14e Festival national du théâtre professionnel de Sidi Bel Abbès : Kafka convoqué pour dénuder la bureaucratie et les abus

23/04/2024 mis à jour: 03:47
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La pièce El Moutahem a su capter l’intérêt du public

La pièce El Moutahem (L’accusé), inspirée du Procès du dramaturge austro-hongrois, Franz Kafka, a été présentée, le 20 avril, à la faveur de la compétition du 14e Festival national du théâtre universitaire qui se déroule à Sidi Bel Abbès. 

Produite par la troupe El khachaba el dahabia (La scène d’or) de l’université de Sidi Bel Abbès et mise en scène par Hicham Sekoum, la pièce est adaptée librement par Ghalem Bouadjadj du roman de Franz Kafka, paru en 1925, d’après une idée de Sofiane Halouche. Dans le roman, Joseph K. est arrêté un matin sans connaître les raisons avant de subir un procès en tentant de défendre son innocence. 

Dans El moutahem, un homme reçoit la visite d’une employée d’El idara el âama (l’administration générale) qui entend lui imposer un comportement et des règles. «Mais, je suis chez moi, je fais ce que je veux», crie-t-il. La visiteuse lui répond qu’il n’a plus cette liberté et qu’il doit suivre les ordres. S’engage alors un dialogue loufoque entre les deux personnages. L’employée annonce que El moufatich el âam (l’inspecteur général) va bientôt arriver à la maison. «Vous devriez vous changer, mettre un costume pour accueillir mon chef», dit-elle. 

L’homme, qui porte un pyjama, proteste mais s’exécute. La maison devient alors «un territoire» où tout le monde débarque, le directeur, un homme avec un gros ventre habillé en costume demi-manches, un habit symbole du «parfait bureaucrate» algérien, et la secrétaire, avec ses manières de femme voulant séduire autant le directeur que le propriétaire de la maison. 


Au milieu, l’inspecteur général, qui noie son spleen dans la boisson, déballe tous ses tourments et ses frustrations devant le groupe, veut imposer ses choix, manipulement... Le propriétaire, qui s’est habitué à servir du café au groupe, se métamorphose en barbu, utilisant la religion juste comme un couvre-chef pour atteindre ses buts et combler ses désirs. Il séduit la secrétaire et tend d’amadouer le directeur pour se venger de l’inspecteur général. Le plus drôle est qu’aucun de ces fonctionnaires ne sait réellement pourquoi il est venu dans cette maison !
 

Une comédie satirique

L’homme se retrouve ensuite dans un drôle de procès où le juge est complètement sous le charme de la secrétaire, qui a pris la robe de la procureure de la République, décidé à faire condamner le propriétaire de la maison en citant des articles d’une loi incertaine. Et l’employée, qui voulait prendre un bakchiche, est devenue avocate, clamant l’innocence de son mandant, alors que le directeur, partie civile, voulait l’enfoncer encore plus sans que l’homme ne sache de quoi il était accusé et pourquoi on le malmenait ainsi. La pièce, une comédie satirique aux allures burlesques, porte une dénonciation subtile des injustices, de la bureaucratie, de l’incompétence, de l’exploitation du sentiment religieux, du harcèlement sexuel, de l’extrémisme, des abus...
 

Par extension, la pièce invite à réfléchir, même si les mots sont parfois crus, sur la situation récente dans les pays arabes où des puissances extérieures sont venues s’imposer pour détourner et piller les richesses et les patrimoines en créant des troubles, des divisions, des haines et des problèmes. D’où cette idée d’une maison occupée par des intrus sans raison apparente. Les dialogues de la pièce sont osés et le jeu des comédiens vivaces. Le contenu audacieux rappelle dans certains passages le théâtre politique progressiste du dramaturge allemand, Erwin Piscator. Un théâtre anti-fataliste proche des couches populaires avec un langage parfois âpre. 
 

«J’ai été attiré par le caractère comique du texte. Je me retrouve dans la comédie. J’ai proposé à Ghalem Bouadjadj d’introduire des changements dans le texte sans s’approfondir. J’ai travaillé avec les étudiants qui étaient dans l’atelier de l’association El khachaba el dhahabia de la faculté de technologie de l’université Djillali Liabes de Sidi Bel Abbès. Ces étudiants avaient été formés en laboratoire avec Ghalem Bouadjadj sur la préparation du comédien pour la tragédie. Il fallait que j’amène ces étudiants vers le jeu de comédie. Je leur ai laissé un peu de liberté pour qu’ils fassent des recherches sur leur personnage», a souligné Hicham Sekoum.

 Un riche débat a suivi la présentation de la pièce El moutahem avec des universitaires et des praticiens du quatrième art au niveau du Théâtre régional de Sidi Bel Abbès. Certains ont évoqué «l’interprétation synchronisée» et «convaincante» des six comédiens : Kenza Saâdi, Abdelkader Boukhari, Aya Medad, Abdelkader Ferkat Zazoue, Aïssa Ouafi et Zakaria Loulad. 

D’autres ont conseillé au metteur en scène de revoir la scénographie (conçue par Abdelkader Mihaoui) pour qu’elle soit plus dynamique, plus adaptée au jeu scénique. «Le public s’est accroché au spectacle jusqu’à la fin et il l’a beaucoup applaudi à la fin. C’est déjà un signe de réussite», a souligné un enseignant de l’université d’Oran.  «Je prends toutes vos remarques en considération pour améliorer le spectacle», a répondu modestement le jeune metteur en scène. El moutaham est la première mise en scène de Hicham Sekoum.  

 

Sidi Bel Abbès 
De notre envoyé spécial  Fayçal Métaoui

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