Les danseurs attendaient ce moment depuis deux ans : revêtir leurs plus beaux atours et virevolter au rythme de l'incontournable Beau Danube bleu de Johann Strauss. Après la parenthèse Covid, la saison des bals bat de nouveau son plein à Vienne. Et ce n'est pas sans déplaire à Deasy et Wahyuni. Ces deux Indonésiennes vivant en Autriche, très élégantes dans leur longue robe, trépignaient d'impatience à leur arrivée ce 13 janvier au Bal des fleurs, l'un des plus réputés des quelque 450 animant chaque hiver la capitale.
«Nous adorons venir ici», s'enthousiasment les deux femmes, âgées respectivement de 46 et 50 ans, devant la débauche de couleurs. Dans le majestueux bâtiment néo-gothique de la mairie, 2 400 convives se pressent dans un éblouissant décor d'arrangements... composés de 100.000 fleurs. «L'atmosphère est spéciale», offrant comme un avant-goût du «printemps» dans la grisaille de janvier, résume Peter Hucik, directeur artistique du bal. Cette tradition remonte au XVIIIe siècle lorsque les bals de cour des Habsbourg ont cessé d'être réservés à la seule aristocratie. Les Viennois ont repris à leur compte les mœurs et l'étiquette liée à ces fêtes. Bal des chasseurs, des gérants de café, des confiseurs, chaque corps de métier, mais aussi chaque coterie, chaque quartier a son événement, des plus excentriques au plus prestigieux, le bal de l'Opéra, prévu le 16 février.
Oubliée la pandémie de Covid-19, la foule est au rendez-vous. «Les bals font un retour en force», se félicite Markus Griessler, chargé du tourisme au sein de la Chambre de commerce. Malgré un prix élevé (de 55 à 180 euros pour le Bal des fleurs par exemple), les ventes de billets se déroulent «extrêmement bien» et plusieurs dates affichent déjà complet. Vienne espère même battre le record de 2019/20, tablant sur 170 millions d'euros de recettes (contre 152 millions précédemment), soit 320 euros dépensés en moyenne par bal et par personne. De l'hôtellerie à la gastronomie, des couturiers aux salons de coiffure, le secteur se frotte les mains après la récente disette.
Une saison calquée sur le calendrier chrétien
«Un Viennois sur trois de 15 ans et plus prévoit d'assister à un bal cette année», à comparer à seulement un sur quatre en 2019, précise Markus Griessler, sans compter les nombreux participants qui viennent spécialement de l'étranger. En ces temps moroses, «les gens veulent clairement voyager et danser», abonde Norbert Kettner, directeur de l'Office de tourisme de la ville, qui a lui-même inscrit trois soirées à son agenda et est intarissable sur le sujet.
La saison, qui culmine en janvier et février, est historiquement «plus ou moins calquée sur le calendrier chrétien», explique-t-il. Elle se termine ainsi juste avant le mercredi des Cendres, représentation symbolique du péché et de la fragilité de l'homme. L'occasion de se purifier après une pratique qui n'était pas au goût de l'Eglise catholique : «valser de manière aussi intime avec son cavalier frôlait l'indécence», raconte Norbert Kettner en souriant.
Loin de ces préoccupations d'un autre âge, Emma Kennedy, 17 ans, et son partenaire Luca Stamenov, ont ouvert tout fiers - et un peu nerveux - la 99e édition du Bal des fleurs. Aux côtés d'autres «débutants» en robe blanche et smoking noir, ils n'avaient qu'une idée en tête : danser en rythme et surtout ne pas laisser échapper le bouquet.