Par Hanafi Si Larbi
Universitaire
«Etre fidèle à ceux qui sont morts, ce n’est pas s’enfermer dans la douleur… C’est vivre comme ils auraient vécu et transmettre leur visage, leur voix, leur message, aux autres.» Martin Gray
Le 31 mars 1961, une «dépêche» de l’AFP annonce que «Camille Blanc, maire d’Evian, est mort des suites de ses blessures. Deux puissantes charges de plastic ont éclaté à 2h35, à 15 secondes d’intervalle, dans l’impasse séparant la mairie de l’hôtel Beau Rivage, propriété et résidence de M. Blanc».
Camille Blanc, «L’homme des congrès», comme le surnommaient affectueusement ses concitoyens qui lui avaient accordé leur confiance en 1945, puis réélu en 1947, 1953 et 1959, vient d’être assassiné ! Résistant durant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), arrêté et torturé par les forces d’occupation nazie, il ne pouvait que comprendre ce que subissaient les Algériens lui, le pacifiste convaincu qui œuvrait pour la paix en Algérie.
Depuis qu’il avait proposé sa ville pour accueillir les négociations de cessez-le-feu en Algérie, le climat à Evian ne cessait d’être tendu. Camille Blanc devient l’ennemi juré des extrémistes de l’Algérie française. Malgré un déluge de lettres anonymes et de menaces de mort, il refuse toute protection policière. Pourtant…
31 mars 1961 : une nuit dramatique et sanglante
Dans la nuit du 31 mars, vers 2h30, un homme dépose deux bombes au niveau de l’hôtel Beau-Rivage, rue de la Source-de-Clermont, domicile familial du maire. Une première charge de plastic est placée au niveau de la voiture du maire, stationnée dans la cour entre son domicile et la mairie. Une seconde charge est déposée sur le rebord de la fenêtre de la chambre de l’élu. A 2h35, la voiture de Camille Blanc stationnée dans la cour explose.
Le maire se réveille et en ouvrant la fenêtre de sa chambre, la seconde charge explose. Blessé au cou et atteint gravement à la tête, il est transporté à l’hôpital. Le matin du 31 mars 1961, le monde entier apprend sa mort à 49 ans. L’attentat est revendiqué par l’OAS. Un certain Paul Bianchi, membre du mouvement Jeune nation, en est le commanditaire. L’exécutant, c’est Pierre Fenoglio spécialement venu d’Alger pour la sale besogne.
Sur place, il est assisté par un employé du Trésor à Evian, un certain Guillaumat chez qui les deux charges de plastic ont été confectionnées. L’enquête semble interminable et obscure. Il fallait attendre juin 1966 pour que Fenoglio et ses complices soient finalement arrêtés. Ils seront jugés, puis, comble de l’ironie, amnistiés un peu plus tard par le général de Gaulle !
De l’attentat au cessez-le-feu
La tragique disparation de Camille Blanc n’a pas remis pas en cause la tenue des négociations pour le cessez-le-feu en Algérie, n’en déplaise aux terroristes de l’OAS. Prévues le 4 avril 1961, elles sont reportées et les mesures de sécurités renforcées. Le 20 mai 1961, les délégations française et algérienne arrivent à Évian.
La première rencontre a lieu à l’ancien hôtel du Parc. Le 10 juin, les discussions sont arrêtées, avant de reprendre au château de Lugrin, le 20 juillet. Les pourparlers sont à nouveau suspendus le 28 juillet. En février 1962, reprise des négociations aux Rousses, dans le Jura. Le 7 mars 1962, les délégations sont de retour à Evian.
Le 18 mars 1962, un accord définitif est trouvé entre les deux parties. Les Accords d’Evian sont signés et mettent fin à la guerre au bilan humain encore sujet à des zones d’ombre. Le lendemain, le 19 mars 1962, à midi, c’est le cessez-le-feu. L’Algérie retrouve sa souveraineté pleine et entière. La ville d’Evian acquiert sa place dans les livres d’histoire, et son héros, Camille Blanc, décédé un an plus tôt, gagne son combat pour la paix.
Épilogue
Il y a 63 ans se terminait une page sombre et sanglante de notre histoire : la fin de la guerre d’Algérie que le pouvoir colonial d’alors appelait : «Opération de maintien de l’ordre.» Aujourd’hui, en 2025, ce pan tragique et ensanglanté de l’histoire semble intervenir dans le débat politique des prochaines élections de l’autre côté de la Méditerranée.
Plusieurs futurs candidates et candidats à la magistrature suprême ne se gênent pas à bichonner les racistes dans le sens du poil et à souffler sur les braises de la haine. Cette onde de haine et de racisme conjuguée à l’esprit de vengeance, même si elle semble minoritaire au sein de la population française, elle est abreuvée en boucle par des médias généreusement financés par les nostalgiques de l’Algérie française.
Ces mécanismes xénophobes semblent alimentés par la même classe politique qui, pour rappel, durant la Seconde Guerre mondiale, était antisémite après s’être ralliée à la collaboration et au maréchal Pétain pour devenir les fascistes français. «Aujourd’hui, l’extrême droite a remplacé la haine du juif par celle du musulman ou du migrant extra-européen», comme le note Michel Eltchaninoff, philosophe et journaliste français, et j’ajouterai, singulièrement, celle de l’Algérien. H. S. L.
Sources :
Le Monde 10 janvier 2025 Par Emilie Duhamel et Mélody Da Fonseca
Le Dauphiné libéré 17 mars 2022
Site de la ville d’Evian-les-Bains [archives]
Le Souvenir français -Délégation de la Haute-Savoie
Le Monde 21 juin 1967
Photos de Camille Blanc