Un médecin ghazaoui tire la sonnette d’alarme : «Nos réserves ne vont pas durer»

19/05/2024 mis à jour: 05:44
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Depuis un hôpital de campagne de la bande de Ghaza reconverti en centre de traumatologie, le docteur Javed Ali, qui accumule quinze ans d’expérience humanitaire et autant de zones de guerre, décrit la situation comme la plus «catastrophique» qu’il n’a jamais vue. «C’est accablant», constate ce responsable de l’intervention d’urgence à Ghaza pour l’International Medical Corps, ONG basée aux Etats-Unis.

La situation est «désastreuse», assure-t-il, joint par téléphone par l’AFP dans cet hôpital situé au nord-ouest de Rafah, devenu en quelques mois un établissement de plus de 150 lits.

Dans cette ville frontalière de l’Egypte, à l’extrémité sud du petit territoire palestinien, l’armée israélienne enjoint depuis le 6 mai des centaines de milliers de familles d’évacuer divers quartiers avant de lancer des opérations destinées, selon elle, à éliminer les derniers bataillons du mouvement islamiste Hamas qui s’y trouveraient.

L’hôpital de campagne, qui consiste en une enfilade de tentes blanches et de conteneurs posés, est situé à Al Mawasi, une zone côtière située entre Rafah et Khan Younès, et désignée par Israël «zone humanitaire» pour accueillir les personnes déplacées. «Il y a eu un mouvement massif de population», raconte M. Ali. Sur les 1,4 million de personnes qui étaient entassées dans Rafah, près de la moitié a fui depuis les ordres d’évacuation, selon l’ONU.

La majorité n’a pourtant pas afflué à Al Mawasi, déjà surpeuplée, mais s’est déplacée à quelques kilomètres plus au nord, à Khan Younès.  Les personnes arrivent «épuisées, apeurées» et «sans ressources», dit-il, et nombreux sont les patients à demander «de l’argent (...) pour pouvoir mettre leur famille à l’abri». (…) La population réfugiée à Al Mawasi n’a guère augmenté ces dernières semaines. La pression sur l’hôpital de campagne, si.

L’accès aux hôpitaux de Rafah étant largement coupé, l’établissement a donc vu le nombre de visites quotidiennes à son service d’urgence passer d’environ 110 à près de 300, explique M. Ali, qui décrit des «cas de polytraumatismes avec des fractures dans toutes les parties du corps».

La fermeture, début mai, du point de passage de Kerem Shalom, après des tirs de roquette du Hamas, a exacerbé la situation, tout comme le verrouillage de celui de Rafah, par où passait le ravitaillement en carburant à partir de l’Egypte, depuis qu’Israël a pris le contrôle le 7 mai du côté palestinien.

«Situation incontrôlable»

L’hôpital de campagne a «vu venir» et a préparé des stocks, assure Javed Ali, mais il n’avait pas prévu l’augmentation du nombre de patients. «La situation devient totalement incontrôlable», selon lui, «nos réserves ne suffiront pas» et déjà la pénurie de «produits cruciaux» est là. Manquent par exemple des antibiotiques et antidouleurs en pédiatrie, de l’oxygène.

La plus grande inquiétude concerne «l’espace», car les grosses interventions chirurgicales ont pratiquement doublé, de 25 à 50 par jour, selon M. Ali. La maternité fait également face à un afflux considérable, avec jusqu’à huit césariennes par jour. Selon M. Ali qui, au cours de ses 15 années de carrière, a travaillé dans des zones de guerre comme au Soudan ou en Ukraine, la situation à Ghaza est «bien plus catastrophique».

«Le très grand nombre de cas de traumatismes, le manque de ressources, la chaîne d’approvisionnement interrompue (...), c’est quelque chose que je n’ai jamais vu», lâche-t-il.

Alors que dans la plupart des conflits, les blessés par balles et éclats d’obus sont majoritairement des hommes, le nombre de femmes et d’enfants parmi ce type de blessés à Ghaza «est très, très élevé», constate-t-il, décrivant des enfants «aux membres déchiquetés».

Selon l’ONU, seul un tiers des 36 hôpitaux de Ghaza d’avant-guerre est encore partiellement fonctionnel et les personnes déplacées sont souvent bloquées loin des établissements de santé. L’hôpital de campagne d’Al Mawasi est devenu le «principal centre de référence pour les traumatismes» dans le sud de la bande de Ghaza, souligne Javed Ali, et, dit-il, «nous travaillons sous une tente».
 

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