Vente-dédicace de l’historienne Malika Rahal à la Librairie du Tiers-Monde : «1962 dynamise les corps, les Algériens peuvent faire des miracles»

11/07/2022 mis à jour: 07:32
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Photo : D. R.

L’historienne Malika Rahal a signé son nouvel ouvrage intitulé Algérie 1962, une histoire populaire paru chez les éditions Barzakh, le mercredi 6 juillet 2022 à 14h, à la librairie du Tiers-Monde, place Emir Abdelkader, à Alger.

La rencontre avec l’historienne qu’on ne présente plus, Malika Rahal, à la librairie du Tiers-Monde à Alger, nous a plongés au cœur de l’année héroïque, 1962, celle du recouvrement de sa souveraineté, l’indépendance après la révolution anti-coloniale française (132 ans de colonisation).

C’est un flash-back très instructif, commémoratif et pédagogique. Ce n’est pas une leçon d’histoire rébarbative et doctorale. Un ex-cathedra. Ce discours pompeux du haut de la chaire. Loin de là, Malika Rahal discute, échange, explique et vulgarise avec une démarche, une voix douce, 1962, cette «bonne année» révolutionnaire. Autre chose, avec le sourire en prime. Il faut rappeler que Malika Rahal, 48 ans, est agrégée d’histoire, spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Algérie, chargée de recherche au CNRS.

Elle dirige, depuis janvier 2022 l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) de l’Université Paris-VIII. Elle est l’auteure de Ali Boumendjel. Une affaire française, une histoire algérienne (Belles Lettres/Barzakh, 2011) et de l’ouvrage (issu de sa thèse de doctorat) L’UDMA et les Udmistes. Contribution à l’histoire du nationalisme algérien (Barzakh, 2017).

Une enquête captivante, mobilisant témoignages, autobiographies…

Le pitch de l’ouvrage Algérie 1962, une histoire populaire ? L’année 1962 est à la fois la fin de la guerre et la difficile transition vers la paix. Concluant la longue colonisation française marquée par une combinaison rare de violence et d’acculturation, elle voit l’émergence d’un État algérien d’abord soucieux d’assurer sa propre stabilité et la survie de sa population. En Algérie, l’historiographie de l’année 1962 se réduit pour l’essentiel à la crise politique du FLN et aux luttes fratricides qui l’ont accompagnée. Mais on connaît encore très mal l’expérience des habitants du pays.

D’où l’importance de ce livre, qui entend restituer la façon dont la période a été vécue par cette majorité. L’année 1962 est scandée par trois moments : cessez-le-feu d’Évian du 19 mars, Indépendance de juillet, proclamation de la République algérienne le 25 septembre. L’histoire politique qu’ils dessinent cache des expériences vécues, que restitue finement Malika Rahal au fil d’une enquête captivante, mobilisant témoignages, autobiographies, photographies et films, chansons et poèmes.

Émerge ainsi une histoire populaire largement absente des approches classiques : elle relate le retour de 300 000 réfugiés algériens de Tunisie et du Maroc, tout en décrivant le désespoir des Français d’Algérie dont le monde s’effondre, elle raconte la libération des prisons ainsi que celle des camps de concentration où était détenu un quart de la population colonisée, et retrace la démobilisation et la reconversion de l’Armée de libération nationale, la recherche des morts et disparus par leurs proches, l’occupation des logements et terres laissés par ceux qui ont fui le pays ou encore les spectaculaires festivités populaires.

La guerre appartient au passé

1962, une année populaire ? «Une année populaire. Parce que c’est le maximum. Le peuple est au summum tout le temps. 1962, c’est le résultat de ce qui a précédé. La population a joué un grand rôle en occupant l’espace algérien, algérianisé. L’espace de résistance à des risques accrus notamment la vengeance.

Ce n’est pas un déchaînement violent. 1962, ce n’est pas une année d’hommes d’exception. Ils sont des Algériens qui accomplissent des miracles. Une année de miracles. Des gens ordinaires qui résistent notamment contre l’OAS. L’ouvrage relate le début et la fin de l’année 1962. Les accords d’Evian, la période transition, l’OAS, les responsables du FLN. Doit-on répondre ? La vengeance ? La crise dite de l’été 1962. Le GPRA, Ben Bella, Houari Boumediène, le désarmement des combattants de l’intérieur du pays.

C’est un rapport de force et la négociation. Une crise politique et reconversion de l’armée. Une transition politique très violente à cause de l’OAS et les violences vengeresses entre Algériens dans le cadre de lutte du pouvoir. Et lutte contre la violence impressionnante de l’OAS...» Ce que fait 1962 à la violence ? «Comme toute fin de guerre, la paix crée une violence accrue.» Ce que fait 1962 au corps ? «1962 dynamise les corps, les rend énergiques. Les Algériens dorment peu. Ils peuvent faire des miracles. Cette impression. L’euphorie et l’urgence. Il faut résister, aider, s’entre-aider, se nourrir, s’organiser…» Ce que fait 1962 à l’espace ? « 1962 ouvre un espace où tout le monde circule.

Les prisonniers rentrent chez-eux, le retour des réfugiés de Tunisie et du Maroc. Les gens déménagent. Ils recherchent les disparus. Tout le monde se déplace…» «Ce que fait 1962 au temps ? 1962, coupe le temps. Et sépare le passé de l’avenir. Une césure, même si la guerre n’est pas finie. La guerre appartient au passé. C’est tourner la page. Cela appartient au passé…» C’est sûr, c’est un ouvrage de référence et de haute facture que celui de Malika Rahal, Algérie 1962, une histoire populaire ». A lire, à relire absolument !

BIOGRAPHIE

Malika Rahal, née en 1974 à Toulouse, est une historienne. Spécialisée dans l’histoire de l’Algérie et plus généralement du Maghreb contemporain, elle est chargée de recherche à l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP), une unité du CNRS. Malika Rahal est née en 1974 à Toulouse et poursuit des études d’histoire et de sociologie à Bordeaux. En 1998, elle est reçue à l’agrégation d’histoire.

En 2007, elle soutient une thèse d’histoire sous la direction de Benjamin Stora à l’Inalco, où elle a également fait des études d’arabe. Son travail portait sur l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA), le parti de Ferhat Abbas. Au-delà du parti, elle y étudie ce qu’elle nomme «la décennie des partis politiques» (1946-1956). Elle a publié depuis, en France et en Algérie, une biographie de l’avocat Ali Boumendjel, assassiné par les parachutistes français durant la bataille d’Alger.

Après avoir été professeur en collège en Seine-Saint-Denis, elle a été maîtresse de conférences à l’université de Nottingham avant d’être recrutée au CNRS. Elle enseigne à Sciences Po Paris et à l’Inalco.

Elle a écrit de nombreux articles sur la possibilité de faire de l’histoire portant sur la période post-indépendance et fait partie des premiers historiens à s’attacher à cette période. Elle anime un carnet de recherche en français, anglais et arabe intitulé Textures du temps, dans lequel de nombreux jeunes historiens travaillant sur l’Algérie contemporaine partagent leurs travaux et leurs questionnements, et où ils réagissent en historiens à l’actualité.

Elle codirige avec Christian Ingrao, Ludivigne Bantigny, Roman Krakovsky et Matthieu Rey le projet 1979, Migrations of Hope, financé depuis 2016 par le Fonds Attentat mis en place par le CNRS à la suite des attentats du 13 novembre 2015 en France.

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