Les combats entre l’armée et les paramilitaires au Soudan n’ont jamais cessé depuis le début du conflit, il y a trois semaines, au mépris de multiples annonces de trêve, des experts redoutant une guerre de longue durée avec des belligérants à forces égales et peu enclins à céder. «La bataille de Khartoum est en train de devenir une guerre d’usure», assure à l’AFP Andreas Krieg, du King’s College de Londres.
Car l’armée du général Abdel Fattah Al Burhane et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo «ont les mêmes capacités» de combat, explique-t-il. Surtout, souligne le centre de recherche Soufan Center, qu’«avec de nombreux étrangers évacués ou en passe de l’être, il est possible que les deux généraux se préparent à une lutte sans merci pour le contrôle du pays».
Et ils ont les armes et les hommes pour. Tous deux ont envoyé leurs troupes combattre les rebelles du Soudan, notamment durant la guerre lancée en 2003 au Darfour (ouest), et ceux du Yémen, aux côtés de la coalition des Saoudiens et des Emiratis. Par ailleurs, ils ont pu diversifier leurs sources d’approvisionnement en armes, après un long embargo. Un seul élément pourrait avantager l’armée soudanaise, la sixième d’Afrique subsaharienne en termes d’effectifs, selon Military Balance Plus et International Institute for Strategic Studies (IISS) : ses avions de guerre, quand les FSR n’opèrent qu’au sol.
«Des batailles»
«Mais la puissance aérienne n’a pas apporté à l’armée le coup de grâce qu’elle espérait infliger», affirme à l’AFP Aly Verjee, de l’université de Gothenburg en Suède. Pour que des frappes aériennes soient efficaces, «il faut (...) de bons renseignements au sol ou via satellite, un outil dont l’armée ne dispose pas», souligne ce spécialiste. Et surtout, renchérit M. Krieg, l’armée «ne peut pas tapisser Khartoum de bombes car il y a des civils».
Au sol, les FSR ont un avantage : «Dans un environnement urbain, ils sont plus flexibles, leurs chaînes de commandement sont plus directes (...) que celles de l’armée», assure M. Krieg. Des habitants racontent avoir vu les FSR installer rapidement des check-points, de petits QG dans des maisons et même des snipers sur des toits.
En revanche, rares sont les positions visibles de l’armée dans les quartiers résidentiels, disent-ils.
Pouvoir se mouvoir vite avec des véhicules légers est un avantage de taille dans une ville de plus de 1000 kilomètres carrés – dix fois Paris –, divisée en trois zones par la confluence du Nil Bleu et du Nil Blanc : au sud, Khartoum, au nord-est, la banlieue de Khartoum-Nord et au nord-est, la banlieue d’Omdourman. «Il n’y a pas une bataille pour Khartoum mais des batailles pour Khartoum», rappelle M. Verjee. C’est pour cela que «l’engrenage de la violence et la stratégie d’usure pourraient durer longtemps», prévient M. Krieg, même si les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite ont annoncé des discussions samedi à Jeddah entre des représentants des deux belligérants.
Et les deux camps ont les fonds nécessaires pour tenir. «L’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis sont de grands sponsors des deux camps. L’Egypte soutient l’armée, les Saoudiens ont une approche équilibrée et les Emirats essayent de maintenir un équilibre mais ont probablement penché en faveur de Daglo», détaille M. Krieg.
Si l’armée a accès aux fonds et aux canaux de l’Etat, Daglo, qui contrôle avec ses FSR une bonne part de l’or du pays, troisième producteur d’Afrique, «est probablement l’un des hommes les plus riches du Soudan», assure l’expert.
En plus, il a «le soutien du groupe Wagner», ces mercenaires russes qui ont signé des contrats via des prête-noms avec les mines d’or du Soudan, selon le Trésor américain. «Wagner a été très important pour la formation de l’armée comme des FSR», affirme M. Krieg, mais «si Wagner doit faire un choix, il soutiendra Daglo, car il lui a permis, grâce à l’or acheminé sur le marché via les Emirats arabes unis, de devenir indépendant financièrement de l’Etat russe».