Zoubir Arrous. Sociologue et enseignant à l’université Alger 2 : «Nous vivons une fissure sociale très importante»

03/07/2022 mis à jour: 23:09
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Photo : D. R.
  • Les actes d’agression en milieu urbain sont de plus en plus violents. Quelle analyse en faites-vous ?

La situation est grave. La violence a atteint des dimensions très dangereuses. Sans exagération aucune, elle est devenue une valeur sociétale exercée à tous les niveaux pour des raisons irrationnelles. La violence est synonyme maintenant de virilité et de force.

Pour s’imposer, les hommes psychiquement malades ont directement recours à la violence. Aujourd’hui, les femmes n’ont presque plus le droit de dire non à une demande de mariage, ou toute autre proposition, au risque de se voir agressées ou carrément tuées. La cause principale des féminicides est cette obsession de vouloir imposer ses pensées et ses volontés à la victime. En cas de refus, c’est directement la violence dans toutes ses formes, jusqu’à l’extrême, comme les viols ou les assassinats.

Nous sommes mêmes revenus aux crimes d’honneur. Les violences faites aux femmes ne sont qu’une partie de la violence générale qui s’approprie de jour en jour l’espace urbain. Il y a cette violence née de l’exclusion du milieu scolaire et du monde des connaissances et du savoir.

Ainsi, l’exclu commence à appliquer ses propres lois sociétales et religieuses selon sa compréhension limitée des choses. La violence née de l’ignorance est la plus dangereuse de toutes parce que ses retombées sont imprévisibles. Il y a également la violence dans les espaces publics, tels que les marchés formels et informels et la voie publique.

Ce sont généralement ces mêmes recalés de l’école qui tentent d’imposer leur propre loi. On les retrouve aussi dans les bandes de quartier. Ce qui a accentué le phénomène est la dispersion de ces bandes de quartiers populaires dans plusieurs nouvelles cités, où la présence des forces de sécurité n’est pas encore bien établie.

  • En dehors de l’exclusion scolaire, quelles sont les causes de la violence urbaine ?

Elles sont nombreuses, mais nous pouvons les résumer en quelques points. En plus de l’ignorance, qui est le facteur le plus dangereux, il y a également le malaise social et la malvie. Pour un héritage qui ne dépasse pas un appartement F2, les conflits entre frères et sœurs peuvent arriver jusqu’au crime.

Nous vivons une fissure sociale très importante. Nous sommes en train de récolter les fruits de la décennie rouge. Un enfant né au début des années 1990 est un jeune adulte aujourd’hui. L’environnement de peur et de crimes est incrusté dans son subconscient. Ses effets apparaissent à la première grande colère, qui vire à la violence verbale et physique. Nous vivons aujourd’hui dans une société malade psychologiquement.

  • Quelles sont les solutions possibles, selon vous ?

La politique d’oppression n’est pas la solution. Il faut renforcer le rôle de la sûreté de proximité et revaloriser le rôle de l’agent de sécurité, qui souvent craint de s’immiscer dans un conflit de peur de perdre sa vie. Nous avons déjà assisté à des disputes dans les marchés sans que les services de sécurité interviennent. Il est important d’absorber les recalés de l’école de manière obligatoire dans les centres de formation professionnelle.

Il faut aller vers la sensibilisation, trouver des solutions à ce malaise social et mettre à jour la politique de gestion de l’espace urbain. Dans les crimes, je suis contre la peine de mort, pour une seule et bonne raison : tuer le criminel pourrait rendre facile la mort et la vengeance. Par contre, un suivi minutieux des anciens prisonniers et leur offrir la chance de la réintégration sociale sont plus qu’indispensables. 

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