63e Anniversaire de l’assassinat du Chahid Aïssat Idir : Parcours d’un homme d’exception (2e partie)

30/08/2022 mis à jour: 23:39
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La fin de la guerre mondiale, les manifestations du 1er mai et du 8 mai 1945 en Algérie mettent un terme à une situation de plus en plus insupportable pour les Européens d’Algérie, car le renforcement des organisations nationalistes n’augurait pas pour eux, qui rejetaient tout changement, des lendemains qui chantent. La capitulation de l’Allemagne est en vue lorsque les travailleurs sont autorisés, pour la première fois depuis 1939, à célébrer la Fête du travail.
 

La participation, à travers les grandes villes d’Algérie, des travailleurs organisés au sein de la CGT, mais ce qui est nouveau des militants des AML, encadrés par ceux du PPA pour éviter tout dérapage, sera l’occasion choisie par l’ordre colonialiste pour avertir que la récréation avait pris fin maintenant que les troupes alliées n’étaient plus là pour se mêler de ce qui ne les regardait pas.
 

La répression violente, déclenchée lors des manifestations du 1er mai, sera sanglante à partir du 8 mai 1945. Plus de 45 000 morts chez les Algériens, un millier peut-être chez les Européens. Cependant, les nationalistes reprennent le-dessus et, progressivement, les Algériens pansent les multiples blessures qui restent vivaces aujourd’hui encore.
 

Aïssat Idir, et ceux qui seront ses compagnons, jusqu’à ce que la mort les sépare, enregistre avec douleur le prix payé pour une simple participation à des manifestations et en tirent la leçon, car l’ensemble des Européens, à peu de chose près, adhérant ou dirigeants des organisations syndicales et politiques se retrouvent dans la vague raciste qui déferle sur l’Algérie, rappelant lugubrement les premières années de la conquête.
 

Ces événements, révélateurs à plus d’un titre, mettent en évidence la nécessité impérative de préparer très sérieusement l’Algérie au combat libérateur et en mesurer le prix. Ce sera la tâche des politiques. Quant à ceux qui ajoutent à leur activité, au sein des partis politiques, une présence active dans les syndicats, il devient urgent de mettre en place les fondations d’un mouvement ouvrier algérien indépendant de toute tutelle française.
 

Le premier congrès du PPA, qui se réunit en 1947, donnera naissance au MTLD et à l’Organisation Spéciale l’OS (Organisation Secrète), et met en place la cellule chargée de créer, dans les meilleurs délais possibles, une Centrale ouvrière indépendante de toute tutelle. Qui mieux que Aïssat Idir pouvait en prendre les rênes ? Sa tâche sera facilitée lorsqu’il s’agira de communiquer avec l’ensemble des militants travailleurs affiliés au parti. C’est par ce canal que le contact sera toujours maintenu.
 

Dans la capitale et les agglomérations les plus proches, il peut compter sur le concours de camarades qui occupent des responsabilités assez importantes dans les rouages de la CGT. 
 

Ils sont la source d’informations précieuses à l’élaboration des articles, que rédigera Aïssat Idir, pour la rubrique qui lui est réservée à l’hebdomadaire L’Algérie Libre du MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques). C’est ainsi que se constituera la Commission centrale des affaires sociales et syndicales où siégeront : Aïssat Idir, Rabah Djermane, Mohand Ramdani, Benaïssa Attalah, Bachir Bachiri de Blida, Ali Bensmaïl, Ahmed Zitouni…
 

Le combat que mènent les syndicalistes nationalistes au sein de la CGT ont un côté positif. Leur action parvient à modifier la politique inspirée par les responsables droitiers. Mais les crises successives que connaît le PPA/MTLD ne favorisent pas l’accélération de la démarche. Créer une Centrale nécessite beaucoup de moyens financiers au départ, des locaux, des permanents à la charge de l’organisation syndicale, c’est pourquoi, tout ce qui affaiblissait ce parti retardait inexorablement sa réalisation. Aïssat Idir et ceux qui collaborent avec lui le savent, le comprennent.
 

La saisie de la presse, les amendes qui sont infligées, les perquisitions, le harcèlement conduisent à consacrer les finances du parti, à payer les avocats qui défendent les militants, à secourir leurs familles dans le besoin.
Enfin, un possible éclairci à l’horizon, la tenue du 2e congrès du MTLD. Ses assises se proposent de préparer et de faire adopter un programme politique, économique et social, capable de sortir le mouvement de son enlisement. 
Pour sa réussite, il fait appel à un rang nouveau, à des intellectuels, dont l’absence est cruellement ressentie dans un parti qui compte vingt mille militants. Aïssat Idir, Rabah Djermane et Boualem Bourouiba assiste à sa tenue.
 

Le consensus réalisé au cours de son déroulement ne tarde pas à être remis en question. Lorsque la crise du MTLD abouti à la scission, après les congrès des deux tendances : à Hornu (Belgique) pour les partisans de Messali (juillet 1954), à Alger pour les centralistes, la situation se clarifie lentement. Le parti est divisé par la crise politique qui l’affaiblit. Ce climat, de plus en plus empoisonné, va durer jusqu’au 31 octobre 1954. 
 

Ce premier novembre, c’est la surprise, l’étonnement chez la plupart des militants. Les arrestations se multiplient. Les autorités françaises ne savent pas d’où vient l’ordre de déclencher ces opérations. Ce sera pour Aïssat Idir et de nombreux responsables, quel que soit leur niveau, la désorientation totale.
 

L’engagement au FLN s’opère individuellement après le 1er novembre 1954. L’option n’est ni collective ni décidée par les anciens partis. Boualem Bourouiba nous parle de cette époque : «Nous suivions avec beaucoup d’inquiétude le déroulement de la crise politique au sein parti… Aïssat Idir, Djermane Rabah, Benaïssa Attalah... et plusieurs membres de la commission centrale des affaires syndicales du MTLD resteront partisans du comité central. Cela ne nous empêchera pas de nous retrouver, au siège du parti, malgré la crise qui se confirmera depuis le deuxième congrès en 1953. A partir du mois d’août 1954, les clans se démarqueront nettement.
Cependant, au sein de la commission centrale des affaires sociales et syndicales du MTLD, les relations des militants des deux clans furent amicales. 
 

Après le début de la lutte armée, les instances nationales et régionales du MTLD se disloqueront sous les coups des arrestations et de l’apparition du FLN (Front de Libération National). Aux premiers mois de l’année 1955, il y eu des libérations. Nous reprîmes nos contacts individuellement, d’une façon informelle. Nous retrouvâmes les camarades de la tendance messaliste. 

C’est ainsi que nous apprîmes qu’ils tentaient de remettre en activité l’ex-commission des affaires sociales et syndicales du MTLD, dans le but de lancer le vieux projet d’une centrale autonome nationale. L’initiative nous intrigua, d’autant plus que nous étions en guerre et que la répression ne ménageait aucune tendance. 
 

Les communistes et les syndicalistes cégétistes subirent le même sort. Nous fîmes part du projet à nos responsables politiques du FLN de la zone d’Alger. L’intention des messalistes, qui constituèrent un nouveau parti, le MNA (Mouvement national algérien), dès novembre 1954, distinct du FLN, était de créer une base sociale élargie en organisant les travailleurs et en contrôlant les syndicats.
 

En réalité, ils se proposaient de lutter contre l’influence grandissante du FLN et des syndicats de la CGT. Ceux-ci avaient une nette avance sur les projets des syndicalistes nationalistes. 
 

La majorité des travailleurs algériens militait depuis des décennies dans les rangs de la CGT. Nous estimons, en 1956, qu’il fallait prendre en considération la menace qui s’annonçait sur le secteur des syndicats. Abane Ramdane et Benkheda nous recommandèrent de garder le contact avec les messalistes, de suivre discrètement leurs démarches et de retarder leurs préparatifs. 
 

Nous prîmes part à une visite de la confédération des syndicats libres en Belgique, en décembre 1955. 
Le but recherché fut de sonder cette centrale internationale sur une éventuelle affiliation. Les messalistes avaient également des relations suivies de longue date avec la CGT-Force ouvrière, en France, membre fondateur de la CISL (Confédération Internationale des Syndicats Libres).
 

Notre première rencontre resta sans suite. La CISL préféra tergiverser et s’informer plus amplement sur le déroulement et l’engagement armé algérien. A Paris, nous rencontrâmes des responsables du MNA. Moulay Merbah, membre du comité directeur et trésorier, promit de faire une avance de fonds remboursables. L’évolution de la lutte et surtout la cassure définitive entre le FLN et le MNA, après de multiples tentatives de conciliation tout au long de l’année 1955, ne laissa plus de place à une réconciliation et à l’unité. Une lutte fratricide violente opposa les frontistes aux messalistes».
 

Le contact est repris entre Aïssat Idir, Benaïssa Attalah, Rabah Djermane et Boualem Bourouiba. Les rencontres ont lieu à la sortie des bureaux, où ils sont employés, pour échanger de maigres informations. Restait pour Aïssat Idir et tous ceux qui voulaient bâtir la Centrale de se remettre à l’ouvrage et de préparer les hommes à la tâche. Les moyens humains sont disponibles, le matériel peut être acquis. Les alliances il faudra les conclure avec ceux qui dirigent le FLN.
 

Mais le FLN, organisation structurée à travers le territoire national, n’existait pas, tout du moins pas encore. Pas question non plus d’aller à la bataille, sans le feu vert de ceux à l’origine du 1er novembre 1954.


Au cours de cette période qui précède le 24 février 1956, Aïssat Idir et ses compagnons se retrouvent souvent. 
Les réunions se tiennent à Saint Eugène, chez les parents de Boualem Bourouiba, chez Rabah Djermane au climat de France ou au café El Kamal à Nelson, à Bab El Oued, pour mettre au point un plan de mobilisation de tous les militants nationalistes qui, bientôt, seront à l’origine de la naissance de l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens). 

Le Constantinois, l’Algérois et l’Oranie, aucune région ne doit rester en dehors de l’organisation syndicale. Le contact est maintenu avec Benyoucef Benkheda, lequel s’est lui-même mis au service de Abane Ramdane.
La nouvelle année vient d’être entamée. Est-ce que 1956 sera la bonne pour l’Algérie, c’était encore du domaine du possible. D’autant que les français avaient envoyé à leur Assemblée nationale une majorité favorable à la conclusion de la paix en Algérie. Mais rapidement, sous l’action des activistes français, la situation notamment à Alger se dégrade.  (A suivre)
 

 

Par Abdelmadjid Azzi

Cadre à la retraite de l’UGTA

 

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