Un quotidien bien loin de l’école, où l’adolescent n’est pas retourné depuis près de quatre mois, en raison d’affrontements armés entre forces fédérales et milices qui ensanglantent l’Amhara et privent d’enseignement des millions d’enfants.
Desta - le prénom a été changé pour des raisons de sécurité, tout comme les autres personnes interrogées par l’AFP - vit avec sa famille à environ 250 kilomètres à l’est de Bahir Dar, la capitale régionale. Jusqu’en septembre, l’adolescent parcourait à pied la dizaine de kilomètres qui le séparait de son établissement scolaire. Mais des affrontements qui se sont déclenchés dans la zone ont dissuadé Tesfaye, le père de Desta, de l’envoyer étudier. «Je ne veux pas que mon fils risque sa vie en allant à l’école», souligne Tesfaye, joint au téléphone par l’AFP.
4000 écoles fermées
L’Amhara est la deuxième région la plus peuplée d’Ethiopie, avec plus de 23 millions d’habitants. En avril 2023, les Fano, milices populaires traditionnelles d’autodéfense de l’ethnie Amhara, ont pris les armes contre le gouvernement d’Addis Abeba pour protester contre la volonté des autorités fédérales de les désarmer. Malgré l’instauration d’un état d’urgence pendant presque un an, des affrontements ont toujours lieu. En septembre, des renforts de troupes fédérales ont été envoyées face à des milices qui ont recours à des techniques de guérilla et à des enlèvements contre rançon.
Les autorités fédérales de ce pays d’Afrique de l’Est ont qualifié en novembre la situation humanitaire dans la région de catastrophique.
A cause des affrontements, des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées, et de nombreuses écoles détruites. Selon les chiffres datant d’avril du bureau des Affaires humanitaires de l’ONU (Ocha), plus de 4000 écoles à travers la région sont fermées à cause des conflits actuels ou passés et 300 autres sont endommagées. En attendant de pouvoir retourner à l’école, Desta reste à la maison ou aide son père et son grand frère dans les champs. «Sinon je n’ai rien à faire», soupire-t-il. «Ce qui me manque le plus, c’est de passer du temps avec mes amis, et j’espère les revoir rapidement», confie l’adolescent, avant de poursuivre : «Je ne sais pas quand je vais pouvoir retourner à l’école, mais si on me dit que c’est possible demain, j’y vais».
Pris en étau
Si Desta n’a pas pu se rendre à l’école depuis plusieurs mois, certains enfants en Amhara en sont privés depuis des années. En cause : la guerre dans la région du Tigré, qui a fait rage de 2020 à 2022 et s’est étendue aux régions voisines Afar et Amhara, et la crise sanitaire de la Covid.
«Quand la guerre sévit, les femmes et les enfants sont les personnes les plus vulnérables, et cette guerre a vraiment touché les enfants qui ne peuvent plus aller à l’école», déplore Yohannes Benti, à la tête de l’association éthiopienne des enseignants, qui compte 700 000 membres à travers le pays.
Sur les 7 millions d’enfants qui auraient dû s’inscrire lors de la dernière rentrée en Amhara, plus de 3 millions seulement ont pu le faire, souligne Yohannes Benti, qui estime que «c’est une génération perdue: quand vous ne manquez ne serait-ce qu’un jour l’école, vous manquez déjà beaucoup, alors imaginez sur plusieurs mois, plusieurs années». Des millions d’autres enfants sont également privés d’école dans la région du Tigré et dans l’Oromia, région la plus peuplée du pays et également théâtre d’une rébellion armée. Dawit est enseignant en classes préparatoires à Dessie, dans le nord de l’Amhara, depuis 17 ans. «A cause des combats, l’année dernière, nous n’avons pu donner des cours que pendant un mois», déplore-t-il. Les nombreux barrages érigés par les forces fédérales et les Fano, qui assimilent les enseignants à des agents du gouvernement, dissuadent les parents d’envoyer leurs enfants à l’école.
«Il y a des combats tous les jours, nous nous retrouvons pris en étau entre le gouvernement, qui veut que nous continuions à faire cours, et les Fano qui tentent de nous en empêcher», poursuit-il, avant de lâcher : «Nous avons perdu espoir».