12e Festival international du théâtre de Béjaïa : L’oralité et les formes d’expression populaire au théâtre algérien suscitent le débat

21/10/2023 mis à jour: 21:20
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Le colloque s’est intéressé à des «dramaturges résistants»

Le Centre de recherche en langue et culture amazighes (CRLCA) de l’université Abderrahmane Mira de Béjaïa a abrité, pendant deux jours les 18 et 19 octobre, un colloque sur la thématique de «Théâtre et résistances», à la faveur du 12e Festival international du théâtre de Béjaïa (FITB). 

«Le théâtre entre oralité et écriture», «Focus sur les dramaturges résistants» et «Théâtre amazigh et engagements» étaient les trois thèmes débattus à travers neuf conférences. Kamel Medjdoub, chercheur au CRLCA et président du colloque, a précisé que le centre a signé une convention avec le FITB pour organiser annuellement les colloques à la faveur de la tenue du Festival. «Nous prenons donc en charge les rencontres thématiques comme nous l’avons fait avec le Festival national de la chanson amazighe», a-t-il dit. «Au début, nous voulions organiser un colloque en lien avec la célébration du 60e anniversaire de l’indépendance. 

Nous avons élargi le thème à des résistances et pas uniquement à celui de la guerre de Libération nationale. Nous avons fait coïncider le colloque avec la commémoration du 17 Octobre 1961 à Paris. Cela tombait bien puisqu’on était dans la résistance. Résistance à l’occupation et à l’oppression coloniale», a-t-il ajouté. Le dramaturge et metteur en scène Slimane Benaïssa, commissaire du FITB, a abordé la question de «la traduction du texte oral vers la langue écrite», en citant en exemple sa pièce Au-delà du voile, écrite en 1991, et traduite de l’arabe dialectal vers le français.
 

Un exercice délicat

Une pièce, inscrite dans le contexte politique de l’époque, sur la résistance des femmes à l’islamisme radical, en pleine ascension au début des années 1990 en Algérie. Dans la pièce, des sœurs se réunissent autour du «jeu divinatoire, ludique et poétique» de la bouqala et traduisent politiquement, et à leur manière, le sens de chaque poème en pensant à un parti présent sur la scène (FLN, FFS , FIS, etc). Dans ce jeu traditionnel féminin, de courts poèmes sont récités autour d’un vase en argile ou la bouqala contenant de l’eau. 

Les participantes jettent dans le vase un bijou en argent ou une fève avec l’idée de «prédire l’avenir».«Il faut respecter les caractéristiques linguistiques du texte oral, comme la prosodie, le rythme et les formules. Il faut aussi adapter le texte oral à la norme et aux conventions de la langue écrite sans le dénaturer ni le trahir. La langue orale est moins structurée et plus contextualisée et interactive qu’une langue écrite. La langue écrite est plus élaborée, cohérente, moins dépendante du contexte», a noté Slimane Benaïssa.Il reste que, selon lui, la traduction d’un texte de culture orale vers une langue écrite est un exercice délicat.
 

«Le jeu de la parole»

Ahmed Cheniki, professeur d’université, a, pour sa part, abordé, «les formes populaires et théâtre» en Algérie.«Si l’on interroge la réalité du théâtre en Algérie durant le début du vingtième siècle, on s’aperçoit que ses premiers promoteurs, Allalou, Ksentini et Bachtarzi empruntèrent le moule européen sans pouvoir se détacher sérieusement de la force magnétique que constituait le fonds dramatique populaire qui investissait encore leur imaginaire et leur culture (...) La structure du conte investit toute la représentation. 

La poésie, souvent présente dans les espaces populaires, irrigue le texte et devient le centre de l’action», a-t-il analysé.«Découpées en actes (d’un à cinq), les pièces de Bachtarzi, Allalou et Ksentini reprennent fréquemment des thèmes et des situations puisés dans l’univers du conte populaire. Les redondances, la forme en spirale, la primauté du verbe sur le jeu, l’importance du conteur, l’usage d’accessoires simples (la canne par exemple) étaient autant d’éléments qui investissent le spectacle théâtral. Les comédiens se substituent souvent au goual et au meddah. Tout reposait sur la verve et l’habileté de l’acteur et sa capacité à employer et à maîtriser le jeu de la parole avec la réplique qui fait mouche», a-t-il ajouté. Ahmed Cheniki a cité certains noms d’hommes de théâtre qui ont repris certains éléments de la culture populaire dans leurs pièces, à l’image de Kateb Yacine, Ould Abderrhamane Kaki, Abdelkader Alloula et Slimane Benaissa.
 

 

(Ahmed Cheniki )

 

 

«L’oralité au théâtre a été assimilée à la halqa»

«Kateb Yacine, faisant appel à Djeha, tente de briser le quatrième mur, de démultiplier les espaces et les temps en fragmentant le récit et de provoquer ainsi une relation tout à fait productive avec le public. Abdelkader Alloula introduit le goual tout en reproduisant sur scène, avec ses limites, l’organisation concrète de la halqa (cercle»)», a expliqué l’universitaire. 

Selon Mourad Yelles, professeur d’université, autre intervenant, le théâtre algérien, depuis les années 1920, n’a pas cessé de recourir à la tradition orale comme les contes, les poèmes, les mythes et les légendes. Il a estimé qu’il faut s’entendre sur la signification de l’oralité. «Mon hypothèse centrale est que cette problématique de l’oralité s’inscrit dans un contexte historique surdéterminé par la question coloniale et ses conséquences, en particulier en ce qui concerne les pratiques et représentations liées à la langue ou aux langues. 

Pour des raisons d’ordre idéologique, la question linguistique est devenue centrale dans le dispositif intellectuel et artistique de la production théâtrale algérienne», a-t-il dit.Selon lui, la notion d’oralité a pris des connotations idéologiques. «L’oralité au théâtre a été assimilée à la halqa, de la tradition orale, renvoyant à un type de représentation qui va rapidement idéaliser l’une des figures historiques emblématiques du système culturel traditionnel anté colonial. A partir de ce moment, on pourrait presque évoquer «le syndrome» dû à l’œuvre dans le monde de représentations théâtrales et dans les discours dominants ou relatif à l’expression théâtrale au Maghreb et en Algérie», a analysé Mourad Yelles.
 

(Mourad Yelles )

 

 

Le théâtre amazigh est né dans les années 1940

Le colloque s’est intéressé aussi à des «dramaturges résistants». Il s’agit de Abdelhalim Raïs, Chabbah El Mekki et Mohya (Abdellah Mohia). A ce propos, des interventions ont été données par les universitaires Leila Benaïcha et Zoulikha Moulai ainsi que le journaliste Noureddine Bergadi.«Quand on évoque le théâtre amazigh, on ne peut pas éviter de parler de Mohya. Il était dans la résistance culturelle. Il a adapté au kabyle beaucoup de pièces du patrimoine universel et introduit des éléments identitaires», a rappelé Kamel Mejdoub. Amar Laoufi, enseignant à l’université de Tizi Ouzou, et Saïd Zanoun, journaliste à la Chaîne II de la radio nationale, ont évoqué, à travers des visio-conférences, l’histoire du théâtre d’expression amazigh. «Ce théâtre est né dans les années 1940, avec le début de diffusion d’émissions en arabe en kabyle en Algérie, alors sous domination française. On diffusait des sketch où l’on évoquait les problèmes sociaux des Algériens.

 Le pionnier était Cheikh Noureddine. Des pièces ont été diffusées plus tard abordant la question de la résistance à la colonisation», a précisé Amar Laoufi. Saïd Zanoun a cité les noms de ceux qui ont fait le théâtre amazigh comme Cheikh Noureddine, Cheikh Hamouda, Mohamed Lamrani, Mohamed Hilmi, Mahieddine Oussedik, Hocine Ouarab et Ali Abdoune. Le théâtre amazigh, selon Amar Laoufi, s’est intéressé, après l’indépendance du pays, à la question de l’identité culturelle, abordée parfois d’une manière implicite, en raison des pesanteurs politiques et idéologiques, surtout durant les années 1970 et 1980.

 

 


 

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