé pour défendre l’initiative «du renforcement de la cohésion nationale» qu’il a lancée. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il revient sur le regroupement, aujourd’hui, des signataires de cette initiative, mais aussi sur les crises au Niger et en Libye ainsi que sur «les pressions exercées» sur la Tunisie par les Emirats, «une entité», dit-il, qui «multiplie ses ingérences sous diverses couvertures, aides humanitaires, soutiens financiers et d’investissements pour négocier une normalisation avec l’entité sioniste».

  • Aujourd’hui aura lieu à Alger un regroupement de ceux qui adhèrent à votre initiative de «renforcement de la cohésion nationale». Les partis absents se comptent parmi la mouvance islamiste à laquelle vous appartenez mais aussi parmi le camp démocratique. Les présents sont un patchwork fait de syndicats, d’associations, de partis et de personnalités. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre initiative ?

Plus de 1500 participants prendront part à ce regroupement. L’initiative est soutenue par toutes les mouvances, à savoir les oulema, les membres de zouias, des politiciens. Plus de 97 à 98% de la masse électorale au Parlement, au Sénat et dans les conseils locaux y participent également avec leurs partis représentatifs.

Nous comptons aussi des journalistes, des artistes, des chanteurs, des comédiens, des écrivains, l’Organisation des moudjahidine, l’Organisation des enfants des martyrs, 120 syndicats et des centaines d’associations nationales (de jeunesse, du patronat…). Toute la diversité qui existe en Algérie participe à cette initiative.

C’est vrai que les partis islamistes n’y sont pas, mais des personnalités et des députés de cette mouvance y sont représentés à titre personnel. Du camp démocratique, seul le RCD et le FFS en tant que partis n’y sont pas. Mais, il y a toute la classe politique et l’écrasante majorité des syndicats, à commencer par l’UGTA.

Les grandes personnalités du Sud, des Touareg et des grands arouch qui ont des ramifications au Niger, au Mali et en Libye y ont également adhéré. Je ne demande pas aux gens de se joindre à l’initiative pour protéger le système. Il est capable de se protéger par lui-même.

Je leur demande de protéger l’Etat, le peuple, la paix et la stabilité de l’Etat algérien. Nous sommes tous concernés par la sécurité. Les menaces sécuritaires à nos frontières nous concernent tous. On veut seulement être ensemble pour dire au monde que nous sommes un seul bloc, et que personne ne peut nous séparer. Nous nous unissons parce que nous ressentons le danger.

Il n’y a aucun intérêt à part celui de protéger notre pays à travers ce message fort d’unité que nous lancerons à la communauté internationale. Ils ont pu détruire l’Irak, parce qu’ils ont trouvé une partie de l’élite irakienne sur laquelle s’appuyer.

La même chose avec la Syrie et la Libye. Nous avons décidé de nous réunir à Alger et de dire que nous tous, avec nos différences et nos contradictions, nous pouvons nous mettre d’accord pour résoudre nos problèmes et que nous ne permettrons à aucun étranger de nous organiser une rencontre, comme celle de Sant’Egidio à Rome, durant les années 90 ou toute autre rencontre pour créer une brèche dans nos rangs. C’est cela l’idée de cette Initiative.

Comment expliquer la crise en Libye juste après les évènements au Niger ? Les visites intensives à Tunis de pays bien connus, est-ce innocent ? Personne ne peut croire que ce que nous vivons actuellement est le fruit d’un pur hasard et ni nous convaincre que ce que vit actuellement l’Algérie est normal.

Le Maroc transgresse l’accord de cessez-le-feu avec le Sahara occidental et plonge la région dans un état de guerre. Il conclut des accords militaires, sécuritaires, de renseignements et de défense avec l’entité sioniste, et on veut me faire croire que c’est normal. On ne peut me convaincre que le coup d’Etat militaire au Niger, vu ce timing, soit un hasard.

Au même moment, des opérations armées sont menées en Libye, des visites d’entités arabes bien connues, sans que je ne les nomme, se sont rendues à Tunis, sachant les conditions dans lesquelles la Tunisie vit actuellement. Est-ce le fait du hasard ?

  • Vous avez cité Les Emirats arabes unis comme pays qui exerce «une horrible pression» sur la Tunisie, pour normaliser sa relation avec Israël. Comment un Etat qui a peu d’influence sur la Tunisie peut-il faire pression sur celle-ci ?

Les gens savent de qui je parle et l’élite encore plus. Ce sont ces mêmes entités qui sont allées ouvrir des représentations diplomatiques dans les territoires sahraouis occupés par le Maroc. Il est connu qu’un consulat est établi pour gérer les affaires des ressortissants du pays. Quels ressortissants possèdent ce pays au Sahara occidental pour aller ouvrir une représentation là-bas ?

Quels ressortissants de pays pauvres arabes et africains vivent dans ce pays pour que cette entité arabe leur finance l’ouverture de consulats dans les territoires sahraouis occupés ? Ne me dites pas que c’est un hasard. Je sais qu’à travers ces agissements, on veut encercler l’Algérie.

Notre initiative est là pour dire à ces gens : si vous avez trouvé une partie de Libyens, de Yéménites, d’Irakiens et de Syriens que vous avez payés pour porter les armes contre leurs nations respectives, vous ne trouverez aucun Algérien qui se laissera acheter pour se retourner contre sa nation, ou qui portera les armes contre son pays ou contre un de ses concitoyens.

  • Ne pensez-vous pas que cet Etat est mandaté par un pays tiers ?

C’est pour cette raison que nous les avons appelées des entités fonctionnelles. Elles agissent pour le compte d’autres. Sinon, pourquoi un pays qui n’a ni intérêt, ni frontière, ni sécurité commune vient faire pression sur la Tunisie ?

Lorsqu’on fait partie du Maghreb arabe, cela suppose que la sécurité dans cette région est commune : la sécurité de l’Algérie et de la Libye est la même, la sécurité de la Tunisie et de l’Algérie est la même. Si demain, l’Algérie venait à être ciblée, la sécurité de la Tunisie, du Niger, du Mali, de la Libye sera également impactée, et cela est le cas à chaque fois qu’un des pays frontaliers est touché.

Notre relation avec la Tunisie est stratégique et il faut qu’elle le demeure. C’est une relation de sang commun depuis la guerre de libération, de positions harmonieuses dans la région et dans le monde, une relation fraternelle et de sécurité.

Nous n’interférons dans aucune décision que prennent les Tunisiens sur le choix de leur Président ou Parlement, c’est une affaire interne qui ne nous regarde pas, et nous traitons avec l’autorité légitime qui est en place. Autorité que représentent le président Qais Saeed et le Parlement actuel. Nous ne nous mêlons d’aucune de leurs affaires. Mais nous sommes sûrs que n’importe quelle crise en Tunisie aura un impact sur nous et vice versa. Nous sommes soucieux de leur sécurité car elle fait partie de la nôtre.

Pour revenir aux pressions, il faut savoir que cet Etat satellite, sous la coupe et influence d’entités et de pays plus puissants, a toujours été impliqué dans des conflits ou des troubles que connaissent certains pays de la région.

En témoigne son implication en Libye, en Somalie, en Syrie et plus récemment au Soudan où il est engagé financièrement et militairement. Ses implications dans ces pays n’ont engendré que catastrophes et instabilité et n’ont eu comme conséquences que déstabilisation, guerres internes et pauvreté.

Il a toujours cherché à cultiver les crises politiques et à semer les graines de conflits internes et en mettant à mal les fondements de la stabilité, de la coexistence et de la souveraineté, et à saper la démocratie naissante et toute lueur d’un essor économique, tantôt avec l’outil militaire et tantôt avec l’outil financier.

La Tunisie, ce pays voisin frère, est confrontée à des difficultés économiques. Elle traverse un moment difficile qui est très pénible pour le peuple tunisien. L’Etat parasite, dont je parlais, qui, depuis la chute du régime de Ben Ali, en janvier 2011, est devenu ouvertement hostile aux Tunisiens, essaie de profiter de cette situation. Il multiplie ses ingérences sous diverses couvertures, aides humanitaires, soutiens financiers et d’investissements pour négocier une normalisation avec l’entité sioniste.

Et les récentes visites d’un haut fonctionnaire d’un Etat du Golfe dans ce pays a renforcé ma conviction que les choses pourraient s’accélérer et qu’on risque d’entendre, dans un temps proche, même tout proche, que la Tunisie va normaliser ses relations avec l’entité sioniste.

C’est la raison pour laquelle, j’ai lancé mon appel à rester très vigilants face à ces tentatives. Il est certain que notre Etat garde les yeux focalisés sur ce qui se passe dans son voisinage. Il ne permettra jamais que cette normalisation se fasse et, auquel cas, s’il y a risque, il saura l’en empêcher.

  • La Libye aussi vit des moments tragiques avec des accrochages en plein centre de Tripoli, depuis plus d’une semaine et une situation extrêmement tendue au Sud. A votre avis, quelles sont les parties qui ont intérêt à maintenir la Libye dans une grave crise sécuritaire ?

Les violents affrontements qui ont opposé des groupes armés dans la capitale libyenne et qui ont eu un impact certain sur les conditions sécuritaires qui prévalent en Libye ne peuvent être perçus comme un simple fait de hasard.

Leur coïncidence avec les séries d’évènements qui secouent la région géostratégique qui ceinturent l’Algérie, notamment la récente crise au Niger et tentatives de déstabilisation au Mali, Tchad, Burkina Faso et les pressions financières exercées sur la Tunisie et les menaces militaires au voisinage immédiat de l’Algérie à l’Ouest, dénotent, de manière à peine voilée, d’une manipulation synchronisée qui vise à mettre à rude épreuve la sécurité de l’Algérie et menace de porter atteinte à sa stabilité et intégrité territoriale.

Notre pays a pris acte des menaces qui pèsent sur sa sécurité et stabilité et agit en conséquence, avec l’appui de l’Armée nationale et populaire qui a renforcé de manière significative ses capacités de défense. Ses composantes sont prêtes à faire face aux éventuels défis et dangers et sont aptes à répondre à toute menace susceptible de porter atteinte à la sécurité et à l’intégrité de notre pays.

Pour notre part, partis politiques, organisations et personnalités, syndicats, composantes de la société civile et élites, nous venons confirmer avec notre «Initiative nationale visant à renforcer la cohésion et garantir l’avenir de l’Algérie» notre volonté d’être un rempart face à l’amplification des risques qui entourent notre cher pays, sur le plan régional et international. Des risques qui menacent sa sécurité, sa stabilité, sa souveraineté et ciblent ses institutions, son unité, son territoire et la cohésion de son tissu social.

  • L’option d’une intervention militaire contre le Niger, brandie par la Cédéao et  soutenue par la France, reste toujours pesante malgré l’opposition de nombreux pays dont l’Algérie. Quel est votre avis sur la situation ? Y voyez-vous une menace pour notre pays ?

Premièrement, il faut savoir que 72% de la production d’électricité française est produite par l’uranium nigérien. La France avait pris la décision d’arrêter les centrales nucléaires. La crise de l’Ukraine a cependant poussé les autorités à réactiver 7 centrales qui étaient déjà à l’arrêt.

Une bonne partie de l’électricité Allemande est fournie par la France en raison notamment des conventions d’après guerre qui limitent le développement nucléaire dans ce pays. La crise au Niger, a eu un impact considérable sur les intérêts de la France.

Deuxièmement, la présence Chinoise dans les anciennes colonies françaises dérange les Français, de même que la présence Russe à travers les forces de Vagner. La majeure partie des richesses de la France et sa profondeur stratégique se trouvent dans ses anciennes colonies.

Le capitalisme occidental consiste à fournir le bien être à ses concitoyens en pillant les ressources naturelles des colonies, est compromis. Si la France perd la main mise sur ses colonies, elle ne pourra pas assurer le bien être à son peuple. Elle va tout faire pour créer une crise et s’engager dans une intervention militaire.

Ce qui la préoccupe ce n’est pas la paix et la stabilité au Niger mais la préservation des mines d’uranium. Il faut cependant rappeler que le coup d’état au Niger, est intervenu dans un contexte sécuritaire des plus complexes avec une série de putschs qui ont affecté ces dernières années, certains pays du Sahel.

Nous sommes contre les coups d’état, mais des questions restent posées : combien de coups d’état ont eu lieu en Afrique sans que la France ne demande une intervention militaire ? Pourquoi ajouter une crise à celles qui entourent l’Algérie ?

Ces crises ont lieu dans des pays, avec lesquels l’Algérie partage des milliers de kilomètres de frontières. Elles présentent une sérieuse menace pour la sécurité de notre pays, en sus de son impact des plus négatifs sur le plan social et économique.

L'Algérie qui a condamné avec force le coup d’Etat au Niger et réfute toute idée d’intervention militaire, n'a eu de cesse de plaider fermement pour une solution pacifique et diplomatique à la crise actuelle et d'asseoir les principes de dialogue politique inclusif entre toutes les parties prenantes au Niger, loin de toute ingérence étrangère.

Une intervention militaire constituerait une menace directe pour l’Algérie. De plus, elle risquerait d’embraser tout le Sahel. Ainsi et devant ce risque grandissant, nous nous adressons à toutes les forces politiques et forces vives de notre nation pour se mobiliser pour notre pays si cher à tous et de ce fait adhérer à notre initiative. L’objectif final est de faire face aux menaces pesantes sur la sécurité, la stabilité, et souveraineté de notre pays. 

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